mercredi 23 avril 2025

"Valentina" de Caroline Guiela Nguyen : atout, coeur.

 


Un soir, au retour de l’école, Valentina découvre un mot sur la table. Il a été écrit en français par le médecin, pour sa maman, qui ne parle pas la langue. Il faut traduire. Valentina se tient là, face à sa mère, la vérité imprononçable en bouche : une nouvelle qui pourrait abîmer le cœur et provoquer un incendie dans leurs vies. La vérité, on l’ordonne ou on la retire, on l'espère ou on l'étouffe. Elle est la flamme autour de laquelle gravite la nouvelle création de Caroline Guiela Nguyen, écrite comme un conte, au plus près du métier d'interprète professionnel franco-roumain.

Un conte de fée contemporain, une histoire qui se tisse par delà le miroir du décor, par delà les frontières des pays européens, une pièce de théâtre tout simplement: voilà ce que pourrait être "Valentina" cette enfant qui a inspiré le fil de la narration de destins communs d'une famille dont la "maman" est frappée d'une maladie cardiaque. Mais comment communiquer cette situation quand on est roumain, qu'on ne maitrise pas la langue du pays d'exil, la France en l'occurrence? Ce sera à coup de "mensonges", de quiproquos que se défile l'enfant qui aura la charge de porter le secret de sa mère. Au médecin dont elle devient l'interprète malgré elle pour  que sa mère soit entendue, écoutée, respectée dans un monde médical pressé, hautain, désincarné et déshumanisé.Critique ouverte de la part de l'autrice sur ces violences psychologiques faites ainsi aux malades qui souffrent autant de leur handicap que du mépris et de l'incompréhension de l'autre. Inaccessible. Heureusement dans l'univers de Valentine il y a le cuisinier-interprète de l'école,Marius Stoian, la directrice qui n'ont que de bonnes intentions à son égard. Celle de comprendre, concilier, harmoniser les choses en toute empathie et sympathie. Chloé Catrin endosse brillamment deux rôles, le passage à peine perceptible de l'un à l'autre: la directrice affable et bienveillante et l'odieuse médecin impatiente et débordée.Le père, Paul Guta qui est resté en Roumanie, musicien violoniste reste présent malgré les distances.Les mensonges et autres cachotteries l'affectent et l'intriguent...Et la "maman", Lorédana Iancu, actrice dite amateure rayonne dans ce rôle, autant que sa fille Angelina en alternance avec Cara Parvu qui jubile dans cette prestation hors pair. Une enfant d'une grande maturité, d'une grande fraicheur affronte un rôle majeur et des situations difficiles, cruelles mais hélas réelles.Mère et fille y développent une singulière expérience de sororité inédite!


Alice Duchange met toute la religiosité de la pièce dans une scénographie évoquant ce coeur sacré, icône vénérée dans une niche d'église orthodoxe sans aucun doute, alors qu'un caméraman suit en direct toutes les évolutions des personnages reproduites sur un petit écran: fenêtre ouverte sur des gros plans de visages joyeux ou défaits en toute fausse proximité.La pièce touche, les battements de coeur ne vont pas cesser , de "battre mon coeur s'est arrêté" n'aura pas lieu pour autant, à "120 battements par minutes" la maladie va reculer, disparaitre comme par enchantement ou par miracle. Car si l'enfant absorbe les maux de sa mère, s'en charge jusqu' à mimétiser et tomber malade c'est pour mieux ressusciter par le mensonge. Celui de tous y compris du médecin et d'autres complices. La figure de "La Reine de la nuit" comme rédemptrice figure de proue du don, de l'abnégation est forte et conclut l'opus par du brillant, de la joie, de la danse. Ce costume endossé par la fillette si responsabilisée, comme seconde peau, la sauve de toute toxicité familiale. Car la fusion mère-fille est condamnable et dangereuse même si non voulue ni préméditée. L'inconscient du conte de fée ici présent expliquerait bien des pistes à la Bettelheim (psychanalyse des contes de fée). Non expurgés de leurs significations. Loin d'être une simple fable, "Valentina" va droit au but sans détour; poser et dénoncer des réalités sociales, culturelles ignorées qui sapent une partie de la population étrangère d'un pays: la langue comme clef unique de communication et d’accès à bien choses.La langue comme passe-muraille, passeport assermenté de nos relations institutionnelles.

 Au coeur de la vie, au pays de l'enfance, petit pois ou gros nounours le mensonge A est roi!

Au TNS jusqu'au 30 AVRIL dans le cadre des Galas

vendredi 18 avril 2025

Stefano Di Battista se fait la vie douce ! « La Dolce Vita » et tutti quanti !

