samedi 29 août 2020

"Musica Ambigua 4" : lovemusic, coté cour, coté jardin ! Sans équivoque!

 


Pas d’ambiguïté pour le collectif Lovemusic ce soir là aux Jardins de  la  Ferme Bleue à Uttenhoffen dans le cadre du dernier Impromptu de la saison estivale: que du grand art, sensible, inventif, serein et majestueux au sein de la cour, en plein air au soleil couchant.

Un cadre idéal pour s'ouvrir à l'écoute d'un programme pour "musique de chambre" , formation incongrue, à l'occasion d'un savant métissage entre musique ancienne et contemporaine: six morceaux, classiques et d'aujourd'hui pour aborder le répertoire.

Dans un décor bucolique, champêtre, c'est à Emiliano Gavito d'inaugurer la soirée.Dans le bleu des rosiers grimpants, sur fond de buis vrillé, dans la douceur du soir, un sobre dispositif scénique accueille les artistes: des fleurs sur la chemise, au son de la fontaine qui gargouille, c'est Télémann  avec "Fantaisie n° 6 en ré mineur TW 40: 2-13 daté de 1732 qui démarre.Flûte solo enchanteresse, allègre, au tempo relevé, aux envolées célestes qui se dissolvent dans l'éther: une atmosphère onirique, sur un tapis volant qui fait décoller les esprits libres à l'écoute, petit comité de fidèles spectateurs curieux de tout.

 Adam Starkie présente la soirée, au préalable introduite par le maitre en ses lieux Alain Soulier, secondé par Jean Louis Cura.

"Ambigua": mettre en miroir les sources musicales pour apprécier rupture et continuité dans un savant mélange de recherches musicologiques sur trois compositeurs, des hommes, et de créations inédites taillées sur mesure pour le collectif par des "femmes compositrices" bien vivantes! Pari, gageure habituels pour la formation, ce soir là quatuor à vent et à cordes 

Dans le morceau suivant, "Machinettes" de Claire Mélanie Sinnhuber de 2020 c'est un joli bricolage de sons comme ceux des machines de Tinguely, le maitre de la sculpture de bric et de broc, de récup'art. que nous invite le quatuor. Bancal, bricolé, coloré de variations et d'idée multiples, le morceau intrigue, décale, déplace l'écoute et la vision des artistes au travail. Il faut voir gestes et manipulations, sources du son pour apprécier pleinement l'inventivité de la compositrice: des sons très voisins pour la flûte et le violoncelle sèment le doute, l’ambiguïté, en hachure, brouillon et dialogue d'oiseaux, de "volatiles". Sons fêlés qui grincent, s'entrechoquent, avancent; la guitare de Christian Lozano suit et ponctue le tout diffracté: piqués, fragmentés, morcelés comme les gestes d'un pantin désarticulé, un Pétrouchka ressurgit des Ballets Russes: déstructuré, démantibulé comme un "jookin" musical à la Lil Buck.La panoplie d'instruments à vents, flûtes diverses, clarinette évoquent un petit train de sénateur, burlesque, enchanteur, à vapeur! Un humour surprenant et endiablé, une farce sonore, une blague faite de rouages, girouette, petite mécanique de machinerie bien huilée: les temps modernes du son, frisson, poly-sons ! La frappe digitale sur les corps résonnants des instruments à cordes, habitacle sonore magnifié: excentrique à la Erik Satie! On décentre, décale, déplace les codes pour mieux divaguer dans des espaces sonores ajourés, séquencés, arythmiques: poinçons et perforeuses comme imagerie populaire: comme un ruban de partition d'un orgue de barbarie ou d'un ordinateur d’antan: de la dentelle subtile au son des fuseaux cliquetants.  

