samedi 20 septembre 2025

Concert" Elja" Kronos Quartet Benedicte Maurseth Kristine Tjøgersen : la transparence à l'infini du violon norvégien

 


Depuis plus de 50 ans, le Kronos Quartet a constamment cherché à élargir le champ des possibles. Son répertoire comprend les chefs-d’œuvre de la musique américaine pour quatuor à cordes, mais également de nombreux projets tournés vers les musiques populaires ou traditionnelles de tous les continents.

En 2025, le quatuor collabore avec les Norvégiennes Benedicte Maurseth et Kristine Tjøgersen. Toutes deux compositrices, la première dans le registre des musiques traditionnelles et populaires, la seconde dans le champ de la création contemporaine, elles créent ensemble Elja, une œuvre inspirée de la musique folklorique nordique. Sur scène, les quatre membres du quatuor accompagnés au violon et au chant par Benedicte Maurseth utilisent des instruments à cordes Hardanger — instruments traditionnels norvégiens —, se différenciant notamment des instruments classiques en ce qu’ils sont munis de cordes sympathiques et ornés de motifs en marqueterie. La fusion musicale qui en découle est renforcée par une partie électronique composée de sons naturels enregistrés dans des paysages reculés du pays.

Benedicte Maurseth, Kristine Tjøgersen
Elja (2025) 

C'est l'église ST Paul qui abrite le premier concert de "quatuor" de MUSICA 2025 et c'est un écrin sonore et architectural puissant comme la musique qui va nous être délivrée une heure durant en cette "cathédrale" du son et de l'espace lumineux. Kronos Quartet interprète ici une oeuvre rare composée par un tandem tout aussi étrange: deux compositrices inspirées par la nature autant que par le monde de la musique dite contemporaine. Une oeuvre lumineuse aux accents très contrastés, oscillant entre force tellurique et discrétion infime et imperceptible de sons crées pour ces instruments à cordes. Bordés d'images magnifiques évoquant des paysages nordiques, des arbres mouvants aux eaux transparentes de rivières joyeuses. Des instants de grâce époustouflants où l'on perd pied, où l'on prend son envol vers des espaces infinis de notes disséminées dans l'espace. Le jeu des musiciens est tendu, concentré sur le moindre détail d'écriture: l'interprétation vécue comme un partage de risque et de rareté étonnant. C'est dire si le voyage est presque trop bref, le temps de s'immerger dans les eaux changeantes de ces courants transparents de bulles tournoyantes d'eau claire. La lumière auréolant ainsi le quatuor comme un phare inspirant et flatteur. Une heure de délice d'écoute collective, bordée par des chants d'oiseaux lointain et la voix de Benedicte Maurseth.

Distribution

Kronos Quartet

violon David Harrington, Gabriela Díaz
alto Ayane Kozasa
violoncelle Paul Wiancko

violon Hardanger Benedicte Maurseth

lumières, vidéo Evelina Dembacke

A ST Paul le 20 Septembre dans le cadre du festival MUSICA 

© Ingo Biermann
© Ingo Biermann

" The Sad Album" Laura Bowler collectif lovemusic : Condoléances sincères....

 


Auréolé du Prix de la Fondation Ernst von Siemens de l’ensemble en 2025, le collectif strasbourgeois lovemusic invite la compositrice et chanteuse anglaise Laura Bowler.

The Sad Album est une plongée dans les recoins les plus sombres, absurdes et tendres du deuil. Réunissant Laura Bowler et les musicien·nes de lovemusic sur scène, ce spectacle nous invite dans un salon habité d’histoires personnelles, chargées de frustrations, de rage et de complicités.

“The Sad Album, c’est une multiplicité de chagrins. Chaotique, bouleversant, beau, parfois déclencheur, toujours touchant.
The Sad Album est une lutte pour atteindre la vérité du deuil.
The Sad Album est une tentative de retirer le masque du deuil pour en toucher le noyau.
The Sad Album, c’est une heure de désordre maîtrisé autour de l’impossibilité de définir comment l’on doit faire son deuil.
The Sad Album, c’est l’absence.
The Sad Album est une nouvelle pièce de théâtre musical qui explore les chemins et les masques du deuil.
The Sad Album interroge la manière dont nous fuyons — ou affrontons — le deuil.
The Sad Album, c’est être heureux de parler de ce qui nous rend tristes.”
Laura Bowler

Comment faire passer, communiquer émotions, dérèglements et disfonctionnement de tout un être à la suite d'un décès d'un très proche? En musique, en chantant, en se regroupant pour faire de cette épreuve un passage quasi joyeux, communicatif et rayonnant. Cela tient pour l'essentiel à la présence de cette femme audacieuse autant que modeste qui partage douleurs et joie en notre présence, entourée de compagnons artistes complices. Elle, c'est une conteuse, chanteuse , Laura Bowler, fragile autant que forte en propos et mélodies d'emprunt. Encadrée et soutenue par ses partenaire de Lovemusic qui font une première apparition en spectres tout de noir recouverts pour annoncer le deuil. Le voile se soulève d'emblée pour laisser place à un texte dit et psalmodié de toute beauté sur la mort, ses contours, ses rebonds, ses répétitions en onomatopées, en rayures comme celle d'un 33 tours qui déraille sur la platine.Des images morcelées circulent sur un écran vidéo en fond de scène, des cartes de condoléances bien kitch, des visuels vintage pour accompagner les condoléances de bienséance sociale. Tout est savamment détourné: la douleur devient communion possible, le regret s'évacue, la peur et la tristesse ne submergeront pas notre chanteuse qui de toute sa superbe voix de soprano irrigue texte et musique. En renfort, les autres musiciens soutiennent, épousent celle qui se libère peu à peu de son traumatisme.Et l'on passe en leur compagnie le grand fleuve de la mort sans y perdre sa raison. La camarde a fauché, les foins seront généreux et fertilisant. En partage, la musique mise en scène et en image par Lovemusic fait office de passerelle, de tremplin pour s'envoler à tire d'ailes au plus haut des pensées libératrices. Un très beau moment à méditer encore en résonance...

