samedi 24 juillet 2021

"Jusqu'à l'os" de Caroline Allaire: os'court ! A la Caserne à Avignon le off 2021

 

Jusqu'à l'os" de Caroline Allaire (Kilohertz): Corps os-tensiblement radiographié !


"Comme un inventaire à la Prévert, Caroline Allaire investit le corps humain, la connaissance du squelette, le temps d’une surprenante leçon d’anatomie. Dans Jusqu’à l’os, la précision de la science côtoie l’imaginaire des gestes. L’écriture ludique et déliée de la danse se teinte d’accents enchanteurs.
À propos de « l’architecture du corps humain », la danse a sans doute bien des choses à nous conter. C’est ce qu’a entrepris Caroline Allaire pour la création de son solo Jusqu'à l’os. Des planches anatomiques anciennes, issues du célèbre ouvrage de médecine anatomiste que l'on doit à André Vésale, De humani corporis fabrica (Bâle, 1543), ont été mises en couleur.
Projetées sur grand écran en fond de scène, elles font écho au corps vivant de l’interprète, à sa drôle de danse qu’un squelette miniature, posté dans un coin du plateau, semble observer avec un air goguenard. Tout comme ces illustrations, à la fois scientifiques et artistiques - elles ont été réalisées dans l’entourage du Titien, peintre de l’école vénétienne - Caroline Allaire y expose, décline, entre jeu et mouvement, les formes, la mobilité et l’usage des os. Des pieds au crâne en passant par les hanches, sa danse ludique, sensible et précise est rythmée par des univers sonores spécialement agencés pour chaque partie du corps. Un étonnant voyage anatomique dans la poésie du corps."

 Os'court !

