mercredi 19 novembre 2025

"Boat People": Marine Bachelot Nguyen : e la nave va ....


On dit que celles et ceux qui ont fui le Cambodge, le Laos ou le Viêtnam après 1975 constitueraient une immigration « exemplaire ». Mais quel est le coût caché de cette exemplarité pour les personnes concernées et leurs enfants ? Marine Bachelot Nguyen, autrice et metteuse en scène franco-vietnamienne, explore la mémoire des exilé·es en provenance du Sud-Est asiatique. Elle donne de la voix aux récits manquants d’une population souvent qualifiée de discrète voire effacée. Elle interroge aussi l’émergence de l’action humanitaire et les effets des générosités ambiguës, en racontant l’histoire d’une famille française qui héberge chez elle des « Boat People ». Exil, pression à l’intégration et traumatismes : en revenant sur les modalités d’accueil des réfugié·es vietnamien·nes dans les années 1970, la forme théâtrale fait émerger des paroles complexes, permettant de mieux conter mille traversées.


Refuge , la scène ne le sera pas...pour cette petite troupe, groupe réuni à l'occasion d'un périple, voyage au bout de la nuit..Ce voyage, c'est celui de ceux qui ont fuit sur des bateaux, des esquifs improbables qui les ont conduits à l'autre bout du monde. Pour se retrouver pour les plus chanceux, adoptés, hébergés par d'honnêtes et compatissants citoyens du monde. Ce sont les récits de ses hommes et femmes que content les comédiens, le premier à s'y lancer, à plonger dans le vif du sujet, un jeune homme, assis. Casque sur les oreilles, avec un accent du Vietnam, des paroles hachées, rythmées par une élocution cabossée, il parle, se raconte. Vont lui succéder, deux femmes, elles aussi rescapées de ce phénomène sociétal de l'époque: les boat people.Le drame se raconte cependant sur le ton de la gravité quasi légère de ces morceaux d'histoire quelque peu oubliés, passés à la trappe de la grande histoire. Et pourtant, ils marquent toute une génération et des mouvements politiques forts, conscients. Cette petite famille "reconstituée" touche et émeut, les personnages s'y détachent dans une sorte de tendresse, de douceur dans l'évocation de leur sort. Dans un décor intime, un salon sobre et anonyme, sur fond de mer et de bruitages marins, ils vivent devant nous: le pouvoir de classes sociales différentes, de codes à enregistrer, d'attitudes à adopter.La cohabitation est possible, nécessaire et chacun semble y mettre du sien sans perdre son identité Les textes, confidences, interviews d'immigrés de force sont de toute beauté, incarnés par des comédiens pétris d'empathie avec le sujet: leurs origines respectives les y conduit.L'orphelin du Biafra, Arnold Mensah y met toute sa conviction dans un jeu entier et passionné. Clément Bigot, le père, le second du couple d'accueillants est généreux et bienveillant. Charline Grand en maitresse de maison est impeccable, parfois drôle et insouciante. Tous intègrent et habitent ces rôles décapants qui traitent d'un sujet négligé, oublié. Un madison endiablé ponctue la narration, histoire de fédérer ceux qui pourraient ne pas s'entendre: les gestes empruntés aux cultures d'Asie du sud est, doigts et poignets mobiles plein de grâce mesurée. 
C'est drôle et touchant.Au final, c'est un jeu de marionnettes de papier qui illustre et résume le sort de ces captifs contraints. Des photographies, comme des collages naviguent sur un écran, filmées en direct par magie. La caméra passe la main pour dominer les uns les autres à tour de rôle.,Un film d'animation prend vie et double les récits, esthétiquement très fort.  Une idée de dramaturgie de Marine Bachelot Nguyen, metteuse en scène et autrice qui signe ici un opus singulier et original, servi par une troupe soudée et métissée, de cultures proches du sujet à vif.