 


Après Morricone Stories dédié à Ennio Morricone, le saxophoniste italien Stefano Di Battista est de retour avec La Dolce Vita, un projet ancré dans la culture populaire de son pays.
En quintet, il fait résonner sous un nouveau jour les chansons italiennes emblématiques de l’âge d’or de l’Italie en naviguant entre ferveur et nostalgie. Pour cette soirée à la Briqueterie, Stefano Di Battista fait résonner les thèmes rendus célèbres par Paolo Conte, Andrea Bocelli ou Lucio Dalla et met à l’honneur des compositeurs comme Renato Carosone ou Nino Rota. 


 La vie est belle

Quand le "bon", la brute" et le "truand" rencontrent le "parisien" et le sicilien, c'est à un effet de bombe musicale , joyeuse, virtuose et inventive que l'on assiste. Ou plutôt participe car le don de Stefano Di Battista c'est aussi l"animation, le contact avec le public, la verve et simplicité du contact. C'est dire si ce soir là au sein de La Briqueterie à Schiltigheim, l'ambiance était décontractée et bon enfant en compagnie de cet artiste virtuose du saxophone, hors pair.Les morceaux de choix du dernier album du groupe constitué autour du Maestro, La Dolce Vita" se succèdent avec délice, malice et inventivité. Reprendre des "tubes" de référence de la musique italienne, est un pari audacieux: Nino Rota, Lucio Dalla, Paolo Conte et Ennio Morricone se rencontrent et se catapultent sur le plateau en bonne compagnie. Les mélodies se reconnaissent certes, bordées d'ornements musicaux incongrus, adaptés à, chacun des virtuoses en leur genre. Le tout jeune trompettiste Matteo Cutello comme une égérie du groupe ce soir là, porté aux nues par Di Battista comme un fils légitime de son esthétique sonore. C"st drôle, réjouissant et convivial et l'ambiance dans la salle se fait chaleureuse en boomerang.Le concert bat son plein avec pour chacun quelque instants de grâce: le pianiste excelle dans une dextérité volubile magistrale, le percussionniste s'éclate en mille et une vibrations éclatantes et éclaboussantes, le contrebassiste fait la douceur et saveur sensuelle des morceaux qui s’égrènent. Une soirée d'exception où l'atmosphère loin d'être nostalgique s'est révélée festive et ludique baignée d'une musique revisitée de haute volée. Les virtuoses au diapason d'un répertoire vivant, animé et empreint d'une sympathie contagieuse. Quand le talent rejoint la convivialité tout semble simple et de toute évidence! Stefano Di Battista sur une jambe qui tangue, s'ancre au sol, concentré autant qu'à l'écoute de ses partenaires de choix. De Naples à la Sicile, ce voyage-expédition territoriale conduit vers des îles, archipels musicaux très chers et parfois encore inconnus de nos oreilles captées par autant de légendes de la Grande Musique populaire.Revisitée avec respect et audaces, virtuosité olympique et performances remarquables.

  • Stefano di Battista : saxophone
  • Matteo Cutello : trompette
  • Fred Nardin : piano
  • Daniele Sorrentino : contrebasse
  • André Ceccarelli remplacé par Luigi Del Prete
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  • Briqueterie le 17 Avril Programmation Jazz par Schiltigheim Culture

dimanche 13 avril 2025

"Grenz-Thérapie": à bon port, salut: les Clandestines et Abril Padilla passe-murailles!

 


Abril Padilla & Les Clandestines vous invitent à découvrir :
GRENZ-Thérapie #2, performance musicale
Au cœur du quartier des Deux Rives, GRENZ-Thérapie s'installe au CRIC, un lieu transfrontalier en pleine effervescence où travaillent et se rencontrent des artisan.e.s et artistes.
Cette performance musicale et poétique explore le thème des frontières, questionne les notions de distance physique et émotionnelle à travers le son et le jeu. Frontières politiques, artistiques, linguistiques ou personnelles... Les frontières craquent, grincent, séparent et réunissent, nous traversent.
Les ateliers du CRIC, nichés dans le Grand Garage, offrent un espace partagé où s'entremêlent des ateliers en bois à géométrie variable. Cette architecture invite à la déambulation et propose une réflexion ludique et musicale sur les frontières. Une performance basée sur la parole et le passage d'une langue à l'autre, créant une véritable "forêt de langues" où se côtoient le français, l'allemand, l'alsacien...

Le CRIC résonnera de divers langages musicaux – musique actuelle, électro, répertoire traditionnel – orchestrés par les musiciens nomades Abril Padilla, Mathieu Goust et Christophe Rieger. Le public sera invité à composer sa propre trame sonore en se déplaçant à travers ce labyrinthe de ruelles, à adapter son point de vue et à vivre, le temps de la performance, sa propre expérience des limites et des frontières.
 
