samedi 22 mars 2025

"Magic Maids" Eisa Jocson / Venuri Perera : nos bien aimées sorcières à ballet

 


Eisa Jocson et Venuri Perera, chorégraphes et danseuses, philippine pour l’une, sri-lankaise pour l’autre, viennent de pays connus pour leur exportation massive de main-d’œuvre féminine. Pour leur duo, elles ont recueilli les expériences de travailleuses domestiques. Croisant ces récits avec leurs propres lectures et observations, elles explorent l’image des sorcières à travers l’histoire de l’Europe et la façon dont celle-ci perdure dans l’exploitation des femmes.


Au plateau, elles s’adjoignent les services d’un objet particulier : le balai. À la fois attribut magique et outil de travail, il devient symbole d’oppression tout autant que de révolte, avec lequel interagissent les corps. Empruntant aussi bien au cérémoniel qu’à la chorégraphie, Magic Maids est une incantation originale contre l’invisibilité du soin et révèle les représentations d’un corps féminin colonisé. Le sens de l’humour autant que celui du rituel ont leur part dans cette performance qui fait vaciller les rapports de pouvoir, en y opposant la solidarité féminine et l’intimité.

Coups de balais
Dans un silence absolu quasi religieux, un curieux cérémonial s'installe sur le plateau. Au mur, une collection de balais comme dans un musée ethnographique .Deux jeunes femmes, pieds nus, tuniques colorées et collants résilles de mailles et filets noirs très seyants, arpentent, plein feux avec le public cette surface de réparation que devient la scène partagée. Longues marches lentes et pieds posés largement sur le sol comme un rituel calme et reposé. Les manches des balais coincés et maintenus entre les cuisses, l'extrémité comme un symbole phallique dressé en érection. Leurs allées et venues hypnotisent longuement, fascinent par leur lenteur et concentration. Elles dessinent des figures géométriques, façonnent d'étranges formes de bestioles, insectes à longues pattes, araignées d'eau. L'atmosphère est cependant sereine, les balais tanguent entre leurs jambes, métronomes ou compas pour modèle ou instrument de mesure de l'espace. Comme des vecteurs de mesure, de critères, de mensurations. Elles prennent la parole, se racontent en femmes de chambre, travailleuses et techniciennes de surface en proie à leur instrument de travail: le balais: ballet mécanique à la Fernand Léger comme autant d'images qui se succèdent. Le labeur esthétique est très réussi et opère dans les imaginaires aussi comme cheval à chevaucher de sorcières à balais. Femmes démoniaques et pleines d'humour, de sensualité, de beauté, simples, enjôleuses, charmeuses. Les deux interprètes se livrent à un échange de paroles, de clins d'oeil et autres facéties savoureuses.Instants où ces bonnes à la Jean Genet imitent les dialogues entre patronnes bourgeoises de la haute société. Bonnes à ne pas tout faire: il faut en adopter une! Question de bonne conscience aussi. La critique sociale à fleur de peau, la pièce joue sur la distanciation, le recul et les traces blanches laissées sur le sol deviennent aire de jeu, surface de dessins et esquisses éphémères de toute plasticité. Poussière, résidu, à évacuer , blancheur virginale de l’effacement. Perdre ou garder la trace de cet esclavagisme sociétal dont sont victimes les femmes de par le monde. Faire le ménage encore et toujours comme une tâche journalière, une fonction professionnelle de bas niveau de considération et reconnaissance . La relation qui lie les femmes de ménage et leurs employeuses relève bien souvent d'arrangements qui témoignent d'un souci commun de pacifier une relation très asymétrique: employées et employeuses en tête de gondole
 
Adopter un ballet
Agents de service, gardiennes du foyer propre et désinfecté, clinique. Les deux danseuses arborent toutes sortes de balais, plumeaux de paille en main et secouent le cocotier de nos habitudes.En palmes académiques, en palmes d'or pour ces métier du nettoyage, de l'entretien domestique. En "mon truc en plumes" sans Zizi ni YSL mais avec la crudité de la réalité sociale.De servantes serviles elles basculent en heroines et cèdent leur balais au public, brandissant ces objets fétiches comme des talismans ou amulettes fabuleuses. Au travail, les spectateurs évacuent la poussière sur fond de musique dansante. Et vous prenez quelques années de plus, quelques "balais" au compteur. 
 

