vendredi 29 mars 2024

Vieux Farka Touré SEXTET Losso Keïta SOLO : virtuoses...et hypnotiques ambassadeurs de racines et d'ailes du monde.

 


Guitariste virtuose, Vieux Farka Touré conjugue avec génie la tradition malienne de ses racines et le blues rock moderne. Grâce à de nombreuses collaborations de prestige, il incarne cette passerelle à travers le monde, comme récemment avec les incontournables texans Khruangbin et ce splendide album « Ali », en hommage à son père regretté. Ce même Ali Farka Touré qui a justement ouvert la voie à la musique, dans une famille traditionnellement issue d’une tribu plutôt guerrière. Son fils Vieux lui a emboîté le pas pour le plus grand plaisir des oreilles du monde et de la fierté nationale malienne. Sa tournée en sextet s’annonce exceptionnelle, un concert magique, puissant, foncièrement tellurique. Le burkinabé 

Losso Keïta ouvre la soirée avec un solo majestueux avec kamalengoni et calebasse pour ajouter une pierre au monumental édifice de la culture d’Afrique de l’Ouest. Régalade. Et sincérité, générosité et enthousiasme pour cet artiste en "lever de rideau" très convaincant, faiseur d'ambiance, de partage avec ses longues extensions de chevelure mobile et puissante. Un beau moment de musique en solo pour chauffer l'ambiance... Puis place au "Afro blues Mali"....

Au Mali, il existe un proverbe populaire qui dit que la vie a un nom de famille : le changement. C’est un dicton que Vieux Farka Touré a suivi tout au long de sa carrière, au fil d’une série d’explorations et de collaborations transfrontalières aventureuses. Un autre dicton plus universel dit lui, que pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. C’est ce besoin humain essentiel d’embrasser son héritage qui se trouve au coeur de « Les Racines ». Le titre en dit long, car l’album représente une profonde reconnexion avec la musique traditionnelle Songhai du nord du Mali, l’une des traditions musicales du nord de l’Afrique de l’Ouest. En Occident, elle est connue sous l’étiquette de « Blues Touareg ». Les racines de Vieux sont bien profondes. Fils du regretté Ali Farka Touré, il est acclamé comme le meilleur guitariste que l’Afrique ait jamais produit

Alors les six artiste tout de moiré vêtus en costume traditionnel revisité donnent le "la". L'ici et là d'une musique colorée, soft en enjouée, lascive et envoutante pour les corps des auditeurs massés à leurs pieds devant l'estrade qui les magnifie. La salle est comble, le groupe très attendu qui ne décevra pas, deux heures durant. Ça chaloupe, ça danse au son des guitares magnétiques, envoutantes comme dans un rituel enivrant, hallucinant, hypnotique. Sourires et bonhommie au poing. Le concert va son court, de la sobriété à l'éclat des rythmes qui peut à peu s'emballent, vont crescendo allumer les instruments et leurs protagonistes. Éclats ou mélodies sous-jacentes, sommeil ou réveils fulgurants. Un concert événement à l'Espace Django qui ne finit pas d'ouvrir la scène à ces ambassadeurs d'une musique métissées, profonde et emblématique d'un esprit de liberté et de divulgation de "cultures" à partager de toute urgence. Chose faite et accomplie comme une cérémonie païenne, populaire et universelle, partage de musique fédérative au delà de toute querelle de genres et d'origine...

 A l'Espace Django le 28 Mars

Januibe Tejera et l'Accroche Note :"par dessus les mers": la toupie véloce et pugnace d'une musique inspirée....

 


Mars se veut tropical avec les oeuvres du compositeur brésilien Januibe Tejera.
Temos o prazer de receber o compositor Januibe Tejera em Estrasburgo!
 
