jeudi 2 octobre 2025

"Último helecho": Nina Laisné François Chaignaud Nadia Larcher : un trio où chacun serait félin pour l'autre. Un humus sonore, terre de danse vocale.

 


Último helecho est un spectacle né de recherches de terrain sur des répertoires populaires et baroques en Amérique du Sud, notamment en Argentine. En compagnie de Nadia Larcher, figure des musiques folkloriques contemporaines argentines, et de six musicien·nes traditionnel·les, Nina Laisné et François Chaignaud poursuivent leur quête d’une performance dans laquelle les expressions vocales et chorégraphiques se tressent sans que jamais l’une ne domine l’autre. À travers des danses traditionnelles telles la zamba, la chacarera ou le huaynos, à travers les corps, les rythmes et des chants aux timbres androgynes transparaissent la culture et la mémoire des peuples opprimés par la colonisation. Un geste de reconnaissance et une célébration souterraine à la croisée des mythologies sud-américaines.

François Chaignaud surprend, dérange, se plait à décadrer, décaler les genres et les disciplines pour mieux cibler son propos:avec la complicité de Nina Laisné il navigue en eaux claires et donne à voir et à entendre une œuvre inouïe. Seul sur le plateau une créature de rêve se love, se meut délicieusement dans des atours fantastiques: faune ou héros d'un Shéhérazade revisité, le danseur fabuleux visite toutes les possibilités de jeu avec un bâton qu'il s"amuse à expérimenté le point de gravité ou d'ancrage au sol. Lente progression ludique d'une danse envoutante, hypnotique, alors que juchés sur un dispositif fascinant, grotte ou caverne étrange et diabolique,trois musiciens ne retiennent pas leur souffle dans des sacqueboutes longilignes. Torsions, grâce et vélocité remarquable émeuvent la danse de François Chaignaud, alors que près de lui, Nadia Larcher chante et nous berce dans des mélodies puisant aux racines lointaines, leur chant nostalgique ou enjoué. Du haut de cette vasque, sorte de fontaine de jouvence agrémentée d'une montée d'escalier en colimaçon, les musiciens, officiants tout de noir vêtus respirent des sonorités vibrantes , oscillantes accompagnant bandonéon et percussions à l'envi.

Les courbes du corps de Chaignaud virevoltent, se cabrent se délectent sensuellement de plaisir et d'audace. On songe à Nijinsky, androgyne créateur de mouvements rétractés, en dedans ou étirés gracieusement à l'extrême. Tous les deux chantent, martèlent le sol et font communion avec les interprètes de ces chants venus d'ailleurs. Les costumes sont ceux d'une galerie de l'Evolution, exosquelettes chatoyants, colonnes vertébrales tissées sur le flan, très seyants: quasi fantastiques, voisins de peau animale colorée, brillante.Les voix se fondent de concert, le décor magnifie une atmosphère sereine, martiale, magistrale icône enluminée chère à l'univers baroque de François Chaignaud. Et c'est flamenco détourné et claquettes fantaisistes qui animent le corps faunesque et félin du danseur: on songe à "Mirlitons" son duo rageur et ravageur où il expérimente bonds, sauts frappes des pieds et pointes flamenco dans une savante chorégraphie. Un peu de tauromachie dans un jeu d'esquive esquissé avec une bribe de foulard flambant et le tour est joué.

 

Des tuniques orangées, votives et sacrées leur sont offertes, chasubles de cérémonie, de messe pour ces chansons de gestes savantes et l'office se continue précieux, savant, aux gestes millimétrés.


Avec brio il arpente la scène, gainé de cuissardes ou guêtres dorées en porte jarretelles, coiffé de pouf ou de couronnes évoquant crêtes d'oiseau ou parures d’iroquois. Et chante de sa voix de contre ténor, épousant la voix chaleureuse et bariolée de Nadia Larcher. Le spectacle est onirique, flamboyant, remarquable bréviaire et codex dansé de toute beauté. La mise en scène et scénographie portent la signature d'une complice de presque toujours, Nina Laisné. "Ultimo helecho", "dernière fougère" serait-ce une ode à l'énergie fossile, à un herbier poussant en terre fertile dans le creuset d'alluvions, de tourbe salvatrice? Et cet humus se fait terre d'élection d"une danse fertile:« Si homme vient d'humus, détruire l'humus revient à perdre notre humanité. » Cette conviction, déjà défendue dans son roman Humus, Gaspard Kœnig pourrait s'y reconnaitre...

