jeudi 25 septembre 2025

Gavin Bryars + Claire M Singer : des affinités certaines.

 


Un moment rare : le compositeur anglais himself sur scène avec son ensemble, suivi de l’organiste écossaise Claire M Singer.

Gavin Bryars (né en 1943) est pour la première fois l’invité de Musica, sur une proposition du curateur et auteur David Sanson. Si l’on connaît ce compositeur majeur de la scène anglaise via ses « tubes » The Sinking of the Titanic et Jesus’ Blood Never Failed Me Yet ou ses collaborations avec Bob Wilson, Merce Cunningham ou Carolyn Carlson, la plus grande partie de son œuvre a été très peu entendue en France. Lui-même à la contrebasse et à la direction de son ensemble en compagnie de la soprano Sarah Gabriel, il revisite trente années d’écriture vocale — notamment à travers son Adnan Songbook (1995) composé sur des textes de la poétesse et peintre libanaise Ethel Adnan. En seconde partie, Musica poursuit son panorama des organistes expérimentales contemporaines en invitant Claire M Singer. L’Écossaise partagent ses introspections musicales nées sur les côtes déchirées des Highlands.

Une proposition de David Sanson, programmateur musical pour l’Abbaye de Noirlac et co-programmateur de l'édition 2025 du festival Musiques démesurées (Clermont-Ferrand).

 

Des mélodies inspirées du monde de la musique médiévale portées par une soprano au timbre inégalé, c'est la découverte incontournable de ce concert dédié à Gavin Bryars en personne,présent, instrumentiste, chef et compositeur au long court.
Lauda 4 « Oi me lasso » (2001) Lauda col legno II (2020) 
Lauda 28 « Amor dolçe sença pare » (2005) Lauda Rubata a Tre (2014) 
Songs from The Seventh Book of Madrigals (2025): autant de pièces courtes interprétées avec virtuosité et sans faille par un ensemble formé de complices de longue date. La voix majestueuse pleine de lyrisme de Sarah Gabriel se défiant des extrêmes aigus portés par des tenues remarquables, est délectable. Périlleuse performance sans filet accompagnée des instruments acoustiques au diapason de cette atmosphère recueillie, spirituelle autant que païenne.Les morceaux s'enchainent sereins et virtuoses pour un plus bel effet au sein de l'église St Paul.On ne s'étonne pas que ces oeuvres aient pu inspirer la chorégraphe, poète et calligraphe Carolyn Carlson en 2014 avec "Pneuma"pour le ballet de Bordeaux. Des haikus musicaux de toute beauté à la résonance divine. Gavin Bryars encore pour au final une longue pièce The Adnan Songbook (1996) chef d'oeuvre  de musique vocale porté par Sarah Gabriel, aux anges ce soir là tant l'émotion musicale sourd de tout son corps qui respire et inspire sobriété et magnificence.

Artiste sonore, instrumentiste et compositrice, c'est à Claire M Singer de succéder à ces morceaux de bravoure inégalée. Une ode à l'écrin et aux résonances de St Paul, une pièce créée pour ces instants privilégiés de partage avec le public toujours présent dans la nuit pour déguster ces sonorités sombres aitant que lumineuses. Minimalisme du son en continu, un "drone music" voisin du son de la cornemuse. Une grande liberté méditative pour ces oeuvres qui s'enchainent, hypnotiques et rassurantes, berçant l'auditeur d'une force et d'une rare puissance d'écriture.

Gavin Bryars Ensemble

soprano Sarah Gabriel
direction, basse Gavin Bryars
clarinette Roger Heaton
alto Garth Knox, Kate Wilkinson
violoncelle Audrey Riley, Yuri Bryars
guitare James Woodrow

orgue Claire M Singer

A ST Paul dans le cadre du festival MUSICA 

Gavin Bryars
 
POUR MEMOIRE
 
En 1999, Merce Cunningham révélait sa pièce 𝘉𝘐𝘗𝘌𝘋 associant danse vivante et projection, une véritable exploration de multiples variations des mouvements. Pour cet événement, le musicien Gavin Bryars avait composé une musique originale. À l’occasion de l’entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon de cette œuvre majeure, Gavin Bryars était sur scène avec ses musiciens. Pièce musicale de 45 minutes interprétée par un ensemble de guitare électrique, violoncelle, violon, basse, contrebasse, claviers et échantillonneurs, les changements de tempo se font sur une pulsation lente parfaitement audible. Tendre l’oreille pour entendre le duo de violoncelle et guitare électrique, au lyrisme suggérant la voix humaine. 
 
