vendredi 27 septembre 2024

Christian Marclay + Genevieve Murphy et Onceim : sculpter l'espace sonore de respirations marines.

 


La rétrospective que lui consacrait le Centre Pompidou à Paris en 2022-2023 montrait à quel point Christian Marclay avait « sculpté » de nombreux aspects de la vie musicale : phonographie détournée, partition ready-made, performance orchestrée, lutherie excentrique.


Pour la première fois, dans la continuité de sa série Found in, il transpose la tactique de l’objet trouvé à l’orchestre avec l’Onceim. C’est également sur cette collectivité hétéroclite de musicien·nes issu·es de tous les horizons musicaux que s’appuie Genevieve Murphy dans sa recherche poétique sur la perception individuelle au sein du collectif, ici incarnée par la relation entre l’ensemble et sa cornemuse des Highlands.



Christian Marclay
, Constellation (2024 - création française)

Dans l'Eglise ST Paul c'est l"effervescence d'un grand soir: Christian Marclay va poser son opus dans le choeur, éclairé de ses ogives pour inonder de sons tout l'ensemble de l'espace. Cela débute par de longues mélopées des archets frottant à l'unisson les cordes comme un son de toile froissée, une profonde respiration collective. Tous les instruments se mobilisent après ce prologue touchant: les vents menacent, s'ébranlent, graves et le piano se distingue parmi cette masse sonore ascendante. L'ambiance est au suspens comme une musique de film foisonnante, une chevauchée, des paysages défilant, très cinématographiques. Petite symphonique englobant un accordéon discret, une fusion des sons délicate et opérationnelle.


Différents registres, festifs, entrainant nous propulse dans un western curieux où la dramaturgie grondante et montante délivre un solo de saxophone radieux. Brillant, hors de la masse sonore comme un bouchon flottant à la surface du son. Grondements inquiétants, menaçants de décollage d'avion ou de guerre déclarée ouverte. Avalanche envahissante, remous, danger à l'horizon se profilent. Le déraillement du saxophone comme un appel s'emballant, vibrant, fébrile, affolé. L'accalmie s'impose après la bataille, l'insurrection volubile de l'ensemble. La reprise des soupirs comme flux et reflux maritime. Sirènes d'un port lointain? Des jaillissements prolixes comme des images cinématographiques déferlent à vive allure comme des personnages, instruments d'un synopsis sonore édifiant. Ils défilent sur l'écran virtuel de notre imaginaire. Péplum panoramique, diorama fantasque de l'imagination fertile du compositeur iconoclaste. Très décomposée, en miettes, en touches pointillistes et fractures tectoniques diverses, l'opus se déroule sans faille de toutes pièces. Fractures, éparpillements en éclaboussures des sons, disséminés. Au loin, la mer murmure, se retire à marée basse démontée. Silences. Derniers souffles d'écume, apnée, expiration: dernière respiration collective infime, souffle final de cette oeuvre cathartique de toute beauté: dans une dynamique et une énergie portée par l'ensemble qui baigne dans ce vaste océan tumultueux.



Genevieve Murphy
, Together We Feel and Alone We Experience (2024 - création française)

En prologue, introduction, une cornemuse s'amuse à donner le ton: souffle et retenue pour inaugurer une pièce magistrale. Une guitare réverbère le son, isolée et donne la réplique pour un duo inattendu.Sonorités spatiales épurées, conjuguées. Les frottements des archets sur les cordes comme bordure similaires à celles de Marclay! Des respirations fortes et rapides, très organiques sourdent des corps des instruments à cordes.Corps à corps, accords et raccords singuliers. Les poumons de l'accordéon, cage thoracique pour l'occasion de cette musique clinique. Respires! Des caresses sur  les violons par des archets amoureux. Le micro-souffle des vents faisant le reste pour instaurer une sensualité divine. De longues tenues dans la durée pour les vents, pause discrète qui s'étire et allonge le son. Un grand calme le long d'une côte marine. Un solo de guitare insolite vient ébranler l'architecture de la composition, insolite.


Des clarinettes élèvent leurs squelettes pour mieux expirer, aux cieux. Tous contribuent à cette atmosphère curieuse, crissante, aiguë, stridente. Un solo de violon immerge, quasi médiéval après cette belle cacophonie déstructurée. Générale et chaotique en diable. 


Une mélodie contraste, agréable surprise, bordée d'accordéon magnifique, nostalgique, à part. L'ensemble revêt. un caractère merveilleux, princier, noble et respectable. L'amplitude et le gonflement du son en tempête assourdissant fait le reste de tectonique tonitruante.Et la respiration fondamentale de vie ressurgit comme une lecture anatomique de la musique vivante.Organique et pulsatrice. Menaces d'avalanches ou d'orage à nouveaux se profilent: la météo musicale est bonne! Encore un décollage symptomatique du tarmac, un cyclone, raz de marée, un océan intranquille:dans les remous et vibrations.Vols de nuit en guerre aérienne. 


La cornemuse fétiche et la batterie seront les notes d'épilogue de cette traversée maritime de grande envergure.

A l'église ST Paul le 25 Septembre dans le cadre du festival MUSICA


Onceim
direction musicale et artistique | Frédéric Blondy

jeudi 26 septembre 2024

"mode d’emploi"  et le Scratch Orchestra Strasbourg: vernissage "protocolaire" et délivrance des secrets de fabrication d'une oeuvre. !


 VERNISSAGE-PERFORMANCE
exposition mode d’emploi

Le Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg consacre une grande exposition aux œuvres à protocole des années 1960 à nos jours.

