dimanche 6 octobre 2019

"Le grand degenrement" : "ne pas déranger" ! On chamboule tout au "grand chambardement" ! !!!


Le Grand Dégenrement rassemble trois générations de musiciennes, danseuses et circassiennes brisant les clichés avec humour et impertinence.
Jongleries diverses et variées, voguing et travestissement, musique sérieuse – et néanmoins tirée par les cheveux –, improvisation dans le plus pur style de l’anthropocène tardif : c’est la réunion sur une même scène de pratiques que les usages de la société séparent. Car la musique n’a pas échappé à la grande entreprise de l’assignation. De quoi mettre à mal nos petites habitudes mélomaniaques et considérer enfin la musique comme une vaste ressource à préserver et à partager entre tou·te·s. Noémi Boutin, Élise Caron, Joëlle Léandre, Leïla Martial, Julia Robert et Marlène Rostaing, sans oublier les Capilotractées, sont les géniales sorcières de cette célébration aux émanations de jazz hilarant et au prosélyrisme assumé, où le jongleur Jörg Müller, le clown-acrobate androgyne Camille Boitel et son double astrophysicien Aurélien Barrau, affranchis de toute frontière physique et métaphysique, font valser (en l’air) les codes, les préjugés et les bibliothèques des musiques de chambre plus ou moins bien rangées… ou genrées.

coproduction L’Onde & Cybèle, Musica
On démarre avec un discours, solo d'un physicien, intello et quasi incompréhensible tant le vocabulaire emprunté est savant, grandiloquent et agaçant....Vous saurez tout sur le "multivers", univers multiple aux entrées multiples...Deux clowns, femmes costumées, bigarrées, colorées prennent le relais, improvisant à merveille-surtout quand les "tousseurs" de concert s'adonent en salle à un récital percutant d’éruption de gorge chaude !!! Ta toux est tatouée, ôtant la toux......Hommage aux racleurs de colonne d'air, de diaphragme et autre organes du souffle...Un violoniste et une danseuse à roulettes comme un déambulateur pour paralysé, suspendue à une machinerie de cordes animée par une cascadeuse multi risques...Une sirène des airs s'y métamorphose comme un papillon de sa larve de nymphe et vient planer dans l'éther, la queue battante! Des bulles de savon pour nuages transbordeurs... Le violoncelle accompagne un sonneur de tubes résonants, dans un manège incessant, musical quand les bâtons ne sont plus directement animés: corps absents, spectres officiants!
La musicienne se voit inviter à escalader un procénium flottant dans l'air, balançoire animée par les esquives et poussées d'un danseur, buvant les obstacles, absorbant les difficultés..C'est beau et périlleux comme au cirque
Clou du spectacle, Camille Boitel qui se bat avec des balles rondes blanches à profusion, simulant la maladresse avec virtuosité, la submersion d'objets, avec raison et détermination,renoncement: en un joyeux combat, les balles envahissent la scène, rebondissent avec fracas comme les salves d'un feu d'artifice!
Humour, désenchantement d'un virtuose en proie à la folie du surnombre, de l'entassement, de la démence de cette profusion de sollicitations: où donner de la tête, du coude, du bras pour chasser cette invasion de boules, sans " avoir les boules" comme le diront celles qui lui succèdent dans ce champ de bataille, très "plastique" esthétique en diable! La longue table monastère-cathédrale, dressée auparavant pour lui, pleine d'empilements de boules blanches, est une sculpture scénographiée fort belle: à déconstruire avec allégresse!
Encore un long discours lénifiant de notre faux monsieur Loyal, présentateur trop sérieux de pacotille et nous voilà en bonne compagnie: voix et contrebasse se fraient un chemin pour accéder au devant de scène où Joelle Léandre improvisera à l'envi pour ce grand dégenrement, en osmose avec l'esprit iconoclaste de cette bande à part, et son "manifeste" de l'anticonformisme !
Beaucoup d'humour et de distanciation pour ce show multi média de bon aloi pour un festival innovant, décapant, déroutant, sur les chemins de l'âne plutôt que sur les autoroutes uniformes....à péage !

