vendredi 12 décembre 2025

"Hansel et Gretel" de Engelbert Humperdinck: du bon pain tres épicé....Corsé, révélateur de pratiques insoupçonnées ....


 Hansel et sa petite sœur Gretel ne manquent ni de chansons ni de danses pour tromper la faim qui leur tord le ventre, chasser le désespoir qui les guette et adoucir les corvées qui les épuisent. Leurs joyeuses chamailleries ne sont cependant pas toujours du goût de leurs parents que la misère a beaucoup abîmés. Une insignifiante histoire de lait renversé, et les voilà chassés hors de la maison par leur mère. Livrés à eux-mêmes au milieu des bois où les apparences sont souvent trompeuses, ils vont être tentés par un piège des plus attrayants, concocté par une stupéfiante créature, passée maîtresse dans l’art des artifices et de la séduction. Son péché mignon ? Elle raffole de la chair fraîche et tendre des enfants encore innocents…


Traditionnellement présenté à Noël sur les scènes allemandes, ce conte musical inspiré par l’une des histoires les plus célèbres des frères Grimm enchante petits et grands outre-Rhin depuis plus d’un siècle. Engelbert Humperdinck y déploie avec un sens inné du merveilleux une partition à la fois opulente et subtile, où d’authentiques chansons populaires croisent des leitmotive wagnériens et de magnifiques envolées lyriques. Présenté devant un public virtuel durant l’hiver 2020, le spectacle mis en scène par Pierre-Emmanuel Rousseau renonce au folklore de la maison en pain d’épices pour renouer avec l’esprit de cruauté du conte original, incarné ici par une « sorcière » pleine de surprises. Un regard renouvelé porté sur un grand classique confié au chef Christoph Koncz.
 

On aurait pu s'attendre à une version enchantée, naïve ou tendre d'une légende gourmande d'un conte de fée mythique et enchanteur...C'est tout l'inverse que nous propose Pierre Emmanuel Rousseau dans ce spectacle de fin d'année, loin des poncifs du genre divertissement de fêtes! 


Le premier tableau nous invite sur un terrain vague jonché d'immondices, d'un fatras de reliefs périmés, de désordre et de pauvreté. Une caravane défoncée pour habitacle et refuge de deux enfants, unis dans le paupérisme et l'insalubrité. Pourtant, ils chantent le désir et la vie, l'optimisme et le réconfort de cette fraternité. Enfants abandonnés, laissés pour "conte" compte  par des parents absents? Le jeu plutôt réjouissant des deux chanteuses nous plonge dans l'histoire qui s'avèrera cruelle et démoniaque de deux pauvres hères livrés à eux-même. Rien de réjouissant, ni de gourmand, ni de sucre d'orge dans cette version non expurgée du conte des frères Grimm. Tout prend sens à l'apparition de la Sorcière, être androgyne ou travesti, créature hybride sans foi ni loi, qui ne songe qu'à capturer les deux proies de ses désirs gloutons et furieux, avide de dévorer comme un ogre ces proies faciles et dociles. Terrifiante interprétation sur le vorace, le boulimique, le compulsif de désirs cruels et mortifères. Ogre comme à nulle pareille, cette sorcière est magnétique et envoutante, et sème la panique autant que la futilité dans ce monde loin d'être féerique. Le décor, les espaces dévolus à ce récit irrévocable en diable fonctionne comme une machine à broyer les destins. Portes tournantes, cages de prisonnier, otage de ce monstre déchiré par la convoitise et les interdits. On songe au caractère "pédophile" de ce personnage , violent, coupable d'actes et de pensées perverses et indociles. On est ému et terrifié par cet aspect non dissimulé d'une histoire trop souvent évoquée à l'eau de rose et pleine de gourmandise. Pas de tuiles en pain d'épices ici mais un récit corsé des us et coutumes des puissants et des impulsifs prédateurs. Dénoncer à travers musique, danse et chant les affres de la perversion, voici un parti pris fort décapant qui plonge dans la véracité des pseudos "contes de fées": la psychanalyse est de bon ton et résonne aux problématiques d'aujourd'hui sur le droit des enfants et la protection de leur existence fragilisée par les pratiques d'adultes abusifs. Les artistes, chanteurs, danseurs y mettent toute leur énergie, leur humour aussi dans des airs, des chorégraphies de bon aloi. La foret se transforme en "the witch palace" où tout est illusion et artifice.Cage aux folles divagations, leçon de danse et autres glissements sémantiques du récit non édulcoré!Sur une partition qui frise les plus grands, de Mahler à Wagner, les interprètes naviguent sans heurt et nous entrainent dans cette passionnante version très corsée, sans fard, épicée aux fragrances d'une cruauté édifiante, dévoilée dans le vif du sujet. Tous au diapason, Julietta Aleksanvan à la voix pleine et puissante à la dimension de la sensualité et à la force de la musique. La chorégraphie se glisse dans les entremets musicaux avec bonhommie, grâce et futilité des poses, gestes et attitudes de cabaret bigarré. On y fait la fête autant que l'on y danse en cadence sur des airs légers et virevoltants. Les chanteurs investis dans cette mise en espace pour servir un récit palpitant débordant d'ingéniosité .Les costumes sont ravissants, rutilants et évoquent cette parfaite interprétation du "joli", naïf, caché dans des atours féeriques. Une psychanalyse des contes de fée comme au temps de Bruno Bettelheim et des révélations fouillées faisaient déjà surgir la monstruosité des penchants humains.... 

