jeudi 16 mai 2024

"Le cabaret de la rose blanche": danse d'exil...Keine Rose ohne Dornen...

 


Radhouane El Meddeb
La Compagnie de SOI France 6 interprètes création 2024

Le Cabaret de la Rose Blanche

« En ces temps troubles et tourmentés, il est plus que jamais nécessaire de raconter l’histoire de l’exil et des migrations, de ses départs et de ses arrivées. Sur scène un pianiste, un contrebassiste, une chanteuse et trois interprètes danseurs nous donnent à voir les frasques, les joies et les tristesses de ceux que l’on dit étrangers. Voyageurs des mers et des terres en quête de retours ou migrants de la dernière heure. Ce sont les voix de Fayrouz ou de Dalida, de Saliha ou d’Ismahan, de ces divas à la voix d’or et de larmes qui nous racontent la traversée. Le chant, la danse, la musique se donnent rendez-vous au cabaret pour un conte nostalgique et  drôle entre rêve et désenchantement. La poésie des mots accompagne ce voyage de couleurs et d’engagement car l’exil est contagieux mais l’espérance aussi. Au Cabaret de la Rose Blanche, la fête a ce gout doux-amer mais l’on y est embarqué par le destin des hommes, étranger et hôte à la fois. » Radhouane El Meddeb

Au cabaret: bienvenue! Dans un ton nostalgique et pas du tout enflammé ni ironique comme dans le film "Cabaret" de Bob Fosse...C'est l'invitation à partager un temps suspendu, allégorique quasi onirique tant ce "spectacle" semble atypique, décalé. Modeste et timide au départ, pudique et légèrement teinté d'ironie. Les voici, deux danseurs épris de tourbillons, de lassitude sensuelle, de regards obliques et complices envers le public. Et surtout l'apparition progressive de celle qui va tenir le haut du pavé: la chanteuse Lobna Noomene, figure discrète qui va s'imposer au fur et à mesure de l'évolution de la pièce. Danses du ventre, danse séduisante et lascive des deux interprètes, Philippe Lebhar et Guillaume Marie. Tous deux imprégnés de fantaisie subtile et à peine soulignée par un jeu discret et enjoué de séduction. La voix les méduse, les enchante, bordée d'une musique pianistique de haute volée signée du jeune  Selim Arjoun: il semble jouer de tout son corps, parfois perché sur son tabouret, à l'écoute de tous, complice et partenaire à part entière. De toute sa musicalité intuitive qui le mène à interpréter, ressentir ces "mélodies" d'une autre époque. Les rendre vivantes, actuelles, baignées de tendresse, de juvénilité et d'enthousiasme. Apparait Radhouane El Meddeb, le visage maquillé de blanc, lisse à peine esquissé d'un panache de couleurs. Expression naïve et enchantée, un soupçon attristée mais maline. Tel un Pierrot blanc, Auguste spectral. En costume de "fraise" très Molière et en habit noir très seyant. Moins scintillant que les costumes de ses compères, tous de franges blanches, de paillettes lumineuses et clignotantes. La très belle parure de la chanteuse, large tissu brodé, pailleté autour des épaules. Voix, piano et danse s'enchevêtrent, se répondent, discutent et nous racontent un épisode ou une vie d'Exil; de déracinement, de douleurs, de peine et de souffrance. De chagrin surtout. La voix nous transporte dans des sphères lointaines, des paysages méditerranéens. Ce bassin autant celui du danseur qui ondule que cette géopolitique du Maghreb qui hante et habite ce show étrange. Des mouvements de profils égyptiens en ornement et pause, clins d'oeil à Dalida...Pas de flonflons ni de Madame Arthur, ni de cabaret berlinois ni alsacien mais un spectacle tendre et aimable bordé par la teneur chaotique de notre monde ambiant. Paroles de chacun, micro en main pour évoquer la brisure, la rupture de l'exil qui se porte toute une vie durant. 


Ils sont tous très habiles pour nous entrainer dans un rêve éveillé, coupe de crémant en main, histoire de se décontracter et de continuer: "vous en voulez encore?..." Oui, bien sur et lorsque Radhouanre chante, allongé au sol, enveloppé par son châle, d'une voix tenue et profonde c'est pour mieux signifier que ce souffle, ce désir de chanter leur destin, se partage et ne rompt pas. Un côté spirituel, comme une prière sur le plateau sacré du théâtre, un endroit, un lieu cultuel de l'art éphémère de la danse, de la musique, du sourire autant que des larmes. Elles ne sont pas "amères" ni nostalgiques, elles sourdent de l'atmosphère musicale, de la mise en scène, mise en espace du plateau partagé par les six protagonistes. Épris de liberté, tournoyants les bras ouverts, offerts comme ceux de la chanteuse aux longs bras prolongeant son émotion. Un hymne à l'humanité, une ode très personnelle à l'exil, le déplacement des corps et des esprits de la terre maternelle. 