Último helecho (2025)

conception, scénographie, mise en scène Nina Laisné
chorégraphie, collaboration artistique François Chaignaud
conseil musical, collaboration artistique Nadia Larcher
chorégraphe associé Néstor « Pola » Pastorive

performance François Chaignaud, Nadia Larcher 

 sacqueboute ténor, serpent, flûte Rémi Lécorché

sacqueboute ténor Nicolas Vazquez
sacqueboute basse, wracapuco Cyril Bernhard, Joan Marín
bandonéon Jean-Baptiste Henry
théorbe, sachaguitarra Daniel Zapico
percussions traditionnelles Vanesa Garcia


Au Maillon jusqu'au 3 Octobre dans le cadre du festival MUSICA en partenariat avec ¨POLE SUD



mercredi 1 octobre 2025

Sonic Temple vol.7 : folken Sie mir Brìghde Chaimbeul Shovel Dance Collective France

 


Un envoûtant et résonant septième volume de Sonic Temple placé sous le signe des racines, des peuples et de l’amitié.

Une même philosophie réunit Brìghde Chaimbeul, Shovel Dance Collective et France : retrouver les musiques traditionnelles, les faire exister en abolissant les catégories, les situer non pas dans un passé nostalgique et perdu, mais ici et maintenant, entre le béton et la ferraille, puis amplifier cette mystérieuse vertu qu’elles possèdent de tisser le lien entre tout être et toute chose.

Brìghde Chaimbeul

Brìghde Chaimbeul ancre sa pratique dans les sillons profonds de la culture celtique. Née sur L’île de Skye en Écosse, elle s’est tout d’abord faite connaître dans le champ des musiques traditionnelles, avant de franchir les frontières de nouveaux territoires d’expérimentation. Elle conjugue aujourd’hui sa maîtrise de la cornemuse des Highlands, et surtout de la petite cornemuse écossaise (Scottish smallpipes) dont elle est spécialiste, avec ses intérêts pour la création musicale d’avant-garde et les musiques électroniques. Elle insuffle à ces instruments ancestraux une énergie vibrante, et loin des clichés, fait ressurgir leur puissance contemporaine.

 

Shovel Dance Collective

Shovel Dance Collective réunit neuf musicien·nes animé·es par une passion commune pour les musiques traditionnelles de Grande-Bretagne, d’Irlande et d’ailleurs. Leur “mud music” est une matière vivante : un mélange audacieux de chants anciens, d’improvisation libre, de textures sonores et de récits collectés sur le terrain. À travers une approche à la fois sensible et engagée, le collectif redonne voix aux luttes populaires, aux histoires effacées, aux gestes du quotidien. Leur musique, toujours en mouvement, célèbre la force du collectif et la puissance des traditions orales. Une expérience immersive, organique, où le passé et le présent s’entrelacent pour mieux faire vibrer l’instant.

 

France

“Le trio basse (Jérémie Sauvage), batterie (Mathieu Tilly) et vielle à roue électrifiée (Yann Gourdon, affilié au collectif de musiques traditionnelles radicalisées La Nòvia) donne à entendre très exactement ce qu'on peut attendre d'un morceau de France, un long bourdon rock saturé de vie et d’harmonies et rythmé de la plus martiale des façons, quelque part entre Faust ou AC/DC et une fête de village qui aurait tourné en transe chamanique au coin du feu.” (Olivier Lamm, Libération)