Programme
Dans la confidentielle salle d'orchestre du Conservatoire en cette fin d'après -midi: réjouissances. Retrouver l'ensemble Accroche Note qui interprète en compagnie de jeunes professionnels de la place, une petite partie de l'oeuvre de Januibe Tejera, compositeur dont on se souvient de "Moi Singe" opéra de poche joué à Musica....par l'Accroche Note. En terrain connu? Pas vraiment puisqu'ici six oeuvres seront interprétées devant nous, en proximité physique étroite.Et en présence chaleureuse et émue de l'auteur!
 
"Jardin Vertical" - violon, violoncelle, clarinette basse, piano
Une fresque architecturale de notre temps, très marquée, appuyée comme un ragtime à la Stravinski , sur le temps de base dans une belle véhémence. Répétition entêtée de ce leitmotiv qui propulse dans le rythme comme une reprise d'un motif récurent. Obsédant, bordé d'interludes paisibles, réconfortants. Force et tonicité dans la facture et le rendu sonore de cet opus qui va crescendo envahir l'espace, tectonique comme une architecture de Portzemparc... Un trio de cordes, avec clarinette pour planer dans une belle sensualité ambiante. La rage  très en contraste suit , déferlement de tonalités rythmiques subitement. Puis c'est à pas de loup, feutrés que, pugnace, la variation du thème regagne du terrain. Obsédante et magnétique.
 
 
"Tremble" - accordéon solo
Petit chignon et chaussures colorées en marqueterie ou mosaïque, l'accordéoniste Timothée Anthouard vibre dans des langueurs stridentes, dissonantes, insistantes. En mouvements saccadés, le corps engagé comme une cage thoracique déployée dans le souffle. Contraint mais qui ne cède pas devant l'aspect virtuose de la pièce virulente.En secousses, vibratoires dans un acharnement, une insistante devant laquelle l'écoute ne peut se dérober. Acharnement qui frôle les touches et clapets de l'instrument outre-noir scintillant. Un mince filet  de sons aigus, calme et repos à l'appui pour un retour aux saccades au final. Une cage sonore qui vibre, "monolithe" sculpté par l'interprète. Courant de haute tension d'infra-harmoniques, ces sons graves "fantômes" non joués par l'instrument mais perçus par l"auditeur. Magique ambiance athlétique en diable pour celui qui se donne à la créer.
 
"Utopie de la toupie" - Duo flûte/percussion
Des sons infimes sourdent, raffinés, dans un clair-obscur sensible, ténu. Des petits frappés multiples agrémentent les sons de la flûte: question-réponse de l'un à l'autre, dialogue dans un phrasé subtil en tournoiements de sons. Envolée, échappée belle, douceur du souffle émis, tenues filées, soutenues comme un chant. Des oiseaux siffleurs se profilent, sylvestres dans une clairière vaste, dans des vols et battements d'ailes en ascension céleste. Sifflet de carnaval ou de parade nuptiale...Flexatone, flûte à coulisse, glokenspiel pour complices sonores en résurrection légitime.
 
"Cela ne serait peut-être pas…" - voix et clarinette contrebasse
Un extrait de "Moi Singe" récité, murmuré ou psalmodié à toute vitesse par Françoise Kubler : des cris modulés, une voix parlée très véloce, rapide, hachée bordée par la clarinette basse, cette chaufferie centrale de tubes aux dires d'Armand Angster... Un débit, un flux de paroles de ce singe en mutation sorti de sa cage pour s’émanciper... Duo de souffles, de ponctuation syntaxique dans les répétitions de texte aux séquences qui s'accentuent. Osmose et doublure de l'un par l'autre qui ne chante pas... Cris et singeries pour sortir de ses gonds.
 
"Cortège – Éloge du Reflet" - clarinette, accordéon et percussion
Vibraphone et accordéon pour des fréquences inédites, intenses. Des phrasés et couches sonores s'entremêlent, s'imbriquent, émergent dans ce flux, lent et paisible d'une marche, un cortège joyeux. Des vrombissements en rémanence sonore pour décor spatial, crescendo et amplitude à l'envi. Une belle amplitude, envergure de l'accordéon en majesté. Quelques touches d'humour en staccato, des échos et réverbération de sons pour incarner la démarche solennelle d'une musique qui passe devant nous. Zoom sonore comme crédo.
 