Ce "cabaret" singulier comme une invention d'un "genre" à part qui n'appartient qu'à ce bouquet de fleurs porté comme un trophée ou une offrande. Un bouquet de bras très Shiva pour magnifier la danse serpentine en ondulations de méduse palpitante.La contrebasse de Sofiane Saadaoui pour apaiser  l'atmosphère parfois tendue mais toujours très poétique. Et drôle et humoristique, quand de dos, le danseur esquisse des tours de fessier digne de la plus désopilante et pudique danse du ventre! C'est croustillant et réjouissant, toujours avec un peps et un brin de folie douce-amère au gout de senteurs du sud. Fragrances et lumières pour réjouir un contexte implacable. Le texte de Marianne Catzaras raconte et évoque les vies, les mots, les maux, blessures et réparations de l'exil. En écho au texte des chansons en langue arabe, espagnole qui résonnent de leurs accents tendres ou rugueux.La beauté de la chanteuse enchante, séduit, ravit, impacte chaleureusement le spectacle, comme le son du piano, unique sous les doigts magnétiques de l'interprète. Une soirée pleine de grâce et de volupté à déguster sans modération sous le filtre d'une dramaturgie théâtrale très réussie. On remercie les artistes pour cette bouffée d'oxygène, d'inventivité décalée, de questionnements politiques aussi sur ce vaste monde ravagé.

 

A Pole Sud les 14 et 15 MAI


https://genevieve-charras.blogspot.com/2023/05/le-cabaret-de-la-rose-blanche-le-chant.html

lundi 13 mai 2024

Concert :l'Accroche Note/ Jeunes compositeurs: la HEAR-Musique, couveuse, pépinière, incubateur de jeunes talents!

 



De bonnes "ondes" Martenot
 
Workshop avec les jeunes compositeurs de la HEAR (Alonso Huerta, Lorenzo Paniconi, Simon Louche, Fernando Strasnoy, Davide Wang, Victor Debanne et Aurés Moussong) de la classe de Ivan Solano et Tom Mays.
Une rencontre riche de partage et d'innovation! "Proxima Generacion"!
7 compositions très diverses et pleine d'inventivité, d'expérimentation et de surprises pour un concert de très bon niveau et de partage entre interprètes musiciens, compositeurs et enseignants en pleine "inter ligerer" de savoirs et d'expérience, de doute et tâtonnements fertiles.
 

C'est à Victor Debanne d'ouvrir le bal avec "Quelques bruissements" pour voix, clarinette basse, ondes Martenot et accordéon
Une oeuvre brève, en souffles de toutes origines instrumentales: bruissement des touches et clefs de l'accordéon, voix qui tourne sans cesse, tremblements et secousses du "piano à bretelles" qui revêt ici de beaux atours contemporains. Des "petits bruits" de couloir en touches et présence discrète. Du beau travail d'orfèvre que cette composition introductive et inaugurale.

"Lorenzo Paniconi avec "On a thin wire" pour ondes Martenot, accordéon et électronique lui succède brillamment.Un infime son filtré, dédoublé, dans des aigus tendus, en rémanence, opère pour une tendre ambiance, douceur à l'appui. L"ampleur ascendante du son de l'accordéon séduit, enchante. Glissements sonores, renfort des ondes Martenot comme des mugissements, le son d'un avion en atterrissage. Des sursauts dans l'écoute, inattendus, rendent une atmosphère de fiction, de narration dramatique étonnante et très mature. Vibrations, résonances des sons, tenus, parfois imperceptibles jusqu'à l'effacement. Un fil tendu de funambule dans une lenteur amplifiée par la réverbération sonore. Surprise, danger, menace pour atmosphère qui plane et glace celui qui se tient à l'écoute de cet opus singulier et très personnel. Les interprètes au service sensible de cet ouvrage unique.
 
Simon Louche nous offre avec "L'avenir était" pour voix, clarinettes et piano une archéologie du futur musical.Un piano préparé, frappé, la voix en cris aigus percutants, en mots et chuchotements subtils. Touches et frappes du piano comme percussions. Beaucoup de contrastes opérationnels, radicalité tranchée de la composition. Le rythme des mots, de la voix, du piano en osmose et question/réponse, très réussi. Énumérations de sons vocaux, hachés, scandés comme une litanie obsessionnelle.
 
"Corps sans organes" pour voix, ondes Martenot, accordéon et électronique signé  Alonso Huerta fait suite audacieusement. Enfouissement, submersion, engloutissements au menu gargantuesque de l'oeuvre qui débute sur les chapeaux de roue. L"accordéon y est gratté, frotté, glissé, lissé à souhait, corps étranger à celui de l'interprète mais si "organique". L'ambiance est menaçante, inquiétante en bruit grondant d'avalanche.  Oeuvre au paysage minéral en tectonique des plaques sidérante. La voix souffle, se brise, s'éclate, respire, aspire, halète... Tout se répercute en écho, sursaute, ricoche, se double, enfle en permanence. En couches hétérogènes, sur un tapis sonore de fond en roulements. Réverbération assurée, débordements garantis, flot immersif de sonorités incongrues et inattendues. Une belle recherche sur ce qui vibre, crépite, crisse: un corps vivant avec une dimension "organique" irréfutable malgré le titre provocateur...Pas de spectre qui se balade dans un paysage désincarné mais bien une "présence" charnelle de la musique.