 


[Texte et mise en scène]
Marine Bachelot Nguyen

[Avec] Clément Bigot, Charline Grand, Arnold Mensah, Paul Nguyen, Dorothée Saysombat, Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné
 

[Assistanat à la mise en scène] Linh Tham 
[Scénographie] Kim Lan Nguyen Thi 
[Vidéo et régie générale ] Julie Pareau
[Lumière] Alice Gill -Kahn 
[Écriture marionnettique] Dorothée Saysombat 
[Son] Yohann Gabillard 
[Costumes] Laure Fonvieille


Au TNS jusqu'au 28 Novembre 

 

lundi 17 novembre 2025

Hugo Meder et Arthur Hinnewinkel avec l’AJAM violon – piano: fougue et intimité automnale.


 Artiste généreux au jeu raffiné, chambriste accompli, le violoniste Hugo Meder vient de graver un disque unanimement salué par la critique avec son Trio Pantoum, dont il est le fondateur. Le pianiste Arthur Hinnewinkel, quant à lui, est lauréat du prix Thierry Scherz en 2024, primé au Concours Reine Elisabeth en mai 2025 et a consacré un enregistrement à l’œuvre concertante de Robert Schumann.


Leur passion commune pour le compositeur allemand prend forme à travers deux œuvres majeures, dont l’énigmatique Sonate no 3, ainsi que la Sonate no 2. Quant à Franz Schubert, autre grande figure de la période, il étendra vers des horizons poétiques la complicité de cette réjouissante collaboration.

Un violon classe et chaleureux. 
Un pianiste imaginatif au toucher ensorcelant. 

Avec pour démarrer le concert une oeuvre de Robert Schumann, "Sonate n° 3 en la mineur WoW027": ce duo de musiciens amoureux et passionnés de musique romantique investit l'église protestante de Bischwiller, nichée aux confins de la bourgade: ambiance crépusculaire du soir qui présage d'un parfum et d'une lumière musicale automnale, romantique, précieuse et nostalgique. Deux interprètes hors pair pour un répertoire audacieux, virtuose qui nous fait voyager dans les contrastes de la musique de Schumann avec doigté, précision et beaucoup de professionnalisme. La dextérité et la technique sans faille aux bouts des doigts voici nos deux "alsaciens" de souche, Hugo Meder et Arthur Hinnewinkel, dans l'arène de la volupté parfois acre et très tonique d'une musique très inspirée: fougue et vitesse, ralentis et douceur pour cette oeuvre écrite dans la douleur par le compositeur atteint d'une longue maladie. Les soubresauts, les écarts des mouvements qui s’égrènent renforcent une dramaturgie musicale puissante et émouvante. Les voir en complices, vivre et incarner cette partition très habitée est un plaisir et une épreuve émotive sans précédent.


De Franz Schubert, "la Sonate en la majeur, op. 162" succède , un choix judicieux pour faire se rejoindre les oeuvres de deux auteurs-compositeurs voisins et quelque part frères d'inspiration et d'écriture. Plus douce et tendre, cette oeuvre semble grandir au fur et à mesure, additionnant les mouvements dans des fractures ou selon, une continuité salvatrice. Le violon murmure ou exulte, le piano frémit, résonne et vibre de tout son corps d'instrument percussif. Les deux complices, toujours aux aguets, pétris de musicalité, attentifs à toutes les nuances de la partition qu'ils maitrisent par corps, par coeur.


De Robert Schumann, la "Sonate n° 2 en ré mineur, op. 121" est au final de ce concert de choix, une oeuvre d'un Schumann éperdu de force quasi brutale dans les entrées en matière, puissance du violon qui même pincé, exprime fragilité et souffrance. Tandis que les mouvements s'enchainent, l'auditeur en apnée, suit ce parcours musical avec l'empathie qu'il se doit. Fougue et virulence à proximité d'une intimité feutrée de l'interprétation de cette vague musicale, houle et accalmie en contrastes saisissants.Une musique "bien chambrée" dans un écrin religieux, sobre et vibrant des ondes très spirituelles d'une musique chatoyante autant que dramatique. Des interprètes généreux et passionnés de haute voltige pour partager "la musique" qu'ils embrassent avec passion et rigueur.