The Sad Album (2025)

composition, texte Laura Bowler
mise en scène Sam Redway
développement électronique Matthew Fairclough

Distribution

lovemusic

flûte Emiliano Gavito
clarinette Adam Starkie
violon Emily Yabe
violoncelle Céline Papion
guitare Christian Lozano Sedano
percussions Marin Lambert
électronique Finbar Hosie

voix Laura Bowler

A la HEAR le 20 Septembre dans le cadre du festival MUSICA 

vendredi 19 septembre 2025

"Eternal Dawn" , Alexander Schubert / Decoder Ensemble : la galerie de l'évolution musicale...

 


À la croisée du théâtre musical et de l’installation, le compositeur et créateur de mondes Alexander Schubert propose avec Eternal Dawn une plongée dans un futur proche mais indéterminé, et paradoxalement très actuel. Les protagonistes sont ici sept individus composites, faits d’organes humains, de prothèses et de softwares, nés du progrès technologique autant que de notre profonde aspiration à dépasser nos propres limites. Ces cyborgs ne sont pas les habitants de quelque univers dystopique, ils sont le prolongement de nous-mêmes sous l’angle de l’amélioration.

Pas d’instruments ici, si technologiquement élaborés soient-ils. La musique s’élève de l’interaction entre


ces êtres faits de chair, d’acier et de plastique, et leur environnement : bruits de machines, frottements des matières, modifications des voix dessinent ensemble un paysage sonore à la fois numérique et tangible. Avec Eternal Dawn, l’artiste donne une forme scénique aux débats actuels sur le transhumanisme et apporte la preuve – vivante ? – du caractère toujours provisoire de notre humanité.

iris van herpen

Le plateau est déjà occupé par les "comédiens", on est invité à faire le tour  pour apprécier les éléments de scénographie: histoire de se plonger dans le bain de ce voyage au long court cosmique et sidéral, intergalactique. Les corps puissants des acteurs interrogent la sensualité, la corporéité dans des déplacements multiples et une gestuelle chorégraphiée par Colette Sadler. Danseuse émue par des soubresauts et gestes tétaniques, autant que par une fluidité renaissante à fleur de peau, ce justaucorps seyant qui épouse son architecture corporelle. Le bâti est ici de mise avec tous ces accessoires robotiques, bras et prothèses d'acier, prolongements des corps, des membres comme chez la chorégraphe canadienne Marie Chouinard ou les danses des bâtons d'Oscar Schlemmer... Gestes gymniques, boxe feinte et autres gymnopédies proches du burlesques ou de la caricature...Sur une estrade, à travers un cube transparent et niché dans les hauteurs, les corps s'affairent, battent le rythme, composent des partitions physiques imaginaires et se coltinent cet univers sonore ronflant fait de bruits et de fureur multiples. Matières diverses comme très minérales, de gré ou de force, âpre, solide ou fragile.  Rugueux à l'envi dans ses échos et rémanences sonores qui concourent à une atmosphère de BD de fiction à souhait. Les costumes comme autant de seconde peau, de carapace de coléoptères en chrysalide. Armure de pacotille quant aux matières molles, plastiques et souples qui épousent malgré tout les gestes sans les contraindre ni les entraver. Robot démesuré pour emblème de modélisation, de mécanisation, de dynamique motrice. Lumières au diapason de cette source d'émotions qui émanent de ce show prestigieux: néons rougeoyants en carrés suspendus, traces et signes pour délimiter surface et territoire de réparation. L'ambiance est celle d'un laboratoire, clinique des corps disloqués oeuvrant malgré tout pour construire volumes et architectures très léchés.
Et les fils et colonnes vertébrales, cage thoracique dessinée sur les costumes d'opérer comme sur une paillasse de chercheurs laborantins. Ossature, vertèbres et autres anches, collier,ligatures d'instruments de musique ou d'êtres humains. On songe à Iris van Herpen, styliste des coutures humaines, des matières plastiques cocues comme des armatures osseuses, des squelettes vivants épris de chair et de sang.Un spectacle sans fin qui mène sur des chemins hypnotiques tant musique, vibrations et autres frissons épidermiques débordent de beauté plastique, de mouvance animale de meute emmêlée dans des ébats érotiques suggestifs et ludiques. Des instants à méditer sur la vision idyllique de notre rapport à la robotique et à sa domestication possible.De petits être gambadent sur le plateau, un petit chien s'excite alors que sur les bas-côté comme dans un musée morphologique d'anatomie s'exhibent os et autres gadgets scéniques...Une galerie de l'évolution en marche, un univers à la Schubertinégalé en surprises et inventions diverses.
 
Au Maillon jusqu'au 21 Septembre avec MUSICA 


 
oskar schlemmer danse des bâtons