Un tout petit squelette nous attend sur le tapis de danse de la scène , deux ombres démultipliant son ossature en autant d'exosquelettes architecturaux.
L'énumération des os en voix off démarre le cours d'anatomie, bien vivant car devant nous fait apparition un étrange bibendum cagoulé, capuchonné qui ne délivre rien de l'intérieur mystérieux de notre corps: bien en chair au contraire, tout en noir...Des images simultanément projetées sur écran, nous indiquent la partie qui va être auscultée: les os du pied; et le curieux personnage d’ôter ses bottes et d'entamer une savante danse des pieds, focalisée par un éclairage bien ciblé Danse des orteils, des chevilles, classique ou en dedans....Articulations et mobilité convoquées pour montrer, expliquer sans les mots toutes les possibilités de fonction légitime et naturelle du corps en mouvement.
"Les pieds en éventails, les pieds sur terre, dans le plat..."
Au tour de la jambe de se dévoiler, en tailleur, en compote, jambes en l'air ou belle jambe: le bas en collant rouge pour mieux désigner la partie du corps concernée. Une pédagogie didactique offensive et poétique, directe et abordable pour tout un chacun.
Sur fond de mugissements étranges, la vélocité des gambettes s'affirme, genoux et postures curieuses, rieuses.Prendre ses jambes à son cou, jambes en l'air sur musique brésilienne pour hausser de couleurs cette démonstration sympathique et ludique de la structure, charpente corporelle: le squelette.
Puis notre curieux personnage revêt un short brillant pour illustrer le bassin, très méditerranéen de la danseuse.Petit et grand bassin comme à la piscine, nous murmure une voix d'enfant...Des grincements d'articulations déclenchent des éclats de rire dans le jeune public: vent, porte qui grince, se lamente. C'est drôle et décalé à souhait.Le bassin de notre lutin danseuse se balance, se tortille, expressif, jouyeux.Musique de music-hall à l'appui histoire de faire la part belle au divertissement.Au tour des mains d'être radiographiées, mains vertes, un poil dans la main, la main dans le sac et le tour de passe-passe est joué dans un halo de lumière: langage des signes, mimes des métiers qui utilisent la main comme outil, langage des cultures qui s'expriment avec les mains, au delà des mots.
En ce qui concerne les bras de fer, angulaires sur une musique répétitive, c'est un univers de la force, qui brasse, embrasse et fait le moulin à vent à l'envi.Les bras ballants laissent la place au tronc, thorax et cage qui protège les poumons, le cœur. Et l'abdomen, siège des viscères est à l'abri, ainsi. La colonne vertébrale prend le relais, en trois courbes qui interdisent désormais de dire "tiens toi droit"! Ce n'est pas possible kinésiologiquement, anatomiquement parlant.Le corps de la danseuse est à présent bien visible et l'on scrute son anatomie avec intérêt et plaisir: sa stature, sa sveltesse délivrant plein d'indices et de détails pour une exploration visuelle en direct. Au sol elle se repose, danse, reptile invertébré, histoire de tout contredire; de dos, le corps parle, la colonne s'anime et délivre ses mystères de torsion, de verticalité.
Reste le capuchon qui va bientôt tomber pour évoquer le chef, le couvre chef, caput, tête de mule ou de gondole. Elle entasse ses vêtements, s'en fait un pouf, fat boy de danseur
Le crâne est évoqué, boite à outil, couvre chef qui commande et régit les mouvements.Tête en l'air, tête à queue, tête bèche dans une focale de projecteur pour bien montrer de quoi il s'agit. De quoi il s'agite...
La musique s'empare de sons de nature, oiseaux et autres évocations pastorales.Grimaces des mâchoires, puis véritable danse qui s'empare de toutes les parties de ce corps animé de bonnes intentions et attentions vis à vis de son public."Une leçon d'anatomie" rêvée, vivante, percutante que tout enseignant devrait montrer, au delà du figé de notre célèbre Oscar ou écorché vif. Morcelée, vive, mécanique ou fluide, la danse est intégrale sans discontinuité, légère: en chaine osseuse, mécanique bien huilée, os et muscles convoqués pour mieux sceller notre architecture, charpente originelle. Tandis que de splendides images abstraites de squelette colorisées parcourent l'écran et démystifient l'intérieur du corps: poésie et danse pour comprendre et apprendre sans se lasser que la plante corps est loin de nous indifférer.
Éloge de la mobilité bien en chair et en os, corps et graphie réunie pour ausculter en se réjouissant les mystères de la vie.
Valentin le désossé peut aller se rhabiller sans honte et les danses macabres ne nous en apprendrons pas plus sur nos fondations et fondamentaux mécaniques.
Mise en cage thoracique pour ne pas ronger son os...La peau et les os pour légende et narration naturelle de la science vivante.


La Danse au Festival Avignon Off 2021: partie deux : au gré des géographies

 


"Terre" et "Shangai boléro les hommes" de Didier Théron compagnie Didier Théron: de l'air à la terre !

Trois femmes baudruches gonflées de noir oscillent frontales, se gonflent et roulent à l'envi, échevelées, figures de prou d'un navire invisible dont le cap semble incertain. Elles dansent l'entrave sans s'y coller, gravitent empêchées sans faillir et leurs rondeurs ventrues en font des poupées insolentes dont les arcs des entrejambes sont des passerelles à franchir Affranchies d'une loi gravitationnelle implacable, elles jouent au cheval à bascule avec jubilation. Et on dodeline de la tête pour suivre ce trio de choc qui absorbe les obstacles, les boivent comme Bibendum le bonhomme Michelin!

En contraste le "Boléro" est une pièce rare, fondée sur le rythme et l'ivresse de la répétition, ici vécue par trois danseurs galvanisés par la caisse claire autant que par la partition qu'on incorpore à la vision de la danse dynamique, sempiternelle débordement d'énergie.Fébrile et construite sans faille, la pièce avance, déborde et rompt avec félicité sur un petit plateau qui respire alors l'enchantement d'une ritournelle, routine décalée, répétitive autant que débridée. Didier Théron maniant les baguettes chorégraphiques au soubresaut près!

Au Théâtre Factory Oulle


"Pucie" de la compagnie les Sapharides : A table !