Aurès Moussong aux commandes de "Enlève tous les masques" pour voix, clarinettes, ondes Martenot, accordéon et clavecin, percute juste dans le jeu, le ludique, la parade sonore bigarrée, colorée..Un quintet troublant pour une narration dense, très visuelle, chatoyante, enjouée. Drôle et fantasque composition que cet opus dansant, échevelé, libre et fantaisiste. S'en dégage une grande unité entre voix et instruments qui fondent ensemble ou se relaient. Ambiance lascive, parade ludique pour cortège carnavalesque ou cavalcade de sons . De l'humour comme credo et inspiration sans aucun doute.

A Davide Wang de s'exposer avec "Frai i mille pensieri" pour clarinette et électronique: un solo qui éclabousse, tourne, vibre, éclate, amplifie le son, le transforme, matériau malléable à l'envi par le truchement de l'électro acoustique. Un long passage de défrichage qui s'amorce, se fraie un chemin, évolue et arpente l'espace. Densité du son en masse, taches et volumes variables selon les intonations et intentions d'écriture dramatique.
 

Et pour clore cette délicieuse soirée d'écoute surprenante, voici en épilogue une belle histoire de duo, de rencontre et de complicité: c'est " Et plus loin encore" pour voix et clarinette basse de Fernando Strasnoy. Dédié au tandem indéfectible Angster/ Kubler, voici un dialogue passionné, tendre, à l'écoute l'un de l'autre, félin pour l'autre. Du cousu main haute couture, haut de gamme pour ces deux interprètes qui ne ménagent pas leur force et intérêt pour les jeunes compositeurs. Incarner leurs écritures, celle- ci bordée de tendresse, d'amour de sentimentalité très "concrète" et savante, abstraite mais si bien "incarnée" en direct!" Lamentations, lascivité, jeu complice: du sur mesure en mesure et bien pesé!
 
Alors on quitte ce laboratoire avec bien des images en tête, des sons en répercussion, des rêves à parcourir en prolongation des univers de chacun des compositeurs si bien servis par des interprètes de la place. Les bonnes "ondes Martenot" en vedette, curiosité acoustique dans la musique d'aujourd'hui, instrument "phare" de ce florilège musical. Mais où sont "les femmes" compositrices??
 
 
 
 


 

Concert le 13 MAI 19h, Conservatoire de Strasbourg, salle d’orchestre. Ensemble Accroche Note et œuvres des étudiants en composition instrumentale, vocale, mixte et électroacoustique:
Victor Debanne, Lorenzo Paniconi, Simon Louche, Alonso Huerta, Aurès Moussong, Davide Wang, et Fernando Strasnoy.
Accroche note: Françoise Kubler, Armand Angster, Anthony Millet, Alonso Huerta et Ivan Terekhanov.

Des pics en érection, verticalité oblige : droites éruptions de rocs résistants

 


Tout s'élève sans rompre: les rochers en dents de requins, les "demoiselles coiffées" dont l'érosion n'a fait que donner un peu plus d'allure de défilé. Des rocs émergent, fiers et altiers sous les flots battant de la marée. Des pierres nobles et granitiques s'élèvent à l'horizon comme des phares indiquant une direction improbable. La mouvance d'une vasque aspire une vague qui s'engouffre. Et le cercle se dessine inéluctable, encerclant le minéral. Une faille, gorge ouverte, se donne comme une béance offerte au désir. S'engouffrer et se perdre dans la matière éternelle. La création ou l'origine du monde se dessine. Debout, les rocs, les falaises, au combat contre l'érosion inéluctable! Dressés, domptés, isolés comme des balises qui marquent un territoire confus où l'on ne peut se perdre. La cime des arbres fait semblant de leur ressembler ou se met en position de parachute, parapluie ou champignon de souche au parasol hors sol. La mer s'engouffre, chante et séduit. Des spectres naissent, fantômes aux formes indéfinies survolant la terre mère. La neige se fait écume blanche et tout se confond en un leurre charmant. Entre manteau neigeux et désert de sable, entre félicité onirique et naturel obéissant aux lois de la longévité. Tel un immense coquillage creux, une huitre béante, la brèche devient couloir et interstice absorbant la lumière.

Et l'on s"évade au pays des rêves éveillés, transportés par la lumière battante. Des ponts, des passerelles naturelles pour décor de conte de bonnes fées s'ouvrant sur la magie du monde minéral: sur terre ou dans le flux du ressac, en sérac ou brisure, en pic ou en bonne pioche, les rocs de Frantisek sont solides et résistent en barricades du temps qui passe sans les effacer. La rudesse des rocs pour seule croyance.Des troncs tordus, enveloppant pour nid de traces végétales archéologiques, des arbres en grappe, enneigés, porteurs de rectitude de sauvetage..


.Et par dessus tout des paysages d'où émergent des champignons-arbres magiques comme des bombes ou éventails anatomiques! Minéral et végétal s'imbriquent, prennent la relève l'un de l'autre à l'envi. Agrippé au roc, délivré de la terre, suspendu à l'éther, éternité menacée de la nature traquée.