jeudi 20 novembre 2025

Love Scenes , Tabea Martin : grand méninge à quatre humains : du karst à moudre!

 


Peut-on vouloir aimer ? Décider d’aimer ? Essayer d’aimer ? Qu’exprimons-nous à l’autre, que disons-nous de nous lorsque nous aimons ? Et que ressentons-nous quand l’amour nous est refusé ? Avec ses Love Scenes, Tabea Martin se saisit avec originalité d’un sujet vieux comme le monde certes, mais pourtant loin d’être épuisé. Ses quatre danseurs et danseuses en apportent la preuve on ne peut plus vivante : avec humour et fantaisie, tantôt passionné·es, tantôt mélancoliques, entre émotion et détournement des clichés, ces habitant·es curieux·ses d’un monde qui semble fait de neige et de glace déclinent les multiples scènes de notre besoin d’amour, de nos hésitations et de nos élans, de nos espoirs et de nos déceptions. Puisant à la source incontournable des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, la chorégraphe interroge notre rapport à ce sentiment étrange et pénétrant, avec en toile de fond une société empreinte d’individualisme où l’abandon de soi semble être devenu aveu de faiblesse.

Love story is back again..

Mais qui sont-ils ces quatre escogriffes tout de noir gainés: justaucorps, chaussettes haute, sabots de caoutchouc et surtout perruque hirsute, hérissée de longs poils noirs? Des hommes de cavernes croquant des morceaux de pierres blanches qui effritent et se délitent sous la pression de leurs mains et bras d'architectes de pacotille. Ils reconfigurent leur espace de jeu, piste de tapis de danse blanc, carré de néon suspendu et cadre improbable comme base de scénographie.Les blocs de craie ou de karst ,pâte blanche comme des pièces de jeu d'échec et mat! Tribu à quatre corps, trèfle à quatre feuilles nos "humains trop humains" parlent, s'expriment plus ou moins facilement dans des langues étrangères et modulent leur jeu, de la rage à la tendresse, leur danse de bodybuilding, disco, aérobic, ou autre gymnastique tonique..Et la musique de sourdre d'un cassettophone archaïque à l'envi!Danse abrupte presque caricaturale dans les hachés, coupures démantèlements brusques du corps pas trop bien traité. De la verve, de l'humour, un peu de ravissement frôlant la niaiserie ou le ravi de la crèche. Ils font la paire ces quatre espiègles aux yeux exorbités, aux sourires forcés à la dynamique endiablée. Tambour battant "love me, please love me"serait une mascarade des temps nouveaux qui conterait avec les corps, les embrassades, les sauts de joie, les effusions incontrôlées, les ébats autant que la rage, les remords, les interrogations à ce sujet. Deux solos pour exprimer aussi la solitude d'un repenti, en italien décalé bien trempé de haine ou de contentieux amoureux. Un deuxième sur Françoise Hardy et son"tous les garçons et les filles" chanté à capella pour le meilleur et le pire. Quand quatre ados rejoignent cette petite horde sauvage, c'est pour moi faire en miroir, surgir la vacuité de leur sort et des propos de cette génération perdue qui cherche sens et légitimité. L"amour, toujours et sous toutes ses formes abordables sans trop se faire mal, en ne cassant par des briques ni faire de vraies vagues sur un sujet si brulant dans le"genre" et toutes ces possibilités de transgressions perméables au monde. On aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie...ou pas du tout! Pathétique tableau vivant, burlesque, déjanté des amours contrariées, tutoyées, fautives ou perturbatrices. Ces hystériques en goguette fond le tour de piste dans des gravas de ruines blanchâtres déconstruites par leurs actes de sabotage. Et quand les perruques tombent, c'est la fin des hostilités: à vous de choisir entre réalité ou fatalité, entre bain de solidarité ou culpabilité narcissique...Broyer du karst comme de la poudre de perlimpinpin!Poudre aux vertus imaginaires vendue autrefois comme panacée par les charlatans, médicament inefficace, chose illusoire.Poudre aux yeux fardés de la renommée...

