mercredi 17 juillet 2024

Les coups de coeur du festival Avignon le OFF 2024 : Danse éclectique.....

 


"C'EST LA VIDA!" Que viva Mexico!

Aurélien Kairo fait son show en compagnie du metteur en scène Patrice Thibaud et ça roule ma poule. Sur des airs de chansons emblématiques de Brassens et Trenet entre autres le voici chorégraphiant deux fameux comédiens danseurs David Walther et Liesbeth Kiebooms. Et voilà que démarre pour une bonne heure de bonheur total une enjambée poétique, acrobatique et ludique. Grand écart entre tendresse et férocité de la vie. Un humour décalé y est distillé à l'envi, la nostalgie de la bohème et du temps passé: mime et malice, mimiques cocasses et désopilantes du danseur amoureux déçu et de la Carmensita outragée, dévoreuse et enjôleuse. De la verve et du punch, du rythme tonique et branché pour sourire, rire ou pleurer. "Una danza poético hip-hopé burlesquo" qui avoisine certaines saynètes de Chaplin, c'est peu dire. On est en empathie avec tout ce qui se passe devant et derrière un petit paravent trompeur qui semble nous dissimuler les secrets de l'intimité dévoilée des deux amants. A la recherche de sa Dulcinée envolée aux quatre coins du monde. Un voyage désorganisé indiscipliné au pays de l'amour fou et de ses tracasseries. La danse est tendre autant que sauvage, les deux interprètes à fond dans le jeu et la complicité Fraicheur de la comédie musicale de chambre bien chambrée, tonicité du burlesque au poing , brandi comme un fer de lance de la gaité lyrique et chorégraphique. Kairo au meilleur de sa flamme olympique!

A la Fabrik' Théâtre jusqu'au 21 JUILLET


"ATTENDEZ MOI Solo pour Zouzou" : Regarde Maman, je danse....Zouzou dans le Lot

Sarah Crépin fait sa Zouzou, sa "peluche vivante" fétiche, brebis d'enfance égarée dans le temps qui remonte pour nous conter son enfance. Des récits de sports d'hiver mal vécus, du froid dans les doigts et des angoisses de rater la perche à saisir au vol, tout se dévoile justement et tendrement. Regarde Maman, je danse...Une danse belle et douce de structure "classique" revisité à une syntaxe contemporaine. Soliste émérite, gracieuse, aux yeux de biche non effarouchée. 


Une femme qui danse sobrement en slip kangourou rose et de tout corps, ballerine légère autant que solide. Une Jeanne Balibar juvénile et fragile.Les confessions verbales s'effacent au profit de la narration du corps dansant, en proximité dans la très jolie et sobre petite salle du Hangar décentré de la Scierie. Sur fond d'un décor de franges murales colorées qui s'agitent à son passage. Les révérences sont quasi baroques et évoquent une humilité profonde et ressentie, une modestie bien trempée pour un ouvrage de damoiselle zélée. Le tout dans des choix musicaux rares et distingués.Affaire à suivre...

A la Scierie hangar


"PILLOWGRAPHIES Danse pour sept fantômes et lumière noire" :danse spectrale

C'est à nouveau Sarah Crépin et Etienne Cuppens de La BaZooka qui nous régalent d'un septet d'ectoplasmes  bien remuant sur fond de noir d'ivoire. Outre noir dans lequel scintillent et se révèlent des formes approuvées de fantômes drapés, Loie Fuller déjantés et démultipliés allègrement aux profils de drapés ondulants. Tels de petits personnages glissant dans le vide et l'apesanteur, ils défilent, tournoient, échappent à la gravité. Rêve et noirceur quand se dévoilent les manipulateurs cachés sous ces soutanes de la nuit... 


Daphnis et Chloé de Ravel fait séquence de transition et l'on s'envole à nouveau vers le fantastique monde de l'irréel.C'est drôle et charmant, enchanteur et ravissant. Merlin veille au grain et c'est le Boléro de Ravel qui aura le dernier mot pour les entrainer dans un rythme infernal sur le chemin des feux follets de pacotille. Hypnotiques figures récurrentes qui hantent le plateau et font la nique à la mort. Au final ils s'écroulent comme des dégonflés au sol et forment des ilots flottants au gré des lumières magnétiques.Des fantômes évanescents plein d'effets de rémanence visuelle fantastique.Et l'on ne s'endort pas sur ces oreillers palpitants!

