jeudi 16 mars 2017

"Providence":Le lac des signes et de la mélancolie

"Depuis 1997, le poète et romancier Olivier Cadiot, le metteur en scène Ludovic Lagarde et l’acteur Laurent Poitrenaux, véritables artistes associés, poursuivent ensemble un chemin artistique original, imaginant d’incroyables objets scéniques aussi différents que le sont les textes mis en voix. Ce trio s’accorde à merveille pour traverser des univers changeants parcourus par des thèmes récurrents, réflexions souvent pleines d’humour, sur la vie, sur l’art, sur l’amour, sur la littérature.
Providence emprunte son titre à la quatrième partie du livre d’Olivier Cadiot dans lequel un homme est reclus dans une maison au bord d’un lac après un échec professionnel qui a mis fin à sa carrière. Laurent Poitrenaux accueille le spectateur dans ce chez-soi « vide » qui ressemble à un atelier d’artiste. entouré d’outils techniques, il va construire sous nos yeux de multiples engins artistiques et dessiner peu à peu une retraversée personnelle de la modernité avec cette question lancinante : de quelle manière peut-on ré-agencer les choses pour habiter pleinement sa propre existence ?"
Il est seul sur scène, en apparence , car un canapé noir accueille son corps alangui, quatre enceintes acoustiques et deux beaux "révox", trônent sur piédestal, comme deux statues académiques. Des parois noires et ajourées l'entourent, ouverture vers un paysage plutôt géométrique, alvéolé, structuré en cases savantes....Il soliloque, solitaire passager d'un roman , égaré sur les rives d'un "lac", dépression géologique, bassin d'accueil et réservoir d'une tectonique en débâcle. Métaphore du personnage qui va "se répandre" et "fondre", tel un "fernand" d'Odile Duboc, personnage transparent, visible ou non, présent ou absent, selon les mots, selon la musique qu'il va nous laisser entendre.
De milieu "mondain", intellectuel, ou tout simplement être blasé, déconfit, quelque peu ramoli par un contexte pas toujours dynamisant?
En fait c'est la musique qui le "sauve", le berce, l'inspire et le "motive"!
Moteur de sa pensée, des images nombreuses qui peuplent son imaginaire visionnaire iconique.
Musique concrète, répétitive, ou schubertienne, bruits sons et frissons que les enceintes en quadriphonie déversent à partir des deux beaux Révox, vintage, de collection
Il est en blouse, rêveur pieds nus, puis en costume classique mais sans chemise:signe vestimentaire qui ose signifier décontraction, désinvolture, mais pas faiblesse ni désintérêt pour les choses de la vie
Poitrenaux en figure de proue pour cette performance de haute voltige, délicate, fine, ciselée et vif argent comme son regard, ses directions dans l'espace, ses "petits bougés", si tendres, sa mobilité extrême parure de son corps vibrant. Envergure des bras, balancés de sa danse ondulante, très sensuelle, traversée par les mots, la syntaxe de Cadiot. Le texte et la musique alternent ou ne font qu'un: on éprouve l'écoute des rythmes avec acuité et concentration. Il se meut avec la grâce d'un oiseau sur les ondes et les ricochets aléatoires du hasard en font une surprise constante, dans le jeu, dans l'astuce et l'humour distancé d'un phénomène, d'une "créature" androgyne fascinanteIl Il dialogue avec son double surdimentionné, en vidéo dans la pénombre, joue avec malice comme un jongleur de mots, fait silence, en apnée, ou pause salvatrice. Un comédien au service d'un texte riche et nourri de sensualité, dans une mise en espace chorégraphique, sobre et convaincante.Un oiseau de nuit, à l'envergure étonnante pour un envol au dessus des nids de coucous.
Il nous prend par la main et au bord du Lac, en promeneur solitaire nous invite à partager la "mélancolié: surtour n'asséchez jamais le lac des signes !
"Providence" jusqu'au 25 Mars au TNS

mercredi 15 mars 2017

"A mon père, une dernière danse et un premier baiser": à "mon vieux" !

« A mon père, une dernière danse et un premier baiser »: à « mon vieux » !
Radhouane El Meddeb signe un solo touchant, seul sur scène, de dos toujours, torse nu, pantalon noir, sur un carré blanc au sol, entouré de noir, comme un faire part de décès. Immobile, hochant frénétiquement la tête par saccade, il frémit, bouge, se meut, renaît ? Des bribes de piano égrenées, du JS Bach brisent un lourd silence opaque. Danser de dos, comme Trisha Brown, ne jamais dévoiler sa face, son visage, son identité ou son chagrin, pudiquement: n’a pas montrer que l’on pleure la mort d’un père! A part le temps d’un petit tour furtif, d’un face à face éphémère avec le public. On découvre cependant, enfin, son corps, luisant de sueur, corps non canonique, banal: celui d’un homme qui danse la tristesse, l’absence, la disparition de son père, compagnon de vie. La scénographie de Annie Tollerer, propose pour évoquer cette culture arabe, la carcasse d’un mouton décapité, tout de plâtre, purifié, poussière des siècles et du temps, objet de rituel et de cérémonie liée à l’image du père conduisant son fils voir les sacrifices halal des moutons pour l’Aid. Au sol, gisant silencieux, éteint, mort.

