dimanche 13 avril 2025

"Grenz-Thérapie": à bon port, salut: les Clandestines et Abril Padilla passe-murailles!

 


Abril Padilla & Les Clandestines vous invitent à découvrir :
GRENZ-Thérapie #2, performance musicale
Au cœur du quartier des Deux Rives, GRENZ-Thérapie s'installe au CRIC, un lieu transfrontalier en pleine effervescence où travaillent et se rencontrent des artisan.e.s et artistes.
Cette performance musicale et poétique explore le thème des frontières, questionne les notions de distance physique et émotionnelle à travers le son et le jeu. Frontières politiques, artistiques, linguistiques ou personnelles... Les frontières craquent, grincent, séparent et réunissent, nous traversent.
Les ateliers du CRIC, nichés dans le Grand Garage, offrent un espace partagé où s'entremêlent des ateliers en bois à géométrie variable. Cette architecture invite à la déambulation et propose une réflexion ludique et musicale sur les frontières. Une performance basée sur la parole et le passage d'une langue à l'autre, créant une véritable "forêt de langues" où se côtoient le français, l'allemand, l'alsacien...

Le CRIC résonnera de divers langages musicaux – musique actuelle, électro, répertoire traditionnel – orchestrés par les musiciens nomades Abril Padilla, Mathieu Goust et Christophe Rieger. Le public sera invité à composer sa propre trame sonore en se déplaçant à travers ce labyrinthe de ruelles, à adapter son point de vue et à vivre, le temps de la performance, sa propre expérience des limites et des frontières.
 
 

La déambulation est leur credo, le leitmotiv de ces nomades sans frontières, arpenteuses de territoires, femmes de terrain et de terroir...Passeuses et passagères , passe-murailles, elles franchisent les limites, les défenses, escaladent les murs et poussent les portes des convenances. Alors, le grand "garage" du CRIC sera ce port sans attache, ce non lieu, ce troisième lieu, endroit de tous les possibles. Elles apparaissent au lointain, ces 7 doigts de la main, haut-parleurs brandis, rouges  chatoyants. Emblème et mascotte du groupe avec leur entonnoir, volubilis ouverts offerts à l'écho de leurs voix: porte-paroles poétiques, compagnons de route. Elles nous invitent à entrer ou sortir par de multiples portes: celles de jeux de mots, de virelangues, calembours et autres expressions faisant appel au sens des mots: "entrée en matière" ou "sortie de secours" et autres fantaisies...Le ton est donné, incongru, jovial, décalé, glissant, mouvant.Comme à un jeu de scrabble, perchées, elles déplacent et collent des lettres pour en faire de nouvelles adaptations sur les vitres du garage. Les mots, les langues vont ici se croiser sans cesse: de l'Allemand fort bien maitrisé, de l'Alsacien truculent et bien remodelé pour ses sonorités, du français pour faire sonner le reste. Le brouhaha ambiant cesse, bruits de machines fracassant pour laisser place à un instrumentarium singulier: objets du quotidien détournés, moules à kouglof et autres trouvailles hétéroclites ustensiles de cuisine. Ça percute et ça résonne sous les mains agiles de deux musiciens fidèles compagnons du collectif et d'Abril Padilla, maitresse du jeu musical.Et le public nombreux de passer douanes et frontières par un passage étroit où il est passé au scanner de vigiles de sécurité fantoches. On se prend au jeu du passager clandestin dissimulant quelques marchandises illicites. Dans le grand hall, la suite va bon train, pour quelques petits groupes happés par les comédiennes contant les litanies de Vaduz, l'oeuvre fleuve de Bernard Heidsieck! Un régal de sonorités en échos multiples résonne à l'envi. Elles sont tout de noir vêtues jusqu'à revêtir leur bleu de travail, tabliers uniformes. Et l'on navigue dans cet espace à la rencontre de chacune avec sa voix, son accent, sa carrure. Des physiques bien plantés, solides et réjouissants, engagés dans la lutte et le combat de la performance.Sororité inévitable et joyeuse, complicité de mise et espièglerie fantaisiste au poing.E la nave va  bon train. Les langues se catapultent, la lecture de magnifiques leporello se transforme en ribambelles d'origami ou éventail tout blancs, devenus plus tard frontières terrestres au sol qui entravent la circulation des corps. Un jeu de questions avec le public amené à réagir à sa guise sans contrainte ni obligation rythme la prestation. La ronde s'impose comme forme de danse collective en cercle où les corps tricotent des mouvements de bras, reliant les unes aux autres. Sourires complices et joie contagieuse à la clef. Encore une séquence étrange et absurde de prise de mensuration par des couturières-infirmières en blouse blanche qui se solde par un tableau géant de post-it reliés par les fils de laine. Joli et tendre esquisse d'une carte du tendre des trajets, frontières du monde.
 