On se souvient des 60 balais de Daniel Larrieu dans "Littéral" qui plastiquement évoquait ce fabuleux porte drapeau de la femme de ménage devenues ici femmes de méninges et actrices d'un pamphlet haut en couleurs. Un ballet ni blanc ni rose qui réjouit et questionne très efficacement nos pensées poussiéreuses.Des agentes de police d'entretien porte parole de choc!Corps de balais inégalé. Notre Dame du Balai, dansez pour nous! On ne sera pas manche.
 

lire:L'industrie mondialisée du travail domestique aux Philippines Recruter, former et exporter l'altérité Julien Debonneville De l'Orient à l'Occident  et 

 Corps de ballet de Marion Poussier et Mohamed El Khatib


Au Maillon le 21 MARS

jeudi 20 mars 2025

TRAVAUX PUBLICS William Cardoso – "Deadline" : brut de coffrage, tabula non rasa cathartique.

 


TRAVAUX PUBLICS
William Cardoso – Deadline   


Indispensables lieux de fabrique, les CDCN permettent chaque année à des dizaines d’artistes de créer de nouveaux spectacles dans de bonnes conditions techniques et financières. À POLE-SUD, un grand espace leur est dédié et nous participons, grâce à ce dispositif financé par le Ministère de la Culture et les collectivités locales, à la production d’œuvres régionales, nationales et internationales.   Certaines de ces résidences ouvrent leurs portes au public lors de soirées 2 en 1 où vous pouvez découvrir gratuitement une étape de travail, les « Travaux publics », à 19:00 et un spectacle de notre saison à 20:30.   


La compagnie de William Cardoso est basée au Luxembourg et se produit sur le territoire national et international. Son travail est connu pour son esprit contradictoire, imprévisible, créatif et engagé. Abordant des thématiques intimes et personnelles, ses pièces pointent du doigt une société hétéronormée et patriarcale. Affamé par le changement et habité par la rage de l’injustice, son travail se concentre beaucoup sur une idée de combat, une danse contacte prise à contre sens qui se résume par un aspect non fluide et des mouvements secs et bruts.    

Que voici un riche moment de découverte et d'échange en compagnie d'une oeuvre en train de naitre et de se fabriquer en toute modestie et sans jugement. Lumière brute de néons d'ambiance globale au studio pour le public et sur le plateau. Trois corps sont déjà présents juchés sur un dispositif curieux de tables alignées, surhaussées: tables opératoires, paillasses de laboratoire...L'imagination est déjà ébranlée et convoquée. Les visages occultés par des bandelettes, pansements ou tissus médicaux. Les têtes sont penchées, les dos courbés, soumis à une douleur , une affectation, un traumatisme. Deux de ces être hybrides manipulent un troisième corps étiré, tiraillé qui tente de reprendre pied sur ce socle tabulaire. Vision dantesque de tyrannie, d'oppression. De soumission mais de résistance aussi à ce qui est infligé à ce corps meurtri. Les ébauches de chorégraphies font état de corps tant la plastique, la sculpture des muscles des interprètes est sensible et facture de sens et de beauté quasi masochiste. Trois êtres masqués offrent des visions corporelles qui en disent long et interpellent. Pourtant avec peu de moyen encore mais des intentions claires et limpides sur le propos de la fracture. Ce trio indisciplinaire se meut, animal, batracien collé au mur ou reptiles à deux pattes. A demi nus, torse à découvert, slip blancs comme une certaine virginité convoquée par le chorégraphe. Un compte à rebours en langue allemande est simulacre de vanité, une musique s'immisce dans ce chaos corporel, physique à vous couper le souffle. Une énergie féroce, assumée déborde et l'empathie est soudaine, perdure durant ce court laps de temps où l'on est invité à regarder, apprécier un opus en cours de fabrication. Les interprètes aux regards masqués soulignent ce désir de communiquer par le biais du corps, de sa matière, de son existence, de sa présence sur le plateau. Et les tables de se transformer en ère de jeu comme un puzzle ou mikado géant pour accueillir les sauts écartelés, les jambes musclées et les corps charpentés de ces artistes à l'affut du risque, de la tension, du drame charnel de rupture. Tout cela augure d'une pièce à venir forte et sans concession à la forme. Du vécu autant pour celui qui regarde que pour ceux qui occupent le plateau avec une conviction et un engagement évident. William Cardoso à l'écoute de ses complices danseurs performeurs brutes de coffrage à la charpente solide dans cette atmosphère clinique sans équivoque. A découvrir sans délai et avec impatience.