 Astrophysicien  Aurélien Barrau Jongleur, clown et acrobate  Camille Boitel violoncelle, chant  Noémi Boutin Acrobates  Les Capilotractées Chant, flûte, jeu  Élise Caron Chant, contrebasse  Joëlle Léandre Chant, danse  Leïla Martial Marlène Rostaing Jongleur  Jörg Müller Alto, chant  Julia Robert Conception, dramaturgie  Blaise Merlin


"Pamplemousse" : une cure de détox acidulée !


L’ensemble Pamplemousse réunit six jeunes compositrices et compositeurs venus des quatre coins des États-Unis. Situés à mi-chemin entre la musique contemporaine et le fab lab itinérant, ils ont pour particularité d’interpréter eux-mêmes leurs créations, mêlant virtuosité et pop culture, performances et vidéos délirantes, robots et autres bizarreries électromagnétiques. Esprit DIY et « basse fidélité » de rigueur. Avertissement : ce concert contient des scènes susceptibles de heurter la sensibilité des contempteurs du bricolage musical !

Un concert qui promet d'être peps et acidulé en compagnie de Natacha Diels, pour la troisième fois à Musica!
programme
  David Broome Nouvelle œuvre (2019) création mondiale  
Alors  "à table" avec cet opus, futeur festin de musique, autour d'une table dressée pour émettre bruits et sons poly-sons, polissons, pleins d'astuces, de surprise, de verve. Les cinq "musiciens" bien dans leur "assiette": instruments miniatures de dinette pour grand bazar, grand magasin Samaritaine où l'on trouve tout! C'est comique, drôle, bien relevé et rythmé, en petite fanfare, avec un "maitre queu" de service pour ce banquet musical à la bonne franquette!: un barrissement d'éléphant, une joyeuse cacophonie, machinerie électroacoustique infernale...

 Natacha Diels Nouvelle œuvre (2019) création mondiale   
En voiture, pour ce long voyage, toujours "à table", aux "pianos", en cuisine ces "toqués" étoilés sont des chefs d'orchestre multifonctions, pour trois claviers, une mélodie interrompue, notes détachées, lumineuses...

Bryan Jacobs Nouvelle œuvre (2019) création mondiale   
Lumières et sons stroboscopiques, crachins, crissements, dérapages contrôlés, font de ces musiciens les vecteurs, conducteurs qui retiennent les sons de bâtonnets suspendus, enferment leurs résonances pour mieux les relâcher, les délivrer de ce vacarme ambiant. Contre les sons enregistrés, le combat est périlleux: qui gagnera dans ce conflit singulier où les sauveurs des sons naturels luttent contre l'artifice, les artefacts...Ca arrache sur fond de projections d'images vidéo, paysages sonores urbains, clochettes de temple en sus, em mains, en direct comme pour une petite procession, balade dans le public.Alors que la bourrasque gronde, dans le vent, tranquilles sur le son des klaxons, les musiciens baignent dans la musique , le sourire et la bonne humeur au coin des lèvres...

Jessie Marino Nouvelle œuvre (2019) création mondiale 
Un voyage kitsch dans les nuages et le ciel bleu azur, en avion, pour nous conter une histoire: "you are so beautyfull" !! On danse en couple, en silhouettes noires sur fond bleu et dans la mer de nuages, on vogue! Musique spatiale illustrée à gros traits..Et l'on repart avec....