Créée pour le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux sur la scène du Grand-Théâtre en mars 2014, la chorégraphie de Carolyn Carson, Pneuma, apporte un souffle résolument aérien à la danse. S’inspirant de L’air et les songes de Gaston Bachelard, Pneuma littéralement « souffle de vie » en grec ancien, est une œuvre lumineuse pleine d’images oniriques, nimbée de la musique envoûtante de Gavin Bryars. L’air est partout présent sur la scène, dans les herbes du décor, dans la fluidité des vêtements ou les cheveux des danseurs. Les 22 interprètes passent du blanc au noir, tour à tour véritables corps flottants et tournoyant tels des derviches, dans une épure et une poésie hypnotique. 
 
Four Elements
Ballet
Musique de Gavin Bryars

Création le 16 novembre 1990 à l'Apollo Theater, Oxford
La Terre, l'Eau, l'Air et le Feu.
Connu pour son minimaliste poli, sa retenue et une répétition complexe du mouvement, le travail de Lucinda Childs est directement lié au mouvement minimaliste des années 70, en peinture et en sculture. "Four Elements" est la première oeuvre créée pour une compagnie de danse britannique.
 


 

dimanche 21 septembre 2025

"A world we live in" Kronos Quartet : une ode à l'humain, et à une formation contemporaine renaissante: le quatuor à cordes.

 


Le Kronos Quartet a contribué à façonner la sonorité d’une époque. Sa trajectoire exceptionnelle, le quatuor l’a construite depuis le milieu des années 1970 en franchissant les frontières de la création musicale, de la musique répétitive aux musiques populaires, pour offrir ses lettres de noblesse au « crossover ».

Plus de 30 ans après sa dernière venue à Strasbourg, le Kronos Quartet présente un programme placé sous le signe de la prise de conscience face aux tragédies d’hier et d’aujourd’hui. Le programme se conclut sur le chef-d’œuvre de Steve Reich, Different Trains, créé par le quatuor en 1988. Ce voyage en train, vers la vie pour Steve Reich, lorsqu’enfant dans les années 1940 il traversait les États-Unis pour rejoindre ses parents divorcés, ou vers la mort pour d’autres au même moment en Europe, répond aux Bombs of Beirut de Mary Kouyoumdjian, pièce-témoignage sur les conflits au Moyen-Orient. Que ces œuvres intenses côtoient dans un même concert les arrangements de titres chargés de sens de Neil Young et Nina Simone, les expérimentations de Nicole Lizée, le message de paix de Terry Riley ou l’ode aux exilés d’Hildur Guðnadóttir démontre une volonté intacte d’ancrer la musique au plus proche des préoccupations du présent. La recette Kronos Quartet n’a pas vieilli. Garanti sans conservatisme.

Basé à San Francisco, le mythique quatuor est particulièrement associé aux noms de Terry Riley, Philip Glass et Steve Reich, avec qui il a tissé des liens artistiques forts, donnant naissance à des pièces maîtresses du répertoire minimaliste américain. Dans ce concert anniversaire, le Kronos Quartet, résolument ancré dans son époque, a souhaité faire entendre le travail de compositeurs et compositrices qui affrontent et relatent les tragédies contemporaines par la musique et la protestation. On y retrouve les artistes majeur.es avec lesquel.les le quatuor a collaboré et les nombreux répertoires et genres musicaux qu’il a abordé durant ses cinquante années d’activité.

C'est avec la compositrice Nicole Lizée et son oeuvre étrange et très inventive
Death to Kosmische (2011) que démarre ce concert tant attendu: une pièce originale où les concertistes instrumentistes se transforment en joueurs de moultes "jouets" électroniques à touche et un mange disques percutant ému de secousses burlesques et décapantes! De la musique avant toute chose et un humour fracassant pour le quatuor rompu au sérieux et à la rigueur légendaire. Suivront de Mary Kouyoumdjian les Bombs of Beirut (2025) évocation des bombardements réels de guerre-missiles et explosions-témoins des horreurs "sonores" de la guerre et de leurs méfaits sur la captation des bruits et de la fureur du monde. Au tour de Nina Simone avec For All We Know (1959) arr. Jacob Garchik, 2022 pour évoquer la prise de conscience face aux tragédies mondiales. Terry Riley avec One earth, one people, one love (2015) souligne cette indignation en autant de touches sensibles, Neil Young avec Ohio (1971) arr. Paul Wiancko, 2025 pour souligner et affirmer que la musique peut adoucir les moeurs, rendre plus fort et digne ceux qui la font et l'écoutent..Au tour de Hildur Guðnadóttir avec Fólk fær andlit (2021) pour enraciner le propos et en toute fin de concert comme une ode à l'humanité le chef d'oeuvre de Steve Reich Different Trains (1988): l'interprétation est virtuose et sensible, humaine, à fleur de cordes et l'extrême précision des interventions acoustiques sur le timing de la bande son est prodigieuse. Deux rappels en sus et le quatuor fait ainsi une démonstration de sa volonté d'inscrire la musique contemporaine dans les turbulences de l'actualité de plus  en reprenant en bis « Ya Talei’en El Jabal » (Hé, toi qui escalades la montagne), le chant de liberté et de résistance de la chanteuse palestinienne Rim Banna (1966-2018)