"Trois fois silence I" - Trio - flûte soliste, piano et guitare électrique
Pour clore ce florilège sonore plein de fantaisie rigoureuse , une pièce détonante, électrique, magnétique, le piano comme percussion préparée et jouée à vue comme un spectacle musical.  Tous aux aguets, à l'affut, à l'écoute instantanée des autres. Pour des correspondances de sons en couches. Piano gymnique, de Martina Copello grande concentration de l'interprétation: du sur mesure inédit. La flute vers l’asphyxie, l'apnée ou la retenue salvatrice. Le chemin se déploie sur la partition déployée devant la jeune artiste Lisa Meignin, virtuose. Coups de sons affirmés puis langueurs alternent dans cette performance tectonique en diable. Le corps en osmose avec le rythme et l'émission de sons La musique comme spectacle et dévoilement de secrets de fabrication. Beau final pour ce concert comme un mouvement perpétuel insufflé par une écriture musicale de haute voltige. Haute tension acharnée pour des courants sonores contrastés, convergeant vers des affluents musicaux indomptables. Accompagnement acoustique augmenté très probant. Ensembles et en solistes pour ce "trois fois silence" comme haut parleur, vecteur d'effets enveloppant à l'unisson.
 
 
Interprètes
Accroche Note et Étudiants de la HEAR-Musique
Françoise Kubler, voix / Armand Angster, clarinette / Thomas Gautier, violon / Christophe Beau, violoncelle / Hugo Degorre, accordéon / Emmanuel Séjourné, percussion / Kotoko Matsuda, piano / Timothée Anthouard, accordéon / Lisa Meignin, flûte / Sami Bounechada, percussion / Martina Copello, piano / Gaspard Schlich, guitare
 
Le 28 Mars   cité de la musique et de la danse

pour mémoire:

https://genevieve-charras.blogspot.com/2017/09/moi-singe-musica-par-ici-la-monnaie.html

 

jeudi 28 mars 2024

"Les fantasticks": indisciplinés....united colors of the wall....Sobre ébriété d'un millésime corsé!

 


Les Fantasticks
Tom Jones & Harvey Schmidt Nouvelle production. En coréalisation avec la Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace.


Comédie musicale.
Inspirée de la pièce d’Edmond Rostand Les Romanesques.
Paroles et livret de Tom Jones. En version française.
Créée le 3 mai 1960 au Sullivan Street Playhouse de New York.
Opéra Volant.


Un conseil à tous les parents : interdisez à vos enfants ce que vous voulez qu’ils fassent ; vous serez alors certains qu’ils le feront ! Il ne s’agit pas de manipulation mais bien d’éducation. Et rappelez-vous : c’est pour leur bien. Cette méthode originale est expérimentée avec succès par Mme Hucklebee et M. Bellomy. Pour favoriser l’union de leurs enfants, ils inventent une fausse dispute, dressent un mur entre leurs deux maisons et leur interdisent toute communication. Résultat : l’amour est tout de suite au rendez-vous. Attention cependant à ne pas révéler le pot aux roses, car rien n’est plus ennuyeux pour des enfants qu’un destin tout tracé.


Deux clans, deux mesures, se mesurent pour un plaisir grandissant sur le plateau du Théâtre de Hautepierre. Un "opéra volant" sur tapis de rebondissement, petit cabaret de poche que l'on porte sous son bras. Chanteurs, comédiens tiennent la scène dans un univers ouvert, extérieur: un jardin divisé par un mur et gardé scrupuleusement par un monsieur Loyal, Maitre de cérémonie, Ell Gallo joué par Bruno Khouri. Et par un mur, personnage à part entière incarné par Quentin Ehret. Deux tourtereaux seront notre fil conducteur de cette fable au livret tout simple, aux caractéristiques dramatiques évidentes et sobres. Sobriété de la mise en espace avec un décor léger, deux jolies serres, vérandas ou jardin d'été, un fauteuil à bascule, un transat pour le repos...
 