A la Scierie théâtre et tiers lieu. jusqu'au 21 JUILLET


"LE MENSONGE": le corps ne ment pas (Martha Graham)

Histoire de famille et d'empreintes sur le corps et l'esprit d'une gamine entourée de sa famille: c'est un point rouge leitmotiv du credo de la fillette qui hante son existence, la gâche ou la magnifie. Selon la forme chorégraphique choisie par Catherine Dreyfuss. Trois personnages nous entrainent dans leurs déboires et péripéties dans une danse ajustée au petit poil, sur mesure, taillée pour chacun dans une étoffe solide, ourlée, brodée ou la couleur change selon les humeurs. Obéissance ou transgression , peur du Loup pour Louise, la petite danseuse pleine de charme, de feu, de verve et de tonus. Le rond rouge obsessionnel grandit comme une tache, une souillure ou un soleil: au choix du point de vue de la psychanalyse évoquée ici de bon aloi. Gestes taillés, précis dans un décor à la mesure des enjeux: table pliante, parquet amovible structurent les esprits et la scénographie très inventive. L'espace est impacté par ces décors mouvants L'histoire se répète, les gestes reviennent sur les surfaces carrelées de la mémoire. Des trappes, farces et attrapes pour mieux décaler et faire basculer la réalité. Vérité ou mensonge: qui se fait son scénario pour contrer ou évacuer les angoisses et les phobies. Résilience, réconciliation et reconstruction d'un être cher à ses parents qui se laissent eux aussi envahir et impacter par ce "rond rouge" omniprésent jusqu'au gigantisme.et à la surdimension du fantasme. Très bel ouvrage scénique et chorégraphique porté par des danseurs techniquement à la hauteur de l'exigence au cordeau de la calligraphie de Catherine Dreyfus.

A la Scierie jusqu'au 21 JUILLET

"Impulls": pull over dance de Farfeloup à la Cour des Spectateurs Festival Off Avignon 2024


 Une maille à l'envers, une maille à l'endroit , il n'y a que maille qui maille pour ce truculent spectacle tout public signé du metteur en scène  Guillaume Carrignon : pull's arte povera pour ces cinq farfelus comédiens danseurs, mines et autres catégories d'interprètes inclassables...Ici tout se forme et se déforme à l'envi dans cette boutique fantasque "Au bonheur des Dames" ou "Bon marché" du pull-over. Rangées, dressing pour rôdeuses à la veille des soldes ou ventes privées. Des couleurs chatoyantes, de la laine moutonnante et que du bonheur. Sentir la matière, caresser la laine à perdre haleine et se retrouver dans un univers ludique et burlesque à foison, serait le credo de cette allégorie du compagnonnage burlesque et humoristique. Presque du Momix, Pilobolus ou Nikolais tant les formes abstraites de ces secondes peaux du quotidien envahissent le plateau. Jusqu'à devenir des formes suggestives; bouches, organes génitaux bien pendouillant...Amas de pulls comme du Boltansky au sol au final après un effeuillage drolatique d'un d'entre eux, de couche en couche. Désir et convoitise de la peau de l'autre qui exulte et séduit. Les peluches qui grattent ou se roulent entre les doigts sont autant de petits détails croustillants qui pimentent la narration suggestive du mouvement. Tambour battant, le rythme va bon train et l'on ne se lasse jamais de cette déclinaison du "pull-over", cet objet du désir vestimentaire des froids pays de cocagne. 


Torsades et tricot au menu, tradition et modernité d'un vêtement de légende qui hante nos armoires. Les pulls s'étirent, dansent font chainette, cordons et autres maillages en tout genre. Ca fait relâche ou entracte , on déguste les excellents choix musicaux et sous les platanes en plein air, la magie du lieu opère à potron minet. Petrits et grands sont comme des pelotes de laine qu'on dévide dans la patience de l'art du tricotage manuel.Cols roulés, bras extensibles comme des prolongements du corps, des prothèses salvatrices pour transformistes. "Impulls", c'est farfelu en diable, salutaire, inventif, hors norme XXL de l'humour dansé, frôlé, caressé dans le mauvais sens du poil : sans irrite ni gratter pour mieux se frotter à la réalité du monde textile qui nous habille.