 Au Maillon jusqu'au 22 Novembre


mercredi 19 novembre 2025

Robyn Orlin avec Garage Dance Ensemble "How in salts desert is it possible to blossom…": danser sur la terre nourricière !


 Afrique du Sud 5 danseurs + 2 musiciens 2024 

La Sud-africaine Robyn Orlin nous offre le fruit de sa rencontre avec Garage Dance Ensemble, compagnie de danse professionnelle dirigée par Alfred Hinkel et installée à Okiep, ville de la province du Cap-Nord. Sur cette terre vit un groupe descendant des cultures namas et indiennes et parlant une forme réappropriée d’afrikaans. Florissante au XIXe siècle du fait de l’exploitation de son importante mine de cuivre, la ville est aujourd’hui vouée à la paupérisation et installée sur un désert. Mais, après les pluies d’hiver, les sols se recouvrent d’un tapis de 3 500 espèces de marguerites sauvages… Un beau prétexte à célébrer la joie et la poésie. Les motifs d’éclosion et de floraison sont pléthore au plateau, tant dans les boucles chantées et tournoyantes d’Anelisa Stuurman et Yogin Sullaphen, que dans les solos où les corps jouent à entrer et sortir de tas de vêtements chamarrés. Mais la chorégraphe aime à multiplier les points de vue : avec des surplombs vidéo, les corolles deviennent encore plus chatoyantes. 


 Dance-floor garanti pour ce show flamboyant aiguisé par la présence scénique chatoyante des danseurs-marguerite.Autant de pétales, de pistils et de nectar à déguster des yeux en papilles pour un festin sans modération.Ce sont des cordes dénouées qui feront office de prologue, comme des noeuds réparateurs, des traces et signes au sol comme une calligraphie mouvante, serpentine. Les musiciens et danseurs s'installent pour une cérémonie joyeuse de leur terre, leur terroir ou territoire pour une danse inoxydable, celle du cuivre, ce métal cher et convoité. Dans des costumes dignes d'un voguing épatant fort seyant ou débridé, chacun évolue avec son corps animé d'une énergie débordante et communicative. Danseurs et chanteuse de plein poumon, d'une voix chaleureuse, râpeuse au sourire et à l'engagement entier.Garage Dance Ensemble pour manifester l'entrain, la chaleur et la démocratie d'un être ensemble politique, poétique. Comme une agora du verbe, de l'élan vital , de la vie chamarrée du partage assumé. Les tissus toujours emblématiques d'un effeuillage de pétales de fleurs qu'on "aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie"...Les clins d'oeil à des situations parfois dramatiques penchent vers une dramaturgie bigarrée, contrastée , évolutive. Jusqu'à ce miroir en fond de scène qui dédouble et inverse les perspectives et points de vue. Comme une contre plongée cinématographique pour ouvrir l'espace et fendre les volumes de la scène. La joie éclate, éclabousse dans des mouvements chaloupées ou très toniques, comme sauts et gambades alertes, allègres. Non, ils ne sont pas sur une voie de garage, ces corps et cette voix hypnotique qui borde le spectacle d'un côté maternel enveloppant du plus bel environnement sonore. Robyn Orlin en pente douce sur ces sentiers escarpés d'un sujet au coeur d'une géopolitique d'actualité autant que de mémoire.

A Pole Sud jusqu'au 19 Novembre

"Boat People": Marine Bachelot Nguyen : e la nave va ....


