mercredi 12 mars 2025

"Le Rendez-vous" à ne pas rater.... Katharina Volckmer, Jonathan Capdevielle, Nadia Lauro et Camille Cottin ne posent pas de lapin !

 


Vous voulez vous libérer de vos « intrusive thoughts » ? Laissez vos tabous et votre bienséance à la porte du Dr Seligman et prenez rendez-vous.
 


A Londres, une jeune femme allemande observe le crâne dégarni du Dr Seligman en train de l’ausculter. Exilée dans son corps, exilée au Royaume-Uni, elle entreprend de raconter sa transition et de conjurer le silence grâce au rire. C’est le point de départ explosif du Rendez-vous, adaptation du roman de Katharina Volckmer dont Camille Cottin a décidé de s’emparer pour la scène. Plongé·es dans un monologue dont on jubile qu’il ne soit pas resté intérieur, on progresse dans le flux de conscience de cette patiente qui déverse ses fantasmes et ses obsessions : sa fascination pour un créateur japonais de sex-toys, les séances avec son psy Jason, des écureuils comestibles, le pyjama du Führer, une mère envahissante… Le texte flirte avec toutes les lignes rouges de notre société pour explorer la culpabilité allemande, la question du genre, l’asservissement de nos corps et le danger des tabous érigés en barrières morales.


Elle campe un personnage haut en couleur dans ce solo, monologue fameux: c'est Camille Cottin qui s'y frotte avec brio, passion et moultes qualités de jeu dont elle a le secret: variations, contrastes et facéties remarquables. Le corps d'emblée absent dans un prologue dans le noir où seule sa voix émerge et touche déjà. A l'aveugle on la discerne dans des contours sonores qui bientôt se feront chair et sang. Vêtue curieusement d'une couche veste-short dissimulant des collants rouges. C'est un dispositif gigantesque qui la dissimule d'abord. Immense rideau pourpre-violacé comme la couleur œcuménique (Dans la liturgie, le violet est la couleur des temps de pénitence (Avent et Carême) ; on l'utilise aussi pour les célébrations pénitentielles, ainsi que pour les offices des défunts). Couleur liturgique qui évoque le sang ou le feu.) Au sol des plis fabuleux comme autant de vagues se déroulent: un paysage en palimpseste, en strates qui évoquent sans doute les plis et contre-plis de la mémoire, de la psyché. Car ce corps qui apparait tronqué est suspect de mort ou de sommeil. A la Robert Gober, émergeant des tissus froissés. Enfin surgit le personnage, la voix s'incarne et la verticalité se dresse comme érection d'une femme, un être hybride singulier. Elle conte et raconte les péripéties d'un destin étrange, hors frontière qui tisse des rêves et des récits psychanalytiques mordant, lucides, fameuses évocation de secrets intimes. A propos du judaïsme, du sexe.Toujours la vie dans les plis, plis sur plis millefeuille plastique de toute beauté qui bouge, frémit se meut à l'envi dans une extrême discrétion impalpable. Œuvre de Nadia Lauro. Camille Cottin danse, le geste large en première position classique, buste offert et ouvert, plexus solaire à son corps défendant. Elle arpente le plateau savamment dans des gestes précis, mouvant, des attitudes jamais posées sans posture figée. La chorégraphie de Marcela Santander et la scénographie de Nadia Lauro ( plasticienne compère des chorégraphes Alain Buffard, Fanny de Chaillé et Latifa Laabissi) y sont pour quelque chose, un rien de très plastique et mouvant dans le corps de la comédienne. Figures fantomatiques aussi pour ces tentures omniprésentes, personnage à part entière, voilant ou dévoilant les interstices et profondeurs du personnage.

Le verbe incarné sans nul doute pour cette comédienne de "cinéma" plongée et immergée sur scène dans un direct avec le public qui touche. Ce "rende-vous" étrange opère et on la quitte frustré de la brièveté de cette rencontre inédite. Le texte furieux, tendre ou opaque, secrets ou affirmations assumées sur des sujets brûlants d'actualité. Capdevielle se régale de ces situations pour faire évoluer l'interprète dans un bain de jouvence violacé de toute beauté dans des costumes comme des secondes peaux changeantes. Le rouge vif comme celui d'une écorchée vive, le corps modelé dans des oripeaux très seyants. Un monologue, solo qui convoque avec brio toute une gamme nue et crue et façonne un couple comédienne -metteur en scène pour un rendez-vous impatient où chaque instant semble fait pour jouer du corps dans l'urgence et la continuité d'une présence scénique entière, physique, organique incontournable. Du bel ouvrage intempestif et indisciplinaire.
 
[Adaptation du roman Jewish Cock de] Katharina Volckmer [Traduction] Pierre Demarty [Mise en scène]Jonathan Capdevielle [Avec]Camille Cottin Le roman traduit en français est publié aux éditions Grasset & Fasquelle, 2021. Production Les Visiteurs du Soir


 Au TNS jusqu'au 22 Mars


De "Concha" de Marcella Santander, j' écrivais en prémonitoire :"Hortense Belhôte une vraie Camille Cottin ou Valérie Lemercier en herbe !"

mardi 11 mars 2025

"Guest": Noémie Cordier: terpsichore en baskets: une hotesse de choix!