 

A la Cour du Spectateur jusqu'au 21 JUILLET

mardi 2 juillet 2024

"Lacrima" Christi ....Pour petites mains dans l'ombre: éteindre l'incendie....Martyrs et saintes...Point de suture..sans ourlet.

 


Après la reprise de SAIGON cette saison, LACRIMA est la première création de l’autrice et metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen depuis son arrivée à la direction du TNS en septembre 2023. Une maison de haute couture parisienne reçoit une commande extraordinaire. Pendant plusieurs mois, dans le secret le mieux gardé, une trentaine d’hommes et de femmes vont travailler dans l’atelier parisien, mais aussi à Alençon pour la confection des dentelles et Mumbaï en Inde pour les broderies. Des milliers d’heures seront consacrées à cet ouvrage. Dans un grand récit choral, Caroline Guiela Nguyen raconte ces ouvrières et ouvriers de l’ombre, ces couturières, modélistes, brodeurs au savoir-faire exceptionnel, au moment où leur vie va basculer.


Le secret, la blessure, la réparation impossible d'une femme victime de son savoir-faire, de l'ambition ambiante d'une grande maison de haute couture... La violence faite à une mère, une femme-mère qui se laisse posséder par un mari pervers narcissique... Que de malheurs, que de pleurs inscrits dans la confection d'une robe de mariée de légende. Celle d'une princesse dont le narcissisme se moque bien des conditions de fabrication de son vêtement d'apparat, parade nuptiale d'un jour pour  des milliers d'heures de travail, de labeur, de "martyre". Car ici l'étymologie du mot "travail" prend toute sa dimension: martyre, pénibilité, esclavagisme... D'ailleurs l'une des étapes de fabrication de ce vêtement ne s'appelle-t-elle pas "martyr": patron ou modèle en 3D de l'ébauche des dessins, croquis et autres préfigurations du produit à livrer. Dans les plus brefs délais bien sûr: ce qui met la pression, fait des charrettes horaires, multiplie les embûches et autres questionnements d'urgence sur la facture de la robe blanche: brodée de perles et revêtue de la mythique traine de dentelle d'Alençon, une pièce de musée inestimable au regard de l'art vestimentaire. On apprend beaucoup de détails sur le "métier" de ces femmes laborieuses, ici brillamment incarnées par des actrices "amateures" pétries de présence et d'authenticité de jeu. Aussi bien dans l'action théâtrale que lors de deux interviews radiophoniques sur le plateau: rencontre entre journaliste, spécialiste du projet muséal et ouvrières. Des aveux troublants et déchirants sur la profession, son auréole secrète de fabrication qui deviendra protocole drastique de secret-défense. Rien ne doit filtrer, fuir ou se savoir à propos de cet événement gigantesque et ambitieux. 


Respire...

Atelier de modéliste, de couture au coeur de Paris ou en Inde comme berceau et réceptacle des récits, des histoires qui s'enchevêtrent comme des fils de couture de la dentelle légendaire. Éthique et grande histoire post-colonialiste sur le travail fait à l'étranger par des petites mains exploitées, torturées jusqu'à la cécité, maladie chroniques du métier de couturière, ainsi que le souffle et la respiration atteinte par l'apnée de la tension. Les inspections, contrôles de santé, médecine du travail y sont superbement vécus et interprétés par une comédienne Natasha Cashman qui endosse également le rôle de psychologue psychiatre auprès de l'héroïne Marion.  Brodeurs artisans au coeur du sujet, responsable de la direction artistique, inventeur et designer de mode hystérique: beaucoup de vrais personnages comme dans la réalité qui s'affrontent, se démembrent, rivalisent ou se détruisent par l'ambition et l'égocentrisme individualiste. La transmission au coeur de l'opus évoquée par les témoignages de nouvelles et d'anciennes dentellières: un métier qui disparait dans le secret, sans relève. La documentation sur la profession est sans cesse éclairée par le texte, la mise en scène la dramaturgie signée Caroline Guiela Nguyen: un espace qui change, se transforme au gré des séquences "cinématographiques" très proches d'une écriture de scénario pour séries. Tout commence d'ailleurs par la fin tragique de  Marion, cheffe de projet de la maison Beliana. Et tout se déroule pour dévoiler les raisons et l'histoire de ce suicide tragique d'une femme-mère-créatrice-amante. "Responsable" qui doit répondre de tout..Une charge mentale trop lourde à tenir


Le spectre de la rose-des roses: keine Rose ohne Dornen...