 

La déambulation est leur credo, le leitmotiv de ces nomades sans frontières, arpenteuses de territoires, femmes de terrain et de terroir...Passeuses et passagères , passe-murailles, elles franchisent les limites, les défenses, escaladent les murs et poussent les portes des convenances. Alors, le grand "garage" du CRIC sera ce port sans attache, ce non lieu, ce troisième lieu, endroit de tous les possibles. Elles apparaissent au lointain, ces 7 doigts de la main, haut-parleurs brandis, rouges  chatoyants. Emblème et mascotte du groupe avec leur entonnoir, volubilis ouverts offerts à l'écho de leurs voix: porte-paroles poétiques, compagnons de route. Elles nous invitent à entrer ou sortir par de multiples portes: celles de jeux de mots, de virelangues, calembours et autres expressions faisant appel au sens des mots: "entrée en matière" ou "sortie de secours" et autres fantaisies...Le ton est donné, incongru, jovial, décalé, glissant, mouvant.Comme à un jeu de scrabble, perchées, elles déplacent et collent des lettres pour en faire de nouvelles adaptations sur les vitres du garage. Les mots, les langues vont ici se croiser sans cesse: de l'Allemand fort bien maitrisé, de l'Alsacien truculent et bien remodelé pour ses sonorités, du français pour faire sonner le reste. Le brouhaha ambiant cesse, bruits de machines fracassant pour laisser place à un instrumentarium singulier: objets du quotidien détournés, moules à kouglof et autres trouvailles hétéroclites ustensiles de cuisine. Ça percute et ça résonne sous les mains agiles de deux musiciens fidèles compagnons du collectif et d'Abril Padilla, maitresse du jeu musical.Et le public nombreux de passer douanes et frontières par un passage étroit où il est passé au scanner de vigiles de sécurité fantoches. On se prend au jeu du passager clandestin dissimulant quelques marchandises illicites. Dans le grand hall, la suite va bon train, pour quelques petits groupes happés par les comédiennes contant les litanies de Vaduz, l'oeuvre fleuve de Bernard Heidsieck! Un régal de sonorités en échos multiples résonne à l'envi. Elles sont tout de noir vêtues jusqu'à revêtir leur bleu de travail, tabliers uniformes. Et l'on navigue dans cet espace à la rencontre de chacune avec sa voix, son accent, sa carrure. Des physiques bien plantés, solides et réjouissants, engagés dans la lutte et le combat de la performance.Sororité inévitable et joyeuse, complicité de mise et espièglerie fantaisiste au poing.E la nave va  bon train. Les langues se catapultent, la lecture de magnifiques leporello se transforme en ribambelles d'origami ou éventail tout blancs, devenus plus tard frontières terrestres au sol qui entravent la circulation des corps. Un jeu de questions avec le public amené à réagir à sa guise sans contrainte ni obligation rythme la prestation. La ronde s'impose comme forme de danse collective en cercle où les corps tricotent des mouvements de bras, reliant les unes aux autres. Sourires complices et joie contagieuse à la clef. Encore une séquence étrange et absurde de prise de mensuration par des couturières-infirmières en blouse blanche qui se solde par un tableau géant de post-it reliés par les fils de laine. Joli et tendre esquisse d'une carte du tendre des trajets, frontières du monde.
 

Une vision plastique et sonore de toute beauté s'invite lors de leur escalade d'un escarbeau géant sur roulettes. Les porte-voix comme des sortes de liserons incandescents, bouches rouges ou lèvres ouvertes aux sons des voix. Sur ce phare ou mirador sonore, vivant de toutes les vasques des haut-parleurs rouges, évasés comme des bouches ou lèvres béantes.Perchées, les interprètes semblent jubiler discrètement. Et au loin derrière les grilles du couloir on les retrouve chantant quelque chant engagé, au loin déjà. Les au-revoir pour le grand hall où elles affichent leurs étendards de couleurs comme des drapeaux de territoires à défendre, se les nouant sur la tête comme des coiffes exotiques de femmes laborieuses. C'est fort et touchant, digne image légitime des postures et attitudes des comédiennes se jetant dans la bataille de la performance de proximité. C'est ainsi que sereines, nos sept reines d'un jour quittent les lieux esquissant pas de danse, entonnant à nouveau quelque chant révolutionnaire engagé. Au loin, la mer se retire. 
Le spectacle des Clandestines, accompagnées de trois musiciens fantaisistes dans ce lieu de choix est un pari audacieux gagné et cet après-midi en leur compagnie charmeuse est une expérience hors pair. Saute-frontières et passagères uniques d'un univers créatif sans limite.On sort de sa zone de confort pour aborder une réalité transfrontalière incontournable. La poésie fait le reste de port en port.
 
 Projet soutenu par le Festival Lire notre monde
Strasbourg Capitale mondiale du livre - Unesco 2024
 
Au CRIC le 13 Avril