Quand trois femmes attablées conduisent la bonne recette du plaisir partagé, manié, pétri, dégorgé comme ces pastèques suaves qui dégoulinent et transpirent le jus, le jeu fait mouche et touche.Suc de poésie autant que d'érotisme qui suinte et bave, mouille et transpire, la danse est vivante, sensuelle, évocatrice de péché de jouissance aux bouts des lèvres juteuses, pulpeuses, ouvertes. Un univers liquide empli de partage, une posture politique et engagée sur la légitimité du plaisir féminin sans frontières!Julie Botet et Mélanie Favre juteuses !

Au Théâtre Factory Oulle


"Douce dame" de la compagnie Adéquate: allons voir si la danse est éclose....

Lucie Augéal et David Gernez s'emparent du répertoire courtois "Douce dame jolie"pour bâtir un quatuor danse-musique très respectueux des us et coutumes, de la gestuelle délicate, rebondissante pudique et altière quasi patrimoniale mais si vivante. d'une époque non révolue!Tendre et intime danse contemporaine liée à la traversée des âges par la musique distinguée, amoureuse et vorace, pas si "ancienne" que cela!Cornemuse, flûte et corps conquis par la ribambelle!

Au Théâtre Factory chapelle des Antonins


"Fusion" de Joelle Sambi Nzeba et Hendrickx Tela: au poing levé!

Une performance Slam/ Krump dans le cadre de la  "Garden Party"DU théâtre des Doms. Les deux performeuses, aux corps et à la parole militante se racontent, enragées, engagées dans les vers scandés, explosifs d'un texte narrant la cruauté des choses et la difficulté de vivre des temps incertains et meurtris. C'est dans la lumière du soir, dans les jardins sur cette placette de bois que se révèlent leurs sorts dans une fébrile intimité.

Au théâtre des Doms

vendredi 23 juillet 2021

"Toute l'histoire de la peinture en zigzags" par Hector Obalk: des mignardises à dévorer !

 


Sa voix ne nous est pas inconnue: elle raisonne à nos oreilles curieuses et voyeuses,du temps d'émissions télévisuelles sur ARTE: celle d'un regard sur l'art, hors pair sans démagogie, ni vulgarisation: l'art d'aiguiser la curiosité, l'art de rendre évidents des détails passés inaperçus sur une toile.....Alors, c'est parti pour un voyage, embarquement pour Cythère, plus d'une heure durant: un solo virtuose où le conférencier, auteur, comédien, critique d'art, commissaire d'exposition,conteur s'en donne à cœur joie pour nous dire "on n'y voit rien"comme Arasse....Seul sur scène le voilà investit de l'espace truffé d'une toile regroupant une infinité de reproductions de peintures de maitres. Une œuvre d'art en soi, comme un damier surchargé, rythmé de touches, de tâches multicolores.Il va brièvement nous conter le pourquoi de sa présence, la légitimité de ses propos, son axe d'attaque, son ambition de nous immerger, nous néophytes dans les antres de l'analyse picturale. Avec passion, détermination, humour et un soupçon d'ironie, de recul aussi, de fausse modestie assumée. De la distance pour mieux nous rapprocher de ce qu'on voit sur et dans une toile. C'est une formule ambitieuse, honnête et quasi pédagogique; voir en sa compagnie un Chardin, c'est découvrir la beauté, la fragilité d'une touche virtuose qui ne nous serait jamais apparue si il n'y avait pas mis le cap, le zoom sur un détail, une atmosphère...En sa compagnie on s'aperçoit peut-être que Van Gogh fait de l'illustration d'affichiste et que Cézanne fait des fourrés magnétiques, flous, secrets, énigmatiques Le maniérisme se comprend mieux, et le regard s'affute, incisif, critique. Performance doublée de l'intervention chantée d'une cantatrice qui fait ses armes.Hector Obalk fait mouche, ni critique, ni clown dévastateur, le voici guide déjanté d'un musée redécouvert où chaque artiste retrouverait sa raison de nous intriguer, de nous interroger sur son époque.Un spectacle réjouissant, édifiant qui vous donne envie de retourner dans les salles "obscures" du musée....Dans le brillant doré sans perspective de plus d'un peintre inconnu !