.Une ode à l'humanisme, à l'excellence et à la pluralité des écritures musicales pour "le quatuor à cordes" d'aujourd'hui!

Kronos Quartet

violon David Harrington, Gabriela Díaz
alto Ayane Kozasa
violoncelle Paul Wiancko

A l'Opéra du Rhin dans le cadre de MUSICA le 21 Septemnre 

installation "Thunder Sheet Machine Le Grand Souffle" Johannes Kreidler : le vent se lève à MUSICA à la HEAR

 


Une installation pensée comme un parcours sonore et visuel à travers le bruit blanc des éléments, du souffle d’air au tonnerre.

Depuis une vingtaine d’années, Johannes Kreidler bouleverse les codes de la création musicale à travers ses performances et ses propositions conceptuelles. Son dernier projet, accueilli avec la HEAR, est une installation mécanisée et s’attache aux conditions physiques et climatiques du son. Souffleurs de jardin, sifflets imprimés en 3D et plaques-tonnerres (thunder sheet) sont quelques-uns des ingrédients d’une installation conçue comme un parcours sonore et visuel à travers le bruit blanc du vent.La 43e édition du festival marque un partenariat fort entre Musica et la HEAR. Au programme de l’événement, dix rendez-vous accueillis dans les espaces de l’école, une exposition à La Chaufferie et une programmation de clôture confiée aux étudiant·es. Ce partenariat marque un engagement commun en faveur de la création contemporaine.


 Le vent se lève en tornade et tempête quand s'ébranle le souffle de curieuses trompes-ventilateurs au souffle de fun dévastateurs. Le public est assis ou en déambulation au sein de la Chaufferie, espace haut de plafond, au volume cubique de white cube ici dévolu à l'accueil de série de panneaux sonores, plaques suspendues à des cintres: de couleurs, en métal résonant dont une machinerie diabolique actionne le rythme par des frappes régulières, sonores, percussives. La matière résonne, haute en couleurs et hauteurs diversifiées. Comme des lambeaux flottant émus par des percussions successives. Des ombres démultipliées dessinent sur les murs des conteurs doubles spectraux, fantomatiques discrets. Des perspectives s'ajoutent ainsi à la lecture très physique que l'acteur-spectateur déclenche en lui. Des sifflets à disposition du public pour couvrir le son du vent, des frappes et enjouer l'atmosphère pas toujours sereine de cette installation. Cela pourrait se dérouler dans un désert aux confins de dunes de sables venteuses. On déambule ou songe à ces paysages fait de lumières, de grains de minéral, de souffle indomesticable. L"ambiance est à la méditation qui se laisse surprendre par les interventions d'une machinerie ingénieuse commandée par une technologie savante. Du bel ouvrage pour cette tempête sonore loin d'être dans un verre d'eau. L'air de rien ce dispositif ne manque pas de souffle et les effets de couleurs ondoyants, les respirations de ces petits fragments de métal évoqueraient les palpitations et vibrations de cage thoracique, de poumons du monde en régulation constante.


L’installation de Johannes Kreidler est pensée comme un parcours sonore et visuel à travers le bruit blanc des éléments, du souffle d’air au tonnerre. Dans le cadre du festival Musica.

Depuis une vingtaine d’années, Johannes Kreidler bouleverse les codes de la création musicale à travers ses performances et ses propositions conceptuelles. Son dernier projet, accueilli par la HEAR avec Musica, est une installation mécanisée et s’attache aux conditions physiques et climatiques du son, et plus particulièrement à différentes qualités de souffle. Ventilateurs, sèche-cheveux ou plaques-tonnerres (thunder sheet) sont quelques-uns des ingrédients d’une installation conçue comme un parcours sonore et visuel à travers le bruit blanc du vent. 

HEAR Chaufferie MUSICA jusqu'au 5 Octobre