Une vision plastique et sonore de toute beauté s'invite lors de leur escalade d'un escarbeau géant sur roulettes. Les porte-voix comme des sortes de liserons incandescents, bouches rouges ou lèvres ouvertes aux sons des voix. Sur ce phare ou mirador sonore, vivant de toutes les vasques des haut-parleurs rouges, évasés comme des bouches ou lèvres béantes.Perchées, les interprètes semblent jubiler discrètement. Et au loin derrière les grilles du couloir on les retrouve chantant quelque chant engagé, au loin déjà. Les au-revoir pour le grand hall où elles affichent leurs étendards de couleurs comme des drapeaux de territoires à défendre, se les nouant sur la tête comme des coiffes exotiques de femmes laborieuses. C'est fort et touchant, digne image légitime des postures et attitudes des comédiennes se jetant dans la bataille de la performance de proximité. C'est ainsi que sereines, nos sept reines d'un jour quittent les lieux esquissant pas de danse, entonnant à nouveau quelque chant révolutionnaire engagé. Au loin, la mer se retire. 
Le spectacle des Clandestines, accompagnées de trois musiciens fantaisistes dans ce lieu de choix est un pari audacieux gagné et cet après-midi en leur compagnie charmeuse est une expérience hors pair. Saute-frontières et passagères uniques d'un univers créatif sans limite.On sort de sa zone de confort pour aborder une réalité transfrontalière incontournable. La poésie fait le reste de port en port.
 
 Projet soutenu par le Festival Lire notre monde
Strasbourg Capitale mondiale du livre - Unesco 2024
 
Au CRIC le 13 Avril

samedi 12 avril 2025

"Quelque chose rouge" : faut pas que ça saigne...Eleonore Barrault et le groupe 49 accouchent d'un heureux événement!

 


Soyez les premier·es à découvrir l’univers des deux élèves metteur·ses en scène du Groupe 49 : Éléonore Barrault et Juan Bescós. Pour leur première création collective en demi-groupe, iels ont choisi leurs équipes artistiques, conçu et suivi toutes les étapes de leur projet qui s’ouvrira au public en avril 2025 dans les salles de l’École du TnS.
  Ce spectacle ne cherchera pas à représenter une bonne fois pour toute ce que des millions de femmes ont déjà vécu. Et d’ailleurs, disons-le tout de suite, personne ici n’a accouché.

C’est une histoire qui vient des grottes. Histoire de douleurs, histoire des femmes, histoire de l’art. 


Lorsqu’on s’y intéresse, les récits et les représentations d’accouchement se révèlent souvent tronqués, impossibles à dire, occultant les questions de violence et d’appropriation. L’accouchement est surtout l’occasion d’un discours sur la joie d’une transformation, d’une nouvelle vie, etc. Mais de quelle joie s’agit-il ? On a caché le rouge, on a caché la douleur. On a sorti du cadre le corps des femmes en train d’accoucher. Les peintures qui nous restent sont celles des naissances. Vierges à l’enfant. Décevantes.

Alors, qu’adviendrait-il si nous racontions l’histoire du point de vue de ce corps disparu ? Avec quelles couleurs pourrait-on peindre cette expérience singulière ?

Le spectacle cherchera à dessiner ce quelque chose rouge au bout de la grotte, sans détourner le regard.


L'école du TNS: une mine d'or, de talents, d'expérimentations: cinq spectacles à la clef de ce mini festival riche de découvertes. Au sein de l'établissement dans la salle de travail des comédiens, c'est à un autre "travail" que l'on va consacrer notre temps: celui des sages femmes, ces mater dolorosa qui calment et délivrent les corps des parturientes. Beau sujet jamais abordé excepté sous forme de métaphore ou de suggestion: sortir de la cuisse de Jupiter ou des côtes d'Adam: qu'est ce qu'on nous cache, qu'est-ce qu'on ignore, quel est le déni sur cette expérience humaine à priori si naturelle, si évidente? Les tabous sociaux, ceux de la religion, du pouvoir, du machisme sans doute. C'est à toutes ces histoires, ces récits de vie que l'on va assister en bonne compagnie: celle de quatre comédiennes et un jeune homme, sage-femme qui se livrent à l’exécution de leur métier devant nous, devant ou derrière de longs pendrions opaques, comme ceux d'un hôpital. Une table de travail, des blouses bleues de travail, des chaussons en caoutchouc et le tour est joué Verve et enthousiasme à la clef pour cette communauté, cette tribu joyeuse qui s'interroge sur les origines de la vie, les traces quelles gardent sur les parois de nos grottes rupestres: le sang des empreintes des doigts des accoucheuses.. 
 