Direction musicale Christoph Koncz Mise en scène, décors et costumes Pierre-Emmanuel Rousseau Lumières Gilles Gentner Chorégraphie Pierre-Émile Lemieux-Venne Maîtrise de l’Opéra national du Rhin, Orchestre national de Mulhouse

Hansel Patricia Nolz Gretel Julietta Aleksanyan Peter Damien Gastl Gertrud Catherine Hunold La Sorcière Spencer Lang Le Marchand de sable, la Fée rosée Louisa Stirland

A l'Opéra du Rhin du 7 au 11 Janvier 

photos clara beck 

 

 

jeudi 11 décembre 2025

Pièce sans acteur(s) , François Gremaud et Victor Lenoble : en attendant l'absence...Deux parturiantes sous maieutique.


 On connaît le théâtre sans décors, sans costumes, fait seulement de la présence humaine qui habite le plateau. Avec Pièce sans acteur(s), François Gremaud et Victor Lenoble poussent l’expérience plus loin encore : plus rien sur la scène désormais que deux hautes enceintes à cour et à jardin, d’où s’élèvent une voix, puis deux, de la musique. De quoi parle-t-on ? Des comédiens eux-mêmes, jouant une autre pièce, ailleurs, bien réelle, elle (ou pas ?). De poules, de ballet, de Goethe, d’une biche qui entrerait soudain en scène... et on se surprend à ressentir cette puissance des mots à faire émerger mentalement tout un monde. Mais d’où viennent ces voix, qui dialoguent si spontanément apparemment ? Sont-elles enregistrées ? Dans ce minimalisme à haute teneur poétique, c’est du théâtre qu’il sera question finalement, de ses artifices et de ses dissimulations, du plaisir qu’il procure, lorsqu’il redouble le monde dans ses moindres détails ou lorsqu’il est réduit à son plus simple appareil.


Il y a eu des pièces sans danseurs dès 1917 avec "Feux d'artifice" de Giacomo Balla, voici une pièce sans comédien... Il y a eu des jours de "relâches" sans relâche mais avec "entr'acte" du temps de Picabia, Clair,Satie et Borlin pour l'opus "Relâche" des Ballets Suédois


..Voici une pièce de jeu sans pion, ni roi, ni reine mais avec des diagonales de fous..Deux enceintes sur scène: c'est pas une rave party avec ses murs d'immenses enceintes, ni celles de Pierre Henry pour ses sculptures sonres.amoncellement de hauts-parleurs, empilés tels les robots de Nam June Paik...Deux personnages immobiles, figés bien ancrés sur le plateau nu. Des mots sourdent de "la bouche" de chacune des enceintes. Ce sont d'abord ceux de Victor Lenoble boulanger Bio reconverti qui nous raconte la genèse de l’expérimentation: donner la parole puis le son puis les deux simultanément à ces colonnes, totems muets et statiques. Et ça marche: peu à peu, les deux enceintes prennent vie, accouchent à tour de rôle comme des acteurs dans leurs rôles respectifs. Les deux auteurs comme des écrivains confiant leur textes à ces bouches bées. Au tour de François de s'exprimer, de dire son avis et de faire avancer le schmilblick..

 


Face à nous, tout semble s'animer et si une biche vient bientôt faire partie du voyage, c'est aussi désincarnée, absente, arlésienne diaphane, spectre bienveillant en rupture avec la chair. C'est un leurre et tout se renforce par une mise en abime souhaitée par les acteurs virtuels. Faire une pièce qui raconte celle ci mais en chair et en os. Alors pourquoi pas s'y atteler et nous montrer ces deux protagonistes sur scène, costumés en enceinte. La maïeutique semble opérer et l'on imagine le tableau vivant et désopilant de ce show hors pair. Un gros travail pour le spectateur, obligé de se faire son film avec images et humour. Beaucoup de tendresse dans ce dialogue entre machine, robot bien bâti comme de sculptures sonores. Rien d'autres que leur présence habitée par l'absence des comédiens: absurde en diable à la Ionesco, une petite heure durant, le piège fonctionne jusqu'au coup de théâtre final.