Au tour de F.X.Richter de prendre la relève avec un duo savant, resurgi du passé "Duetto" de 1769/1789 pour flûte et clarinette. Complices distingués, les deux artistes dansent voltes et volutes volubiles avec grâce et aisance.Révérences, comme dans la basse danse baroque si liée à la musique dans l'interprétation, battant le haut du pavé pour éviter les éclaboussures de la gargouille voisine qui se rit de cette fantaisie colorée, vif argent, de haute voltige. Le corps investi, parlant de lui-même des appuis musicaux, inflexions, rebonds du rythme, du tempo.Déhanchement des corps prolongés par les instruments: pliés harmoniques, accords perdus, fioritures et ornements savants, parure et ramage sonores très recherchés. Belle conduite irréprochable, très stylée, sage et pleine de retenue en demie teinte, en apnée ou élévation, suspension : domestiquée par une étiquette de circonstance, codée: une recherche sensible du dialogue amoureux et tracé sur la carte du tendre avec volupté. Une époque de loin pas révolue, virtuose du souffle, du doigté. Une pièce rapportée, rare et très appréciée du public enchanté

."Migrations" pour violoncelle solo de Michelle Agnes Magalhaes de 2018, enchaine: des gestes "aimés" de l'interprète sont taillés sur mesure par la compositrice qui laisse libre l'imagination peu conventionnelle du morceau.Lola Malique s'y attelle avec passion, dévotion, à coeur perdu: autant à regarder qu'à écouter, la pièce résonne de sons incongrus, percussions rappées sur la caisse de l'instrument, : douceur aussi, sensualité, vertige de l'inventivité qui la conduit à jouer sur une feullie de papier insérée sous les cordes de l'instrument, comme un livre qui se fait chatouiller les pages, alangui sur le ventre du violoncelle Le bleu persillé de l'environnement architectural de la cour de la Ferme Bleue délivre ses charmes sur ce papillon prisonnier des cordes, cordes vocales aussi de l'interprète, convoquées ici pour des murmures résonnants, ricochant sur les parois de l'enceinte sonore.Voix chuintée, miaulée, susurrée. Un régal d’ambiguïtés sonores !

"Sonate en trio en Do majeur de J.J. Quantz nous ramène au XVIII siècle, morceau léger, vivace pour un quatuor bien "chambré". Aérien, onirique alors que la nuit tombe et nous berce, les lampions font la fête galante: le tuilage des registres de chacun font harmonie, affectueuse mélodie avec adresse et dextérité musicale. Un répertoire repérable qui s'assure d'une adhésion totale et immédiate de l'auditeur, charmé en empathie instantanée: un bref papillonnage furtif et discret dans un univers ludique, un tour de passe-passe charmeur.L'amplitude voluptueuse, savoureuse des sonorités qui se chevauchent en harmonie. Musique de cour, délectable dans ce petit Versailles de Hanau: Alain Baraton, jardinier dialoguant en rêve avec Jean Louis Cura....Côté Cour, côté Jardin comme au Grand Siècle ! De la grâce, de l'allure altière, une grande distinction dans les gestes sonores, mesurés, codés, distancé par l'étique de l'époque: distanciation oblige !

Puis c'est la clôture du concert avec "Mouthpiece" de Erin Gee de 2019

Musique de "bouche" de bouchées à la reine pour Emiliano  Gavito à la flûte basse: "sprech-gesang pour vent: un nouveau genre est né! Bribes, parcelles de sons inouïs, inédits, brisures, éclats sourdent de l'instrument sous la pression du souffle: un langage loufoque pour ce quatuor accordé, bien embouché qui se rit des obstacles. On déguste, on se régale à l'écoute de cette pièce déglinguée, décoiffante et disjonctée. Les fumets du "chili con carné" concocté par les hôtes délivrant des fragrances subtiles, égales à la cuisine savante de la musique sur l'établi... Espace gourmand peuplé de saveurs alléchantes. Babils, ânonnements  divers et salutaires Chacun se relaye dans l'incongru, l'inconnu, la surprise: étonnement que ce discours fameux, enchanteur, bien accompagné, enrobé, rehaussé par ses trois compères, chacun intervenant en pichenettes et pincements, chiquenaudes hors norme, sortis de leur réserve !

Un événement musical qui se prolonge par un moment convivial de dégustation des mets tissés par le chef au piano, Jean Louis Cura secondé par deux petites mains de fée en cuisine.

Les impromptus à la hauteur de cette "ambiguïté" si riche de sens multiples, interprétation, équivoque où l'on se plait à se perdre sur les sentiers de la création musicale à travers le temps, les époques, les codes et désobéissances musicales buissonnières!

A la Ferme Bleue à Uttenhoffen le vendredi 28 AOUT

 

pour mémoire

https://genevieve-charras.blogspot.com/2020/03/une-chambre-soi-love-music-une-alcove.html

 

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