Église protestante 11 rue de l'église 67240 BISCHWILLER le16 Novembre

En partenariat avec la MAC Bischwiller et l'AJAM 

dimanche 16 novembre 2025

"The Brotherhood , Trilogie Cadela Força – Chapitre I"I , Carolina Bianchi et Y Cara de Cavalo : fraternité j'écris et je raie ton nom....

 


Après La Mariée et Bonne nuit Cendrillon, retentissant moment de théâtre, Carolina Bianchi présente au Maillon le deuxième opus de son triptyque Cadela Força consacré aux violences sexuelles et à leur représentation dans les arts. Pour cette exploration, elle adopte avec The Brotherhood un angle nouveau : celui de cette « fraternité » masculine, lien puissant qui innocente les hommes et cautionne leurs crimes à l’endroit des femmes. 

Il berce un nourrisson dans ses bras et lui conte sa vie à venir: plutôt flatteur et encourageant pour ce petit être venu faire ^perdurer la tradition du pouvoir masculin et de ses attitudes formatés à l'égard des femmes: jolie destinée toute tracée pour mieux épier et transmette au bon endroit la la continuité de relations toutes tracées: domination, soumission et acceptation de tout geste, de toute parole engageant la feodalisation des rapports hommes/femmes. Et cela soutenu par la fraternité, la complicité la tribue et ses règles de domination. Puis sur un écran le visage de la protagoniste du "spectacle" Carolina de Cavalo, gros plan en noir et blanc où elle livre sa parole avant de donner un interview à un metteur en scène, histoire de concrétiser ses propos. La femme est en danger permanent dans le mondes des arts et du spectacle vivant.Son visage magnétique raconte la condition des femmes artistes, leur subordination, leurs défaites dans cette course au pouvoir patriarcal archaïque admis dans le déni par des générations d'hommes abusant d'elles. Féminicides, viols dont la définition va être décortiquée et nous apprendre que c'est bien plus qu'une pénétration abusive et obligée. Les mots pour le dire, le raconter dans la bouche d'une femme victime de ces violences aujourd'hui reconnues et dénoncées. A "l"époque" ce sont des Jan Fabre, Polanski et autres sommités qui s'adonnaient sans vergogne à ces pratiques admises, conditionnant la place et la hiérarchie des femmes dans leur carnet de bal...Comme regarder ces hommes, ces artistes démiurges abusant de leur situation dans des endroits bénis par la place de l'Art dans une société.. Le suicide du metteur en scène est l'aboutissement de cet échange alors que notre actrice mène un coït dominateur où elle semble remporte sa revanche...Un corps de ballet masculin vêtu de noir et blanc illustre à la fois la victoire de ces derniers plus que machos ainsi que leur future défaite à venir. Chacun y va de son solo et affiche sa supériorité et son appartenance à la horde, la secte anti féministe et dominante, toxique et psychopathe. La seconde partie de l'opus de plus de trois heures est une sorte de banquet où les hommes réunis, assis vont lire chacun un extrait du livre-enquête de l'autrice sur les phénomènes de viols, tous plus affligeants les uns que les autres.Tous semblent accablés par les faits ici relatés et une sorte de solidarité semble s'installer au regard de la condition féminine bafouée, torturée par des dénis renouvelés de meurtre ou d'humiliation source de désespoir pour les victimes ciblées. Repas qui se termine en danse fracturée, tonique où les têtes et les bustes baissés semblent affligés et coupables. Les légendes et la mythologie dénoncée dans les textes lus et parlés, les analyses savantes des comportements de héros littéraires en apprennent beaucoup sur ces secrets et crimes susjacents. Chapeau à cette artiste, figure de proue de l'engagement de l'expérience performative où elle joue sa propre vie, ses risques et peut-être la rémission de ces sévices faites à son corps et sa pensée. Pensée en mouvement qu'elle nous livre brutalement sans fioriture avec fracas autant qu'avec l'émotion qui engendre la compassion et le partage de douleurs irréversibles, irrévocables de la violence faite aux femmes, aux artistes, aux actrices pour le bon vouloir des hommes dominants.

Au Maillon jusqu'au 15 Novembre