 


Noémie Cordier  Cie Watt Fance1 danseuse + 1 batteur + 1 DJ beatmaker

GUEST

Breakeuse talentueuse, Noémie Cordier signe une ode à l’univers du clubbing. Sur un sol recouvert de poudre blanche, les pas de la jeune Strasbourgeoise tracent une cartographie intime des cultures undergrounds qui la constituent. Formée aux danses Hip-Hop, elle s’est nourrie de capoeira, de house et de contemporain. Cet héritage se cristallise dans un groove témoignant de ses états d’âme, transcrits en pas iconiques (chase, plié, bounce, roll…). L’enjeu étant de conserver l’intuitif de ses gestes, de porter haut un langage corporel métissé témoignant d’une histoire des marges, s’exprimant face à l’oppression, qui s’écoule comme un sablier. Ce « patrimoine vivant et inobjectivable », porte en creux une liberté émancipatrice, une expression existentielle et identitaire. Dans un second temps, elle est rejointe par le batteur Joël Osafo-Brown et un DJ Beatmaker dans une invitation au partage de l’espace pour re-créer du commun avec les spectateurs.


Bienvenue au Clubbing !

Elle prend le plateau dans un beau rituel: se revêtir de talc comme ses coreligionnaires et tracer sur le sol des empreintes de pas en autant de cercles et circonvolution. La danse de Noémie tangue, chaloupe, se tord et ondule à foison avec grâce comme envoutée par une gestuelle qui lui colle au corps, à la peau.Le corps cambré, allongé, flexible, souple comme figure et attitude réitérée.




En training, sobre, tunique à l'indienne, cheveux couronnant sa tête qui ne cesse de dodeliner, elle est rivée au sol et cependant son corps oscille sans cesse comme happé par un aimant invisible. La musique et elle, ne font qu'un qui la galvanise et la propulse peu à peu dans l'espace. Des gestes évoquant l'étroitesse autant que l'embrassement du monde, voilà qui ouvre des perspectives de lectures généreuses et partageuses. Ce solo diffuse émotions et palpitations, éléments naturels et fondateur d'une danse très organique et contagieuse.Le corps de cette jeune femme s'embrase peu à peu et irradie des petits riens en volutes, tournoiements, spirales et autres circonvolutions rares et virtuoses. Sans cesse dans le mouvement qui l'anime, la rend vivante et abordable. C'est le chapitre Un de ce spectacle qui fait place après un petit entracte où l'on peut découvrir son parcours sur la planète avec ses complices de jeu internationaux , à une seconde partie. 


Place à la musique, la batterie et la console pour succéder à tant de plasticité physique incarnée par Noémie Cordier. Batterie affolée de Joel Osafo-Brown qui s'en donne à corps joie puis rejoint la piste de danse pour un solo griffé, prêt à porter à la taille de cet athlète jouissant d'une gestuelle sur mesure. Se joint à lui le beatmaker Micharel Rossi qui n'a de cesse de quitter sa console pour y revenir dans une mouvante ondoyante qui lui sied à merveille Quand danse et source musicale ne font qu'un, c'est à un ravissement que l'on assiste , qui vous étripe et séduit. Rapt et capture, pour rester captivé tout le long de ce show-clubbing de toute beauté. Alors qu'un trio se forme entre les protagonistes à l'unisson de leurs pas électriques et hypnotiques, la petite assemblée réunie autour d'eux se met à bouger en empathie totale avec ce trio d'artistes. Chacun y va de son talent, de sa mouvance en osmose avec le style de danse ici convoquée. C'est le clubbing qui l'emporte, très habité par des interprètes façonnés par cette mouvance ample, sensuelle, ondoyante.Tous très à l'écoute de ces propositions rythmiques engageantes, innovantes , déstabilisantes où équilibre-déséquilibre tissent des relations de déplacements, divagations et autre déambulations hallucinatoires. Communauté, petit groupe qui pulse, respire et tangue à l'envi et ne se détache pas de cette masse en mouvement. Bel échange et partage avec la salle qui n'est pas de reste dans cette communion fraternelle, dansée, en bonne compagnie.

A Pole Sud jusqu'au 12 Mars 




vendredi 7 mars 2025

Karl Naegelen Accroche Note + Étudiants de la HEAR-Musique : une découverte fort bien "servie" !


L’ensemble Accroche Note interprète les œuvres du compositeur Karl Naegelen avec la participation des musiciens de la HEAR-Musique.

 Un concert monographique est toujours le bienvenu pour apprécier, découvrir un compositeur: c'est chose faite en compagnie de Karl Naegelen, musicien-compositeur strasbourgeois servi par des étudiants de la HEAR et des enseignants généreux de leur temps, compétences et talents d'interprètes. 