 Weston Olencki Nouvelle œuvre (2019) création mondiale
Tout s'enchaine avec comme "lian" sauce exquise, clochettes et percussions diverses. Quatre voix, attablées, en écho, en langue anglaise, murmurent des onomatopées de carton, en bulles de BD qui éclatent !
Mugissements d'animaux, jeux de voyelles, de consonnes, en yodels, trio de sons très aigus aux claviers.Le tout ponctué d'une musique sidérale, de tintinnabulements animée. Fable musicale pour petits et grands, musique de berceuse dans les étoiles, féerie des sons perçus...
Au coeur d'un petit monde de fils, de câbles, de branchements inextri-cables...les musiciens s'amusent comme dans une armoire électrique où tout serait à inventer, découvrir en expérimentant, toujours de façon ludique, son, bruits et mimiques; 

Pour preuve au final, seuls, défaits de leur harnachement électroacoustique, les cinq musiciens s'adonent à une "musique de corps", assis avec leur simple caisse de résonance organique et acoustique: corps, peau, visages et autres segments physiques à l'oeuvre pour un théâtre guignol ou jeu de massacre, de foire: on se lève, on se rassoit comme à la messe, en se frappant la coulpe, pantin sans fil, sans dieu ni maitre, chantant à cappella, en décalage pour ces vêpres de cérémonie partagée sur l'autel du sacrifice du bien séant!

Encore un petit jus de "Pamplemousse" pressé pour aciduler votre écoute et faire une bonne cure de détox avec ses "pépins" de fruits, agrumes bien décapants, déterre -gens de première nécessité !

Au TJP Petite scène le samedi 5 Octobre dans le cadre du festival Musica

samedi 5 octobre 2019

"Alles klappt" Ondrej Adamek : autopsie archéologique des malles du souvenir


Alles klappt. Tout va bien. Sur scène, des archivistes trient des lettres, des cartes postales et des objets du Musée juif de Prague. Ils semblent observer une situation ordinaire, la vie de tous les jours, ses tâches quotidiennes et ses marques d’affection. Mais une distorsion s’installe petit à petit, dans la musique comme dans le récit.
Donner sens aux traces laissées par les déportés, chercher la vie partout où elle a pu subsister. Tel est l’angle choisi par Ondřej Adámek et Katharina Schmitt, qui posent leur regard sur la tragédie des camps de la Seconde Guerre mondiale mais aussi sur celle de la propre famille du compositeur à travers les témoignages de son grand-père. Ses messages qui ont été conservés, envoyés depuis le camp de Theresienstadt et censurés de bout en bout, sont la source de cet opéra de chambre sur les « fausses bonnes nouvelles » de l’histoire.
Le compositeur tchèque dont on avait pu entendre l’opéra Seven Stones au festival d’Aix-en-Provence l’été dernier propose avec Alles klappt, créé à la Biennale de théâtre musical de Munich en 2018 et donné en création française à Strasbourg, un condensé de son écriture pointilliste, progressive et incarnée. Les deux œuvres partagent un même défi : se passer de l’orchestre, réduire l’accompagnement au strict nécessaire – en l’occurrence, deux percussionnistes – et inventer une écriture lyrique dont vont naître directement l’espace scénique et le jeu d’acteur. Où la musique devient corps… Ondřej Adámek que l’on connaissait déjà à Musica pour ses pièces orchestrales débridées (on pense à Follow me, son concerto pour violon donné en 2018) présente ici un tout autre visage et confirme son exceptionnelle capacité à mêler les sentiments tragiques à l’euphorie musicale.