Beau travail de recherches, d'iconographies sur le sujet des femmes et de leur ventre rond, de leur sexe à découvert sur la table d'accouchement. Sans pudeur ni omission, l'origine du monde se délivre, cette "délivrance" salvatrice, secret de famille ou simple acte chirurgical en cas de panique...Les textes virevoltent dans une cadence, un rythme effréné, habités par les interprètes, longues litanies précipitées sur le travail ou ronde folle comme un inventaire des fantasme sur le trou, la béance chez Rabelais avec son banquet de héros sortis de partout sauf de l'utérus, de son col qui se dilate! Col à franchir, voie de passage qui se déchire ou pas: tout est évoqué cliniquement sans heurt, avec tact et doigté dans une mise en scène factuelle: tentures rougeoyantes pour évoquer le sang, les menstrues, l'expulsion du nourrisson. La douleur avec ses cris et chuchotements, la fascination ses corps donnant la vie. Les artistes sur le plateau s'en donnent à coeur joie, dévorent sans cesse fruits et autres grappillages pour  nourrir  leurs angoisses, calmer la faim et la soif de survie. Le rythme est incessant, les femmes galvanisées par ce sujet si rarement évoqué. On chasse le détail, l'anecdote ou l'aveu sur le sujet dissimulé par des siècles de silence et de contraintes. Ici on délivre le vrai et l'authentique sans fausse couche ni embryon de pudeur. Le plasma, les eaux sont chose rouges ou transparentes, évoquées crument, organiquement, sobrement. Jusqu'à devenir décor en vidéo aqueuse sur le mur de fond de scène. Pas de pleurs ici mais une réalité animée, joyeuse face au destin incontournable des femmes enceintes. 
 

Eléonore Barrault se joue des obstacles et tissus et corps s'enveloppent jusqu'à devenir toiles de maitre peintes, ou voiles plissés de Vierge Marie et son déni de grossesse! La dramaturgie de Beaudoin Woehl joue le jeu de la montée en puissance des textes choisis et jetés sur le plateau avec force et engagement. 
 

La scénographie de Inga Adeline Eshuis répond en écho aux allées et venues de ces femmes au travail, pressées, enjouées, toniques. Et les costumes de Nais Theriot s'adaptent au sujet dans les plis et replis de drames ou de réjouissances: les tissus se font robes, tabliers, voiles ou vêtements de sacrifice sur l'autel de la gynécologie d'urgence! C'est beau et vivant, rouge comme le sang de la vie, ou pastel comme la toile évoquée de Paula Modersohn-Becker qui comme une toile de Rutault ne dévoilera jamais sa face cachée...Tout ici est "féminin" pluriel, bien genré, tempétueux et généreux. Les comédiennes Louise Coq, Emma Da Cunha, Zélie Hollande, Mina Totkova y jouissent du plaisir du jeu et dévorent ce festin de fruits et grignotages défendus, The-vinh Tran fait un numéro d'inventaire des Dieux des monstres nouveaux nés de légende et odyssée de toute beauté!
 

La ronde finale sur du Sclavis, musique à danser, clôture l'opus sur des notes d'espoir et de fraternité, de sororité et autres liens en phase avec le cordon ombilical à couper absolument pour délivrer l'identité et l'être ensemble. Poussez, tout va bien! Sans forceps ni césarienne!

[Mise en scène] Eléonore Barrault
[Dramaturgie] Baudouin Woehl
[Scénographie] Inga Adeline-Eshuis
[Costumes] Naïs Thériot
[Création et régie lumière] Syrielle Bordy
[Création et régie sonore et vidéo] Félicie Cantraine
[Régie générale et plateau] Lucas Loyez
Avec Louise Coq, Emma Da Cunha, Zélie Hollande, Mina Totkova, Thê-vinh Tran.

Au TNS jusqu'au 12 AVRIL

vendredi 11 avril 2025

Ecole du TnS - Aurélie Debuire - Groupe 48 "Service de la perdition et du beau temps": la météo est bonne....

 


Bonjour Madame. 

Vous êtes morte. 
Bienvenue dans la mort. 

Comme point de départ de cette création, il y a la mise en scène d’un espace qu’on peut en vain imaginer : l’au-delà.Intimement, ce moment, qu’on pourrait appeler spectacle, est une tentative échouée d’échapper à la mort. Intimement, ce moment, qu’on pourrait appeler spectacle, est une prière collective, une méditation, une tentative hautement spirituelle et sceptique. 
Au Service de la perdition et du beau temps, on peut jouer et écouter son silence. 
C’est redondant, extrêmement ennuyeux, extravagant, absurde, dithyrambique, finement choisi et millimétré. Mais vous savez, Au Service de la perdition et du beau temps, Le langage n’est pas fait pour se comprendre.