La première pièce "Modules" s'articule autour d'instruments quasi détournés pour clarinette, violoncelle, harpe et piano. La harpe claque, résonne, le piano trépigne, la clarinette souffle en cavalcade rocambolesque Des ré-percussions fusent de partout puis c'est l'intrusion de l'intime qui prime et magnifie ce curieux quintet. Et en présence de Armand Angster à la clarinette Christophe Beau au violoncelle Marceau Ballou à la harpe, Gabin Domaison aux percussions et Wilhem Latchoumia au piano, c'est "cadeau"!

Pour le chorégraphe Noe Soulier Karl Naegelen avait composé plusieurs pièces dont
"First Memory «Jeté»" pour flûte basse interprété brillamment par  Lisa Meignin :des verbes d'action comme "jeter", "éviter" il compose une partition relevée: un solo avec de longues tenues, des respirations évoquant une narration continue, une autre langue.

 "Accompagnés des gestes musicaux composés par Karl Naegelen, aux prises avec l’espace morcelé conçu par l’artiste Thea Djordjadze, les danseurs combinent, recomposent, juxtaposent des activités en temps réels, jusqu’à produire un espace tissé de correspondances et d’échos. Dans un jeu de va-et-vient entre le visible et l’invisible, le contrôlable et l’imprévisible, la gestualité se propage à tout l’espace – sensoriel, sonore, visuel – creusant les couches mémorielles singulières des interprètes et donnant à voir une syntaxe d’intensités."

Succède "First Memory" pour flûte, violon et guitare: de la finesse, de la douceur dans la lenteur, une guitare intrusive et des sirènes qui mugissent et gémissent grâce à Lisa Meignin flûte,Gaspard Schlich guitare et Margaux Bergeon violon

"L'Étude fantôme pour piano" avec Wilhem Latchoumia revèle des accents de frappe flamenca dans une vitesse effrénée et virtuose, une dextérité percussive intense et forte

"Laïka" pour piano à quatre mains est un hommage bref et volcanique, éruptif à Stravinsky: 45 secondes de folie inventive qui font mouche et touche une cible radicale. Avec
Loup-Guillaume Tual piano et Wilhem Latchoumia piano


Pour "Oh dear ! O Mensch !" - Création (avec l’aide de la SACEM) pour soprano, clarinette, violoncelle et piano Accroche note :Françoise Kubler voix Armand Angster clarinette Christophe Beau violoncelle Wilhem Latchoumia piano se sera pour un prochain épisode en Juillet la chanteuse légendaire étant souffrante.

Quant à "La chute des anges rebelles" pour quatuor à cordes c'est le chaos qui prend le dessus, le relais. Imaginé à partir du choc visuel d'une toile de Brueghel très ordonnée en apparence, c'est le désordre qui s'installe. Un véritable ballet d'archets des cordes pour des glissades subtiles, des dissonances au diapason très vives Fort dansant de surcroit malgré les difficultés de la partition. Un exercice de virtuose pour ces jeunes musiciens en herbe déjà aguéris et galvanisés par une inventivité des tonalités, des contrastes et mutations constantes de sonorités complexes. Avec Matoses Margot violon Liam Lefèvre violon Silvère Couturier alto et Loïc Fontalive violoncelle

"La plainte du Ney" pour saxophone soprano revêt un charme fou entre sonorité de hautbois et flûte: une pièce "schizophrène" aux dires du compositeur avec des échappées belles remarquables, des sortes de reprises comme des leitmotiv qui s'affolent. Avec Chloé Chasson au saxophone, une interprétation précise et habitée, incarnée.Des variations et une grande diversités de sons, des sifflets stridents, au hululement: différents registres de narration musicale d'une grande beauté.


Au final de ce concert unique et singulier "Children’s Folk Songs" pour soprano et ensemble
Plus de six chants et comptines issues de répertoire et influencés par celles de Bério C'est Sara Taboada soprano qui s'y colle savamment et avec un grand talent d'interprète: vivante, habitée, elle saute d'un registre à l'autre sans faille et illumine cette musique tantôt douce et et tendre, tantôt enflammée et virulente comme sur un marché animé D'un cheval hirsute à une balade nostalgique, la voix est vive, rapide, l'élocution précise et tonique. Volubile cavalcade quasi folklorique et chaleureuse, cet opus surprend , séduit, ravit. Avec Louise Deschodt flûte Charlotte Cassagnabere clarinette Silvère Couturier alto Timothée Montreuil violoncelle Marceau Ballou harpe Gabin Domaison percussion Léopold Lemonon percussion et Laure Deval direction

Une heure bigarrée, savante, enjouée de toute beauté en compagnie des jeunes musiciens en grande forme boostés par leurs enseignants et la compagnie généreuse d'un compositeur à qui est rendue justice: faire connaitre son oeuvre interprétée par ses contemporains avides de découvertes authentiques.


Vendredi 7 mars 2025 à 19h Salle d’orchestre Cité de la musique et de la danse