Il y a bien un faune dans la cage et un humain dans l'autre habitacle. Après une description d'une séquence de "L’après-midi d'un faune" de Nijinsky/ Roerich/Debussy suite à une panne de courant nous ramenant dans le silence et l'obscurité totale. 


C'est bluffant et plein de fausses routes, de leurres, de farces et attrapes de bon gout.On image les nymphettes à la Duncan virevolter auteur du faune -comme Charlot dans son film "une idylle au champ"- alors que rien ne se passe excepté dans notre imagination. Alors à quoi bon se flageller et mettre en place des dispositifs lourds et encombrants, alors que l'imagination peut faire le reste! Un musicien par pupitre suffirait pour l'orchestre!Coup de théâtre final quand les deux auteurs-comédiens-metteurs en scène sortent des cages des enceintes...Les créatures ainsi évacuées et engendrées sont bien de beaux bébés réels. La maïeutique a opéré et longue vie à cet opus et à celui qui n'aura jamais lieu: le récit par deux acteurs de ce que nous venons de voir! Les coquins! Le "Theâtre et son double" d'Antonin Artaud en filigrane, sur la perte et la vacuité...Deux enceintes, "une porte et un soupir", on ira loin...Et ce sera le "début" de la fin!

Au Maillon les 9 et 10 Décembre 

mardi 9 décembre 2025

TRAVAUX PUBLICS EFTHIMIOS MOSCHOPOULOS – FÁE | An ephemeral dinning: nature vivante et table rase, garnie de reliefs épatants.

 


Efthimios Moschopoulos est un danseur et chorégraphe grec actuellement basé à Athènes. Ce projet FÁE | An ephemeral dinning place la table, au centre de sa recherche. Une table qui serait un lieu de rencontre, un confessionnal bucolique distillant à la fois la tendresse et la violence de la campagne, sa solitude et l’angoisse de son identité, son besoin d’expression et la formation de sa sexualité. Une table comme un support pour partager ses souvenirs et ses références à la nourriture, le dîner en tant que pratique sociale.
 
Seul, soliste habité par une gestuelle féline, animale, vêtu de noir et chaussé de bottes, il parcours l'espace, se repère, s'anime fébrilement de sursauts tétaniques au souvenir d'une mise à bas d'une brebis de ces troupeaux d'enfance. Les images et son corps se confondent, se jouxtent et prennent une dimension sacrée et symbolique du sacrifice de l'agneau. Une table penchée l'attire, le transforme en reptile, tortue portant son habitacle. Alors que des images filmées défilent, celles d'une table de festin où vont se presser des moutons d'un troupeau affamé, il danse cette fébrilité et les fruits de son imagination surgissent. La table devient l'endroit, le lieu d'un supplice de fruits et de légumes qu'il va violenter. En les fracassant sur la bordure, déchiquetant les fibres. Pour mieux faire émaner les fragrances du céleri, des agrumes pressées sous ses doigts. Une véritable performance de plasticien, laissant les reliefs comme un tableau piège de Spoerri. Nature "morte" bien vivante, lui-même offert aux regards, le corps livré sur la table, élu du sacrifice. Efthimios Moschopoulos livre ici une très belle esquisse de sa proche création, encore en "chantier ouvert", la parole libre et généreuse sur son travail, ses sources d'inspiration: l'enfance baignée de religion, de nature et de contact avec l'animalité. La difficulté aussi d'assumer son identité parmi les siens. Une "cène" quasi religieuse que ce banquet, festin de Eftthimios.Belle trajectoire source de réflexions et de questionnement de la part du public, réuni ce soir la pour assister à cette présentation de très grand intérêt. Sur l'autel de la chorégraphie, le corps du danseur se donne et se raconte dans une narration sensible, jamais mimétique. Le tableau final respire encore de cette étonnante figuration: le végétal écartelé sommeille à présent dans la quiétude de la réparation. Un solo nourri de denrées comestibles dont le souvenir sera sensuel et philosophique, poétique et émouvant.. La danse des orifices, bouche bée, ces petits bruits de mastication dans la bande son, tout réfléchit ici le rapport immédiat, puis plus esthétique de la danse à la nourriture. Lire "la danse des orifices" de Roland Husca.

Résidence : LU 08 > DI 14 DÉC
Efthimios Moschopoulos est soutenu par Onassis AiR pour 2024/2025 dans le cadre de la bourse de dramaturgie et pour 2025/2026 dans le cadre du réseau Grand Luxe.

A Pole Sud le 9 Décembre