 Résidence : LU 17 > VE 21 MARS 

A Pole Sud le 20 Mars

Catarina Miranda "ΛƬSUMOЯI": spectrals ectoplames fluorescents sans densité ni matière

 


Catarina Miranda Portugal 5 interprètes création 2024

ΛƬSUMOЯI


Catarina Miranda ne laisse rien au hasard. Ses scénographies captivantes – réalisées par ses soins – font écho à son travail de plasticienne, mené en parallèle de celui de chorégraphe. La Portugaise, dont les visions d’états de corps altérés du solo Dream is the dreamer avait marqué la saison dernière, délaisse les motifs du rêve au profit d’une relecture personnelle d’une pièce de Théâtre nō du XVe siècle : Atsumori. Zeami Motokiyo y conte le retour du fantôme d’un enfant sur le champ de bataille qui l’a vu périr, afin de venger sa propre mort. Après l’avoir étudié à Kyoto, en 2018, Catarina Miranda l’aborde aujourd’hui par le double mouvement de la perte et du début des cycles, lié à l’attirance pour l’inconnu. Cinq interprètes conjurent le mauvais sort dans un rituel inspiré par des danses populaires revisitées. Un plateau lumineux et une sculpture suspendue esthétisent l’atmosphère autant qu’ils dilatent le temps, amplifiant un jeu d’ombres où les corps se dissolvent et se transforment pour mieux coexister.

 


Et l'on en dira pas vraiment plus que cette belle note d'intention et que ces magnifiques photos qui présageaient du meilleur et non du pire. Quand apparait un étrange bibendum empaqueté sur le bord de scène, sorte de guerrier samouraï gonflé à bloc, gesticulant désespérément  et que s'ensuit un quatuor ou trio qui enflamme à l'aide de briquets de petites lucioles ou feux follets de pacotille, tout parait léger et futile, esquissé et déjà dépassé. La suite des déplacements, divagations à l'unisson de mouvements surfaits et archis dévidés depuis belle lurette augure du reste. Costumes et maquillages surfaits, lisses, quasi peintures esquissées en bavures pastels ou aquarelles, l'espoir de se laisser aller à une découverte, disparait, s'efface comme ces soit disant ectoplasmes issus en direct d'une pseudo inspiration japonaise. Qu'est ce qui coince et ne fait jamais surface dans cette gestuelle quadrillée, étouffée qui ne laisse aucune faille ni issue de secours à notre imagination? En fouillant bien, est-ce la musique martellement sempiternelle, percussive très artificielle qui contribue à ce dialogue de sourd entre celui qui regarde et ceux qui exécutent une mise en espace indigente et frustrante? Pourtant un dispositif et des effets lumineux sophistiqués auraient pu assurer ambiance, univers secrets de yokais ou autres être hybrides singuliers....Seul un magnifique solo au final baigne dans une douceur, une élasticité du corps, une musicalité qui surgit et respire profondément. Moment de grâce dans ce bouillon brouillon et bruyant qui maintient pourtant aux aguets. A quand un instant d'inventivité, de charme ou de rêverie qui ferait écho aux intentions et revendications de la chorégraphe inspirée du Japon...Matière à songer à une scénographie prometteuse qui lèche et séduit mais ne fait que décor surfait d'une prestation vide de sens.
 
Direction artistique, chorégraphie et costumes : Catarina Miranda 
Co-création chorégraphie : Cacá Otto Reuss, Joãozinho da Costa, Lewis Seivwright, Maria Antunes et Mélanie Ferreira 
Performance : Cacá Otto Reuss, Hugo Marmelada, Lewis Seivwright, Maria Antunes et Mélanie Ferreira 
 
A Pole Sud le 20 Mars