On dit que celles et ceux qui ont fui le Cambodge, le Laos ou le Viêtnam après 1975 constitueraient une immigration « exemplaire ». Mais quel est le coût caché de cette exemplarité pour les personnes concernées et leurs enfants ? Marine Bachelot Nguyen, autrice et metteuse en scène franco-vietnamienne, explore la mémoire des exilé·es en provenance du Sud-Est asiatique. Elle donne de la voix aux récits manquants d’une population souvent qualifiée de discrète voire effacée. Elle interroge aussi l’émergence de l’action humanitaire et les effets des générosités ambiguës, en racontant l’histoire d’une famille française qui héberge chez elle des « Boat People ». Exil, pression à l’intégration et traumatismes : en revenant sur les modalités d’accueil des réfugié·es vietnamien·nes dans les années 1970, la forme théâtrale fait émerger des paroles complexes, permettant de mieux conter mille traversées.


Refuge , la scène ne le sera pas...pour cette petite troupe, groupe réuni à l'occasion d'un périple, voyage au bout de la nuit..Ce voyage, c'est celui de ceux qui ont fuit sur des bateaux, des esquifs improbables qui les ont conduits à l'autre bout du monde. Pour se retrouver pour les plus chanceux, adoptés, hébergés par d'honnêtes et compatissants citoyens du monde. Ce sont les récits de ses hommes et femmes que content les comédiens, le premier à s'y lancer, à plonger dans le vif du sujet, un jeune homme, assis. Casque sur les oreilles, avec un accent du Vietnam, des paroles hachées, rythmées par une élocution cabossée, il parle, se raconte. Vont lui succéder, deux femmes, elles aussi rescapées de ce phénomène sociétal de l'époque: les boat people.Le drame se raconte cependant sur le ton de la gravité quasi légère de ces morceaux d'histoire quelque peu oubliés, passés à la trappe de la grande histoire. Et pourtant, ils marquent toute une génération et des mouvements politiques forts, conscients. Cette petite famille "reconstituée" touche et émeut, les personnages s'y détachent dans une sorte de tendresse, de douceur dans l'évocation de leur sort. Dans un décor intime, un salon sobre et anonyme, sur fond de mer et de bruitages marins, ils vivent devant nous: le pouvoir de classes sociales différentes, de codes à enregistrer, d'attitudes à adopter.La cohabitation est possible, nécessaire et chacun semble y mettre du sien sans perdre son identité Les textes, confidences, interviews d'immigrés de force sont de toute beauté, incarnés par des comédiens pétris d'empathie avec le sujet: leurs origines respectives les y conduit.L'orphelin du Biafra, Arnold Mensah y met toute sa conviction dans un jeu entier et passionné. Clément Bigot, le père, le second du couple d'accueillants est généreux et bienveillant. Charline Grand en maitresse de maison est impeccable, parfois drôle et insouciante. Tous intègrent et habitent ces rôles décapants qui traitent d'un sujet négligé, oublié. Un madison endiablé ponctue la narration, histoire de fédérer ceux qui pourraient ne pas s'entendre: les gestes empruntés aux cultures d'Asie du sud est, doigts et poignets mobiles plein de grâce mesurée. 
C'est drôle et touchant.Au final, c'est un jeu de marionnettes de papier qui illustre et résume le sort de ces captifs contraints. Des photographies, comme des collages naviguent sur un écran, filmées en direct par magie. La caméra passe la main pour dominer les uns les autres à tour de rôle.,Un film d'animation prend vie et double les récits, esthétiquement très fort.  Une idée de dramaturgie de Marine Bachelot Nguyen, metteuse en scène et autrice qui signe ici un opus singulier et original, servi par une troupe soudée et métissée, de cultures proches du sujet à vif.

 


[Texte et mise en scène]
Marine Bachelot Nguyen

[Avec] Clément Bigot, Charline Grand, Arnold Mensah, Paul Nguyen, Dorothée Saysombat, Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné
 

[Assistanat à la mise en scène] Linh Tham 
[Scénographie] Kim Lan Nguyen Thi 
[Vidéo et régie générale ] Julie Pareau
[Lumière] Alice Gill -Kahn 
[Écriture marionnettique] Dorothée Saysombat 
[Son] Yohann Gabillard 
[Costumes] Laure Fonvieille


Au TNS jusqu'au 28 Novembre