L'intrigue se déroule entre musique légère, harpe et piano, un "ensemble" réduit mais très efficace aux mains de Hugo Mathieu et  Lauriehanh Nguyen. Alors en avant pour des péripéties multiples, haletantes entre les membres de ces deux familles démembrées par ce mur omniprésent, témoin et vecteur de la séparation, des frontières entre êtres humains, comportements et classes sociales. Clins d'oeil à Shakespeare bien vu !Un mur "muet" qui se glisse sempiternellement dans la narration en traçant les contours des déplacements, déplaçant les accessoires de la discorde. Droit, rigide ou souple selon les circonstances. En costume gris, chapeau melon et maquillage lisse. Une performance physique à souligner pour ce comédien qui ne dit mot ni ne murmure quasi trois heures durant. Faire le mur, tout gris face à ces furies qui lui font obstacle est une gageure et un chalenge qui tient en haleine. Alors que le père, Michal Karski tout en vert et la mère Bernadette Johns tout en jaune animent le plateau de leur jeu tonique, joyeux ou revanchard.Un "tableau" désopilant avec cadre véridique pour cerner ou unir ce qui ne le peut pas demeure la séquence de charme avant et après l'entracte.Portrait pictural vivant de cette famille ou les deux amants se découvrent après l'abolition du mur comme deux étrangers aux prises à de mauvaises surprises.
 

Anna Escudero et Jean Miannay en rouge, en mauve,en protagonistes éclairés de cette comédie musicale "de poche" tonitruante.Ils sont espiègles, malins, naifs ou déconfits, drôles et animés de bons sentiment. Les voix seyantes à ces deux rôles juvéniles et attendrissants. Le mentor, lui, de sa belle voix de basse se fait conteur et animateur subtil de ce ballet de farfelus en état de sobre ébriété. Bon choix que cette programmation de cette oeuvre méconnue qui enchante le public fredonnant à la sortie le "tube" bien connu "try to remember". Myriam Marzouki qui fait ici du "mur" une entité à part entière, singulier perturbateur et symbole de la bêtise humaine: diviser pour dissimuler, engendrer les querelles, démembrer les voisins.Sur un théâtre de tréteaux populaire et accessible.Les murs font échos à tant d'actualité politique, économique et stratégique que celui-ci est emblématique et pertinent au delà de l'imagination...La musique et le chant signés de Harvey Schmitt, le livret de Tom Jones sont un régal de fantasmes et frugalité de mise pour cette "opérette" en chambre digne des plus fantaisistes joyaux du genre.La chorégraphie signée Christine  vom Scheidt comme une mise en espace et en corps donnant entre autre naissance à un tango savant de toute beauté entre les deux amants. Aux couleurs flashes d'un conte d'effets fluorescent et endiablé.


(Librement inspirée d’une pièce d’Edmond Rostand, la comédie musicale The Fantasticks détient le record absolu de longévité, avec près de quarante-deux années passées à l’affiche du même théâtre new-yorkais. Son histoire rocambolesque, à mi-chemin entre Roméo et Juliette et Così fan tutte, et ses titres à succès comme « Try to Remember », devenu un standard du répertoire américain (et un tube publicitaire), en ont fait une œuvre phare de l’Off-Broadway. Elle est interprétée en version française par les artistes de l’Opéra Studio dans un spectacle pour petits et grands de Myriam Marzouki, présenté en tournée régionale. 


Mise en scène
Myriam Marzouki
Chorégraphie Christine vom Scheidt Décors Margaux Folléa Costumes Laure Mahéo Lumières Emmanuel Valette Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, Musiciens de la HEAR

photos Klara Beck