Saint Guillaume, un temple peu orthodoxe se prête au jeu de l’accueil d'une pièce de théâtre inédite, tout droit sortir de la langue fantasque d'Aurélie Debuire. Une vasque immense, une nef en coquille de bateau réduite pour l'occasion en un boudoir rougeoyant, tapis rond et rideau plissé rouges, lampadaire design appuyé sur un socle. Dans cette atmosphère sulfureuse, opaque, brouillard garanti, on distingue à peine une sorte de statuaire immobile, pétrifiée. Quatre corps tétanisés par la mort..? L'un s'éveille, se dresse, vêtu d'une tunique longue, apprêtée à la taille, gonflée de manches et d'épaulettes en forme de crête de coq. Baroque créature curieuse. Une seconde peau diabolique pour ce messie qui fera la pluie et le beau temps, la météo de la mort lente ou subite des trois autres personnages.L'un, chevelure luxuriante, visage trempé d'inquiétude et deux autres femmes ou êtres androgynes. Alice, dite Marthe, morte et ressuscitée le temps d'être maintenue en vie par des battements de coeur improbables. Apolline Taillieu, belle dans sa jupe-tutu, sanguinolente, peinte sur tissus comme une toile sans cadre ni armature. Les costumes sont aussi absurdes que le texte qui sourd des lèvres de cet officiant diabolique, clef de voute d'une architecture scénographique spirituelle en diable. Les masques trompent l'oeil et induisent les perspectives sculpturales des corps en leurre corporels et organiques dignes d'une commedia dell'arte povera! Et plis selon plis en osmose avec les pans de tissus rouge sang, les costumes se fondent dans une vie sous les plis baroques de Deleuze.



Une apparition de derrière le dispositif rouge du rideau de fond  fait de notre anti héros un évêque digne de Francis Bacon et tout ce meut ici en gestes hallucinés, grandiloquents sans être ni caricaturaux, ni redondants. Les chutes des corps façonnées par un savoir être corporel digne de danseurs.Un proscénium de marches se renverse pour mieux accueillir ces situations absurdes et grotesques. Nous sommes au théâtre , rituel quasi carnavalesque, au sein de l'église . La dévotion des personnages face à cette mort omniprésente est combat, lutte féroce et belle. Pas de pathos mais une dure réalité où de battre mon coeur ne cesse.Prophétie, sermon salvateur, texte ingénieux et toujours surprenant, l'opus vagabonde dans cette acoustique naturelle de cathédrale qui réverbère le son à l'envi. Paroles et cris sublimés par l"écho et le retour naturel du texte énoncé.


Némo Schiffman, le secrétaire, le Grand D en forme surprenante, texte majeur émanant de tout son corps, son regard, ses postures et attitudes poignantes. Son silence, ses mouvements tétaniques, interrompus pour mieux incarner une sorte d'Ubu Roi surréaliste.Belle performance d'acteur, visage de furet aux aguets , magnétisme empreint de malice, versatilité et autres facéties très convaincantes. Un "artiste" assurément.Dans sa longue toge, prêtre et bonimenteur pour blasphème œcuménique savoureux...Un moment de théâtre rare et insolite qui donne la mesure du  talent d'auteure et metteuse en scène de Aurélie Debuire accompagnée de la scénographie intuitive de Salomé Vandendriessche et des comédiens fort affirmés tel Thomas Lelo, Blanche Plagnol, Apolline Taillieu. Le tout haussé par une ambiance sonore signée Mathis Berezoutzky-Brimeur, épousant l'acoustique du lieu de manière judicieuse: ambiance glauque ou solaire des sons environnants, créant une vasque sonore en ricochet comme ces corps qui se lovent et répondent en écho à l'absurdité de ce monde de science friction étonnant, détonant. Chacun quitte le plateau sur le chemin de la mort en direction d'en néant bien tentant et attractif.Le coeur et l'amour sous le bras pour mieux caresser en embrasser la camarde. Au service de la perdition et du beau temps, la météo est bonne!

 


[Mise en scène - écriture] Aurélie Debuire
[Collaboration artistique - dramaturgie] Thomas Lelo
[Scénographie - costumes] Salomé Vandendriessche
[Créateur lumière et sonore] Mathis Berezoutzky-Brimeur


Avec 
Thomas Lelo - Âme 2019, Cœur 2019, Cerveau 2019
Blanche Plagnol - 3.290.114, Cœur 3.290.114, Cerveau 3.290.114, Peau Lisse
Nemo Schiffman - Secrétaire, Grand D
Apolline Taillieu - Alice, Marthe, Cœur Alice, Cerveau Alice

 

  Eglise Saint-Guillaume École du TNS jusqu'au 12 AVRIL