Les œuvres à protocole prennent la forme d’une instruction de l’artiste — écrite, orale ou graphique — pouvant être réalisée (potentiellement) par quiconque. Cette conception de l’art dont on trouve notamment les prémisses chez Marcel Duchamp et László Moholy-Nagy a fortement irrigué la musique contemporaine, de John Cage à Cornelius Cardew ou Pauline Oliveros, de Christian Marclay à Jennifer Walshe. Musica s’associe au MAMCS autour de la section musicale de l’exposition et à travers un concert-performance lors du vernissage.

La vie, mode d'emploi selon Perec: ici c'est plutôt "l'oeuvre, mode d'emploi"!

Alors en avant la musique pour fêter l'absence de protocole de vernissage "officiel" des commissaires et instigateurs d'exposition. On retrouve avec plaisir les artistes en herbe du Scratch Orchestra pour une déambulation percussive à coup de petits cailloux entre les mains des musiciens qui percutent à l'envi dans les salles du musée résonantes: celle de Gustave Doré s'avère fort réverbérante. Sur les cursives de la nef, trois chanteurs angéliques, lointains succèdent à une performance édifiante d'une percussionniste étrange de plain pied au coeur de la nef du musée.. Le gong qu'elle frappe de plus en plus intensément prend des proportions inquiétantes et magnétiques. Jambes rivées au sol, pliées, elle rend le son puissant et proche en résonance pertinentes.Au tour du groupe de performeurs de s'adonner à des jeux sonores inénarrables, assis à terre comme des enfants, jouant et souriants. Leurs instruments ne sont autres que jouets, accessoires désopilants et venus des tiroirs secrets de l'enfance. Ce joyeux parterre amuse et use de ses charmes pour enchanter le public, nombreux, réunis autour d'eux. Cacophonie ascendante et drôlatique pour instruments détournés de leur fonction premières: billes, peluches, hochets, tous de vives couleurs, de métal ou de plastique: une caverne d'Ali Baba, un étal sonore, une boutique chamarrée, colorée, amusante et bien achalandée. Que voici une formule sympathique, engageante et participative, originale pour vernir une exposition de grande qualité: "mode d'emploi" dont les commissaires, chercheurs et organisateurs nous expliquent les règles du jeu en une conférence-rencontre animée. Le "protocole" au coeur du sujet ou les tribulations des monteurs d'expositions actuelles ou "le mode d'emploi" fait se déployer les imaginations, les compétences et les savoir-faire! Une visite "éclair" de l'exposition permet encore de rencontrer musiciens et scratcheur au coeur des salles qu veulent bien délivrer les secrets de fabrication des oeuvres exposées. A suivre...

Avec des pièces de Pauline Oliveros, Takehisa Kosugi, James Tenney, Carol Finer et Cornelius Cardew.

Dans le cadre du festival MUSICA le 26 Septembre

Exposition du 27 sept 2024 au 1er juin 2025


commissariat Philippe Bettinelli, Anna Millers
conseiller Matthieu Saladin

"Patterns for auto-tuned voices and delay": Lisel, seule et avec d'autres espaces

 


Souvent présente auprès de Ted Hearne ou au sein du groupe vocal Roomful of Teeth, également interprète de Meredith Monk ou John Zorn, Lisel (aka Eliza Bagg) développe sa propre pratique expérimentale en unissant voix et électronique.


Dans Patterns for auto-tuned voices and delay, son dernier album paru en 2023, elle projette une grammaire ancienne issue du chant médiéval et de la Renaissance dans un univers minimaliste et ambient, mettant à profit différents effets de transformation vocale (auto-tune, delay, synthèse granulaire) pour atteindre de nouvelles qualités expressives. Une polyphonie solitaire à l’ère de la multiplicité dans l’un.


Seule, robe bleue bouffante, longue chevelure nouée, Lisel prend le plateau, simple, modeste, discrète. La voix se délivre créant des atmosphère monacales de toute beauté Elle crée des espaces sonores virtuel, en 3 D musical qui nous projettent ailleurs.Cosmique ambiance à partir de peu de choses. La pureté de sa voix au timbre chaleureux, angélique propulse dans une atmosphère parfois douce et enveloppante, parfois tonique et virulente. La tessiture de bronze, de beaux graves eb sus et le tour de charme est joué. Dans son ample robe, assise, à genoux elle délivre une âme, telle la muse Echo qui réverbère le son et disparait, désincarnée au lointain. Laissant traces et signes de son passage dans les vibrations et fréquences de sons. Sons fabriqués, prolongés à partir d'une matière vivante et acoustique de cordes vocales bien tendues! Les morceaux s'enchainent dans une logique et fluidité irréprochable. On navigue en poupe sur ce navire à effets vocaux multiples où l'on change de cap à l'envi. Du souffle, de la densité dans sa texture vocale qui se joue des obstacles comme un jeu où les indications et directives seraient à choisir et inventer. Des effets vocaux sidérants sourdent de la machine autant que du corps de l'interprète. Le timbre toujours amplifié, validé et tamponné par la grâce des évolutions de l'artiste, micro en main, regard au lointain. Son "répertoire" indisciplinaire multiforme et polyphonique faisant le reste. Un pur moment de bonheur et d'écoute active, secoué par les ondes sismiques des fréquences vocales inédites.Des voix dévoyées sorties du tunnel.

A la salle de la bourse le 25 Septembre dans le cadre du festival MUSICA