En apnée, en suspension, on la quitte tout en retenue comme du Bach: les pieds en cinquième position classique, cambré, il rend hommage à la vie, la disparition inéluctable de ceux que l’on a aimés, chéris.
Émouvants adieux funèbres, tremblants et plein de secrètes confidences de corps !
Au Maiion wacken avec Pôle Sud les14 et 15 Mars

"Sombre rivière" :Lazare connait la musique ! Diatribe en lit mineur.


"Depuis ses premiers textes, Lazare questionne le présent, son présent, notre présent qu’il ne sépare jamais de ce qui fut son histoire, notre histoire. Il ne cesse d’interroger le passé pour mieux comprendre aujourd’hui, faisant parler vivants et morts, nous entraînant dans le monde trouble des secrets qui finissent par se révéler.
Son écriture sait rendre poétique la langue orale de ceux qui ne maîtrisent pas la langue « savante », de ceux qui vivent dans les marges d’une société cabossée. Avec Sombre Rivière, titre d’un standard de blues, c’est dans la musique et le chant que nous entraînent Lazare et ses compagnons de route pour dire tout à la fois la violence trop actuelle du monde et la force des songes.
Se souvenant de Rainer Werner Fassbinder interviewant sa mère dans son film L’Allemagne en automne, Lazare écrit Sombre Rivière s’inspirant de deux conversations téléphoniques, une avec sa mère, l’autre avec un ami dramaturge pour parler de cette violence qui nous enserre et nous rend peureux et sans défense. Ces deux textes, où l’on n’entend que la parole d’un des correspondants et où l’on devine dans les silences celle de l’interlocuteur, permettent à Lazare de poursuivre son chemin sur la voie d’un théâtre où « la musique est une respiration de l’écriture ».
Un théâtre fort, exceptionnel, profondément personnel « fait d’improvisations et de rythmes qui alterne scènes parlées-chantées et musique », le théâtre d’un artiste pour qui écrire est encore plus nécessaire depuis les attentats de novembre 2015 à Paris."

Alors petite rivière deviendra grande et sourtout ne sera pas un long fleuve tranquille.
De son "lit mineur", un texte de la facture du metteur en scène, elle fera son "lit majeur", une tonitruante farandole, "redoute" des temps modernes. Diatribe poue et contre tant de sujets d'actualité, et en autre "les arabes", les "siens" bien français, mais pas "de souche"!
Comme un grang "stammtisch" ouvert et convivial, nous voici aux confluents des cultures, chacune comme un affluant venant grossir l'autre jusqu' à son estuaire: entre temps, un voyage au long cours, sur les berges, plein de petites et grandes actions, chatoyantes, touchantes, endiablées, énergiques.
Univers ludique, balade comme un défilé, déferlent musique, chansons, paroles et murmures, rage et douceur
La "petite famille" fait sa saga, et chacun des protagonistes y trouve saplace: Lazare, lui se débat, s'affole, danse et gesticule, pantin manipulé ou électron libre?
Sa bande de potes, joyeux et insouciants le suit: le rythme cependant s'éssoufle, les répétitions ou redondances, génèrent l'absence de surprises. Ce charrivari, burlesque ou dramatique-des sujets graves y sont évoqués-tend vers l'indigence, du texte surtout dont la poésie demeure absente. Ce "bla-bla- land", juste un peu caustique, au vitriol non décapant reste démagogique et n'apporte pas grand chose de plus à un panorama de la société dure et implacable. Lazare , toute à tout fait feu de tout bois, et le "genre" hybride de son spectacle ne pourrait convaincre ni fan de comédie musicale, ni adepte d'un show, rap ou slamé, authentique prestation urbaine, avec tripes à l'appui
Divertissement léger, enthousiasme malgré tout communicatif, "Sombre rivière" ne donnera ni le blues, ni la nostalgie, sauf peut-être le recourt aux références: "Les Ogres", le film de Léa Fehner, ou un "Molière" à la Mnouchkine, un Kustorica au théâtre....Lazare, gare aux pièges de l'amitié et de la solidarité: le théâtre, n'est pas que festif et partageux, il est aussi écriture et tempo, espace et lumière du jour et de la nuit.
Les comédiens, certes s'en donnent à cœur joie, francs et massifs, gais ou emplis de verve contagieuse. La "maman" de Lazare, beau personnage filmée dans toute sa sincérité en serait "le clou" du spectacle: heureuse, naturelle, se riant des élucubrations de son fils !
Alors, les petites rivières font les grands fleuves, et l'estuaire est vaste et la mer encore lointaine....Lazare, celui qui "sort", ressuscité, du tombeau,pseudo prédestiné ou chargé de symbolique devrait-il prendre la porte et revoir sa copie: sur les sentiers de "l 'âne" il faut savoir brouter les "mauvaises herbes", les meilleures et les offrir au delà d'un simple feu d'artifice ou de pot pourri, bouquet garni aux fragrances sauvages et indomptables!
Au TNS jusqu'au 25 Mars