jeudi 10 novembre 2022

"Berlin mon garçon": saga-cité! Une odysée en fugue majeure pour un personnage perdu et jamais retrouvé.


 "Marina arrive à Berlin et va devoir cohabiter avec l’étrange Rüdiger, qui lui loue une chambre. Il découvre qu’elle est venue chercher son fils, dont elle n’a plus de nouvelles. Pourquoi lui propose-t-il d’enquêter à ses côtés ? Lenny, l’époux de Marina, est, lui, resté à Chinon où ils tiennent une librairie. Esther, sa mère, veut savoir : pourquoi ne fait-il rien pour retrouver son garçon ? Dans cette pièce de Marie NDiaye (Prix Goncourt 2009) initiée par le metteur en scène Stanislas Nordey, les personnages font face à une énigme : qu’est devenu ce garçon et pourquoi est -il parti ? Faut-il tout mettre en oeuvre pour le sauver ou faut-il l’abandonner et se sauver soi-même ?"

Que c'est beau, une ville, le soir sur un plateau de théâtre...
Une femme, seule dans un décor d'aéroport en images photographiques projetées, noir et blanc scintillant; un défilé d'icônes architecturales très stylées, aux angles et perspectives valorisant les points de vue, plongées et contreplongées.Une atmosphère de grande solitude, ponctuée par les mots et paroles qui sourdent de ses lèvres. En manteau jaune dans cet univers froid, vide, femme esseulée dont les propos seront tous liés à la recherche de son fils, disparu qu'elle vient chercher, rechercher...Un taxi l'attend, événement imprévu et l'on file à bord du véhicule, toujours accompagné de splendides images signées Jérémie Bernaert, de cadres qui mettent en valeur les lignes, points et plans de la ville traversée.C'est Berlin. Et ce voyage bref nous conduit à la cité "Haus Corbusier" où la femme a trouvé un hébergement, le temps du séjour de ses recherches.Le logeur l'attend, lui qui déjà auparavant sur scène confiait que son appartement cédé aux occupants de courts séjours serait occupé par sa personne, les "lois" ayant changé depuis peu: il se doit de résider durant le séjour des occupants: mauvaise surprise pour Marina, la mère du "garçon" disparu...Chacun se parle, adresse à l'autre ses monologues sans communiquer et c'est d'un effet étrange de distanciation remarquable.Ils conversent dans "le vide" et nous sommes témoins de ces avancements narratifs comme des voyeurs convoqués à une audition privée.D'étranges choucas, sorte de corneilles ou corbeaux sauvages peuplent l'atmosphère, planent comme une menace sur ces destins croisés. Ambiance tendue, inquiétante, suspens à la Hitchcock, rehaussée par la mise en scène de Stanislas Nordey et les images projetées, plans serrés sur le lieu architectural fascinant d'un Le Corbusier rêvé.Images en noir et blanc très présentes, surdimensionnée donnant cet effet d'omniprésence d'une cité intérieure, d'un Berlin intime et froid aux angles nets, aux lignes de fuite, de fugue en majesté. Le "garçon" en question demeure fantôme, spectre errant dans ces couloirs incertains, entre ces portes fermées, ce labyrinthe énigmatique, geôle ou prison des sentiments, des émotions. Les personnages s'y perdent et s'y rencontrent, Claude Duparfait en Rudiger, logeur séduit par son hôte, Hélène Alexandrinis, touchante mère possessive, troublée, inquiète, ravagée de douleurs, perturbée par sa quête impossible. Trois séquences, ponctuées de musique et d'images de cartoon Disney, incroyables croquis de personnes-animaux stylisés maléfiques et menaçants. Ce n est pas juste un dessin animé parmi d autres mais il s 'agit de Pinocchio précisément qui comme on le sait désobéit à Gepetto et part à l aventure et fait tour ce qui est interdit donc à notre sens en lien direct avec l histoire du fils .

Berlin intranquille comme les âmes de ses ectoplasme du souvenir, de la nostalgie. La librairie de Chinon, ce bourg obsolète et désuet évoqué en contrebalancement de la grande ville, comme "boutique" fantasque qui ne dit pas son nom.Rangées de livres au sol comme lisière, enclos du savoir.Laurent Sauvage en tenancier agacé, imbu de lui-même, détenteur de secret de famille là où surgit Charlotte, en image puis en "vrai", la "fiancée" promise à ce "garçon" l'Arlésienne du texte qui bat son plein d'émotions et de rebondissements très théâtraux.Le sol de l'appartement de "Hauscorbusier" comme un damier, plan de ville où les pions avancent, le fou fait sa diagonale, les tours prennent gardent, le roi et la reine errent dans les couloirs...Un "troisième lieu" d'abandon, de vacuité, de silences, de non-dits ou de secrets de famille..."Garçon" l'addition s'il vous plait pour un scénario tendre mais sans concession sur les faits et gestes d'une mère, les pérégrinations des uns et des autres dans ce no man's land à l'esthétique réfrigérante de toute beauté Jamais des images n'ont ainsi fonctionné comme topos utopique, un non lieu avoué de la vie où l'on perd pied.Sans direction, ni destination, sinon celle d'un mythique Munich improbable, aléatoire tarmac , territoire glissant et accidenté de la vie.Un "fils"à jamais perdu, ressuscité par ses paires inquiets, tourmentés à jamais par la perte irrévocable d'un corps animé de vacuité: la présence comme leitmotiv pour ces personnages si crédibles, si vivants...


Marie NDiaye a publié son premier roman, Quant au riche avenir (Éditions de Minuit), à l’âge de dix-sept ans. Elle en a depuis écrit une quinzaine, dont Rosie Carpe (Éditions de Minuit, Femina 2001), Trois femmes puissantes (Gallimard, Goncourt 2009) et, dernièrement, La vengeance m’appartient (Gallimard 2021). Écrivant également pour le théâtre, elle est lauréate du prix du Théâtre de l’Académie française. Berlin mon garçon, publiée dans le recueil Trois pièces (Gallimard, 2019) est une commande du metteur en scène Stanislas Nordey pour le TNS.

 

Au TNS 9 nov au 19 nov 2022 

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