Dans un décor tout gris, pans de murs et autres dispositifs scéniques, couleurs cendre, un sondeur, sourcier fait apparition, archéologue, fouilleur de chantier de recherche. Que va-t-il découvrir dans ce sol, strates de mémoire, de nostalgie, d'hommage à une culture, une communauté éradiquée, disparue, rayée de la carte?
Fumigènes pour semer le trouble et l'opacité de secrets de l'histoire dissimulés dans les parchemins et autres manifestes de prières...Recueils de doléances ou d'espoir. En tenue de déménageurs, de médecins légistes, pour une autopsie des corps et des objets, voici nos chercheurs en herbe en proie à la fébrilité vocale, cris et chuchotements sur le bord des lèvres. Les caisses de bois exhumant leurs trésors: autant d'objets de musée de la mémoire que l'on va emballer dans du papier alimentaire transparent et souple pour mieux les "conserver", les honorer, reliques et objets d'un étrange culte à ses ancêtres, voisin du travail de Christian Boltanski sur la mémoire , filiation et patrimoine juif. Les acteurs chanteurs jouent de leurs voix, avec le son des mots en allemand, en rythme, en écho, canon ou ricochets. Ca anone, ou bégaie à l'envi ! Choeur vocal, bordé par des percussions, grosses caisses ou instrumentarium qui peu à peu envahit le fond de scène. On chuinte, on psalmodie sur les indication d'un chef d'orchestre dissimulé à vue dans sa cahute et redistribué sur écran vidéo pour être perçu de tous: mimiques et gestes éloquents eux aussi, diablotin, souffleur dans sa niche?
Timbales, tambours et percussions pour ébranler, fouiller la mémoire, mettre à jour du fond de ses caisses de bois, la mémoire.Comme fouiller dans les réserves d'un musée, archéologie du futur...
Un bandonéon est retrouvé, une sculpture, pour mieux les inhumer à nouveau dans le respect d'un rituel d'empaquetage de momies, solennel et respectueux des traditions hébraïques.
Comme aussi une consultation médicale de médecins de l'humanité, soignant les blessures et cicatrice d'une communauté qui se souvient: conserver, maintenir le souvenir vivant par le chant, l'opéra populaire, le théâtre vocal qu'inventent les interprètes. La correspondance, les lettres ou fiches qui font le reste de cet inventaire macabre d'une communauté menacée, fait office de socle, de base, de fondations textuelles et sonores.
Evocation sensible et remarquable par le truchement de tous ces objets d'un office respectueux et puissant d'intensité dramatique
Comme dans un hangar de stockage d'archives ou de magasin gigantesque, dépôt des âmes et de leur histoire. Comme un centre de tri? de redistribution des taches, des colis et des objets à replacer, déplacer, arracher de nouveau de leur sol. Un jardinier se vautre dans la terre meuble et noire, sortie, déversée d'une caisse, malle , boite de Pandore...Et inhume un arbre vivant, l'enterrant à jamais. Sur la spoliation des biens, sur le vol d'une culture sur son anéantissement, on avait jamais parlé de cette façon: musicale, entêtante, rythmée par les souffles, les voix des personnages convoqués pour ce rituel : parfois un ton belliqueux fait se rebeller la population, petite communauté aux abois.Les corps bégaient, ânonnent, hésitent dans ce prêche de récitants, travailleurs laborieux sur un chantier de fouilles, ouvert, blessé, irréparable faille, brèche dans l'histoire du vécu.
La terre est souillée, les malles de transport délivrent leurs secrets et se referment; au sol les protagonistes se reposent, s'endorment, s'ensevelissent: on s’essouffle, l'atmosphère s'envenime, les hachures des textes, en rythme, "cou coupé" psalmodie mémoire et patrimoine avec véracité et conviction
Alles klappt, comme une ode à un "conservatoire" vivant archivage fantaisiste d'une mémoire vibrante d'humanité

Au TNS samedi 4 Octobre dans le cadre du Festiaval Musica

 Musique, direction musicale  Ondřej Adámek Livret et mise en scène  Katharina Schmitt Scénographie et costumes  Patricia Talacko Dramaturgie  Götz Leineweber Coaching vocal  Caroline Scholz Ott Sopranos  Landy Adriamboavonjy Thérèse Wincent Olga Siemienczuk Ténor  Steve Zheng Barytons  Dominic Kraemer Tobias Müller-Kopp Percussions  Miguel Ángel Garcia Martin Jeanne Larrouturou   Ondřej Adámek Alles klappt (2018) création française   Théâtre National de Strasbourg (Salle Gignoux)