Distribution

Shovel Dance Collective

harmonica, cor, trombone Tom Hardiwick-Allan
voix, guitare, clarinette Mataio Austin Dean
voix, harmonium Nick Granata
guitare, banjo, violoncelle, percussions Daniel S. Evans
voix, hammered dulcimer, clarinette, percussions Joshua Barfoot
clarinette, low whistle, flûte Alex Mckenzie
violon Oliver Hamilton
harpe, low whistle Fidelma Hanrahan
banjo, shruti-box Jacken Elswyth

France

batterie Mathieu Tilly
basse Jeremie Sauvage
vielle à roue Yann Gourdon

cornemuse Brìghde Chaimbeul

 Temple neuf le 2 Octobre dans le cadre du festival MUSICA

mardi 30 septembre 2025

"Don’t leave the room" par l' Ensemble Nadar : chambre noire à part.

 


Le poème Ne sors pas de ta chambre de Joseph Brodsky, exhortation à l’action, est le point de départ de ce concert mis en scène de l’Ensemble Nadar sur la place de l’humain dans le monde d’aujourd’hui, entre censure, espoir, silence, survie.

La répression — violente, omniprésente, silencieuse — et la censure en Russie et en Iran forment le fil rouge de ce concert mis en scène de l’Ensemble Nadar dont la dramaturgie découle d’un poème et d’un film : Ne sors pas de ta chambre (1969) de l’auteur russe Joseph Brodsky et Le Chœur (1982), un court-métrage du réalisateur iranien Abbas Kiarostami. Le premier est mis en musique par le compositeur russe Alexander Khubeev en confiant le texte à une comédienne sourde l’exprimant en langue des signes russe, tandis que le second entre en résonance avec une création de la compositrice et cinéaste d’animation iranienne Golnaz Shariatzadeh. Ils dédient leurs œuvres et ce concert à leurs compatriotes en lutte contre les totalitarismes au péril de leur liberté et de leur vie.


Galina Ustvolskaya et Piano Sonata 6 (1988) ouvre le concert. Derrière un écran jonché de texte sur fond de portées musicales: fureur de la répétition de frappes fortes, brèves, soutenues par tous ses bras sur le clavier, la pianiste s'acharne à faire retentir des sons défectueux, rares et inédits. Puis dans de beaux contrastes, elle prend la douceur à bout de doigts et éteint les feux de son arrogance.

Suit de Golnaz Shariatzadeh Bluer Womb (2025) : dessins et figures de légendes pour illustrer sur grand écran la musique sous-jacente qui sourd des instruments derrière la toile tendue. A deux reprises les icônes enchantent et focalisent la lecture et l'écoute sur ses esquisses chatoyantes surdimensionnées. Un air de narration et de dramaturgie forts séduisant en découle naturellement.

Abbas Kiarostami et The Chorus (1982)  surprend dans la double lecture proposée: celle des images animées de cinéma doublées de par les sous titres décrivant les bruits, les sons des prises cinématographique. On suit une charrette au rythme endiablé, on découvre la texture des sons de la rue, des brouhahas.uperbe expérience pour l'auditeur-spectateur qui poursuit sa découverte de plein fouet.

Enfin Alexander Khubeev avec Don’t leave the room (2025) puis Silentium ! (2025)  offre un échantillon de ses talents de compositeur-narrateur.Silentium comme une fresque tissée des gestes du langage des signes de la comédienne, dédoublée simultanément à l'écran par son image démultipliée. La langue des signes comme chorégraphie musicale accompagnée par les musiciens, la bordant de leur présence incarnée de musique savante. 

Ensemble Nadar

performance Elena Evstratov
flûte Katrien Gaelens
clarinette Dries Tack
trombone Thomas Moore
violon Marieke Berendsen
violoncelle, direction artistique Pieter Matthynssens
e-guitare Nico Couck
piano Elisa Medinilla
percussions Yves Goemaere
direction artistique Stefan Prins
son Wannes Gonnissen

lumières, vidéo Steven Reymer
VGT Floor Vandevelde, Soetkin Bral

A la Cité de la Musique et de la Danse dans le cadre du festival MUSICA le 30 Septembre