L'histoire des membres d'une famille qui oeuvre sous le même toit et viennent polluer l'atmosphère d'attitudes perverses et toxiques. Un drame fatal doublé d'un récit virtuel d'une autre famille: récit similaire à l'autre bout du monde où les secrets de famille tuent, épuisent, affaiblissent et rentrent dans le déni, le mensonge de Rose et Rosalie... Ces mêmes "roses" qui ornent la robe meurtrière et maléfique d'une mariée désincarnée, virtuelle, absente, exceptée par la voix off de cette Lady Di malfaisante... Dans les "points d'Alençon" se nichent des légendes néfastes et si peu d'amour: excepté celui du travail d'orfèvre exemplaire, parfait. De ces "mères courages" martyres et sacrifiées. Ne rien laisser "fuiter" surtout de tout cela pour préserver une icône, une image d'exception du métier et de ses protagonistes. Et les langues de se délier cependant par le truchements des nouveaux moyens de communication à distance: dans cette mise en espace, concrétisés par des images projetées sur écran en direct. Les wathsapp au rendez-vous des confidences, des dénis évacués mais jamais taris par le silence. Le langage des signes ici convoqué par une femme indienne qui se livre dans une gestuelle chorégraphiée au sujet des conditions de travail de son métier. Ici c'est la fatalité, l'acceptation et jamais la révolte ni la rébellion: les enjeux politiques, économiques, la renommée en question. Et ce décor qui évolue, berceau de cette magnifique robe de mariée, "inhabitée" au corps absent, vidée de sa chair, écho transparent et invisible de tout ce qui reste dissimulé au regard, à la mémoire. Alençon comme point de mire, cible et au coeur du récit: actualité, mémoire, muséale et sociétale. 


La musique amplifie le drame, le conduit, le devance dans un suspense inquiétant et tendu.Un "petit chef d'oeuvre" que ce tissu de mensonges et vérité porté par des comédiens "naturels", façonnés par un savoir-faire et être ensemble que seule Caroline Guiela Nguyen sait piloter, engendrer, créer. Comme cette cheffe d'atelier enthousiaste, Maud le Grevellec, porteuse de désirs, de volonté, de fraternité et d'ambition positive! Les costumes comme seconde peau du quotidien ou de la magnificence. Mais prend garde aux apparences: le brillant, les perles sont aussi des larmes amères d'un Kampf, combat perdu d'avance, larmes inscrites dans les entrelacs de la dentelle: pas de frivolité ici mais l'empreinte indéfectible de l'histoire de l'artisanat d'excellence, de rêve, de haute volée qui atteint les mécanismes du drame comme nulle autre vermine ou peste contagieuse. La mort comme issue fatale, la cécité, la fatalité comme sacrifice.

Points de croix et de chainette: instruments de la passion lacrymogène


Et au final, la boucle est bouclée: retour case départ après ce long flashback: coupures, tissage, juxtapositions cinématographiques aux accents de montage et cut propres au cinéma.Un cinéma-théâtre, nouvelle forme d'écriture dramaturgique du plateau. Les "servantes" en tremblent...Et les références sur le monde de la haute-couture au cinéma déferlent: la plus touchante: celle de Wang Bing avec son "Jeunesse-le printemps" sur des ateliers-villes ghettos de couture clandestins en Chine actuelle.

Vous ne porterez plus jamais un costume ou une parure comme avant...... Les plaies ne se réparent pas sans "points de suture"...

Au gymnase du lycée Aubanel jusqu'au 11 JUILLET 17H Au Festival d'Avignon 

Au TNS du 15 Septembre au 3 Octobre


Spectacle en français, avec des scènes en tamoul, anglais, langue des signes