mardi 25 septembre 2012

Pierre Boileau: emballant phénomène à MUSICA


« Em-ballez-vous, en bal et vous ? », entrez « libres »,Circulez !
Pierre Boileau : la curée du paon d’or ,le paon thé on….
« Body » is perfect!!!  

Il orchestre le BAL de MUSICA CABARET CONTEMPORAIN
Au Palais Universitaire ce mardi 25 Septembre 20H

Ce serait Quasimodo où l’art de démasquer les corps pensants en corps dansant. Pointer, désigner là où ça fait….du bien ! Montrer sans démontrer. Monstres, je vous aime !
Pierre Boileau, danseur, performeur, chorégraphe de l’impossible, du politiquement incorrect, anime les ateliers « open public » intitulés « body installation performance » à Pôle Sud à Strasbourg depuis leur création : un lieu de partage de l’espace, inventé pour d’autres danses, d’autres corps, des pensées multiples et fertiles Trois fois par an, à l’issu de périodes de travail intense, les lundis soir aux studio, une bande d’amateurs éclairés s’affairent  à traiter et maltraiter l’art de se montrer, l’art des sensations : la danse revisitée comme une nouvelle école de savoir-être. Cette saison, il orchestre un laboratoire sur le hors champ, le jeu sur le corps, la présence du corps comme un surgissement de la pensée comme résistance active !

Formé à l’école des Beaux Arts de Mulhouse et rapidement fondateur du groupe légendaire « Adèle Rriton Production », Pierre fréquente la compagnie de Dominique Boivin, échafaude moult projets avec LASdada, l’équipe d’artistes autour du travail de Christine R.Graz ,rencontre le parcours de la compagnie « toujours après minuit » et voyage avec leur comédie musicale, cabaret disjoncté….Et le voilà cheminant, aventurier, chargé de cours à la faculté de Strasbourg, en arts du spectacle vivant. Le corps, bien charnel et vivant justement, ce corps longiligne et gracieux, cheveux longs déployés, brun, yeux immenses et rêveurs, notre homme est indéfinissable ; Incontournable aussi dans le monde de la performance où il invente de nouveaux territoires d’investigation. Son dada : le tissu, la matière, les plis, les strass, les perruques, tout ce qui voile et dévoile les attraits du corps. Salomé de la scène, le fondateur de la formation à géométrie variable,« l’un des paons danse » vient d’intervenir récemment dans un colloque sur la Monstruosité…. à sa façon :Un maitre de cérémonie, cabaretiste du corps troublant, androgyne, comme un hybride, un tissu de vérités : le corps ne ment pas, même perruqué en diable : vêtements et corps sont la peau du monde et l’enveloppe de ses désirs les plus fous auxquels il donne forme et fantaisie, gaité et tragédie.
Dissimulé en tout cas par une accumulation de vêtements cachés sous des apparences de sobriété vestimentaire. Où est le monstre ? Dedans, dehors ou dans l’effeuillement, le déshabillé, le dévêtu ? Une dé-monstration d’un savoir faire de la scène, du paraitre où excelle Pierre Bouleau, performeur hoirs pair…Il ne renierait ni Leigh Bowery, ni David Bowie comme source d’inspiration et cependant c’est à la pureté de Simone Forti, chantre de la performance américaine si « naturelle » qu’il relie sa danse, son bougé…Allez, on ira plutôt du coté de chez Anna Halprin, si vous voulez bien !
Et pourtant la singularité de son écriture chorégraphique, de ses costumes en font un être à part. Un créateur, un couturier, artisan d’une danse étoffée, sur mesure. Un costumier du corps, dans les plis de la nuit. Dépliée, déployée. Tissus de grâce et de sensualité, récupération de pièces détachées pour patchwork corporel incarné. Brodé de dentelles, de sous-vêtements accumulés qui se dévoilent, se déconstruisent dans des strip tease simultanés. Lui, androgyne en diable, quasi égyptien, doré, masqué par un savant maquillage allumé de couleurs et de paillettes, de strass et de faux cils rutilants…Transversales travesties ou travestis transversaux…

lundi 24 septembre 2012

John Cage, un homme sans "cage"

John Cage

John Cage
John Cage
Compositeur américain (Los Angeles 1912-New York 1992).
Doué pour tous les arts, il songea d'abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l'université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l'orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s'établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d'étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie.
   À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d'été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s'être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux œuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-Feldman-Tudor-Wolff devait dès lors jouer un rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l'avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu'il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire ­ terme que lui-même ne devait jamais faire sien ­ inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l'Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (œuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création.
   Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l'Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l'université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters.
   Cage est un de ceux à qui l'on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l'art des sons, selon une démarche tout à fait à l'opposé de celle d'un Pierre Boulez, la notion d'indétermination, l'idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d'œuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d'un substitut à la tonalité défaillante ne l'ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s'attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s'interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture » : d'où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d'une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore, mais reculant comme chez Varèse les frontières de l'art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu'alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d'un verre d'eau.
   L'invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé ­ consistant à loger entre les cordes de l'instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l'imprévisibilité du résultat sonore ­, date de 1938 (Cage pallia ainsi l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé d'utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l'indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l'étendit à l'acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu'à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d'oracles de la Chine ancienne permettant d'effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d'éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l'exécution.
   Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l'exécution) d'autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l'espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre (1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la structure, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s'agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d'une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4'33'' pour n'importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n'y a pas non-œuvre : c'est l'ambiance qui crée l'œuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu'à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l'ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l'université de l'Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d'anarchisme, de provocation et même d'entreprise de dégradation, alors que s'il nous propose d'oublier les relations que nous trouvions dans l'art auparavant, c'est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l'œuvre est présentée comme une action ­ il parle d'acteur (performer) plus que de musicien ou d'interprète ­ et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie » : en témoigne par exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses œuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d'électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d'une source sonore à l'autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une œuvre dont l'autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières œuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989).
   Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l'hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s'attacher au contraire à la créativité de l'interprète, à l'indépendance et à la dignité de chacun (qu'il soit auditeur ou exécutant), ou à l'obligation d'une écoute réciproque avant toute intervention, c'est l'ordre social qu'il remettait en question.
1
Cet article est extrait de l'ouvrage ci-dessous:
Dictionnaire de la musique Dictionnaire de la musique Voir sa fiche
À voir aussi dans Larousse
Médias
  • John Cage

John Cage

John Cage
John Cage
Compositeur américain (Los Angeles 1912-New York 1992).
Doué pour tous les arts, il songea d'abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l'université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l'orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s'établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d'étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie.
   À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d'été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s'être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux œuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-Feldman-Tudor-Wolff devait dès lors jouer un rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l'avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu'il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire ­ terme que lui-même ne devait jamais faire sien ­ inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l'Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (œuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création.
   Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l'Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l'université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters.
   Cage est un de ceux à qui l'on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l'art des sons, selon une démarche tout à fait à l'opposé de celle d'un Pierre Boulez, la notion d'indétermination, l'idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d'œuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d'un substitut à la tonalité défaillante ne l'ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s'attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s'interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture » : d'où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d'une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore, mais reculant comme chez Varèse les frontières de l'art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu'alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d'un verre d'eau.
   L'invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé ­ consistant à loger entre les cordes de l'instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l'imprévisibilité du résultat sonore ­, date de 1938 (Cage pallia ainsi l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé d'utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l'indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l'étendit à l'acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu'à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d'oracles de la Chine ancienne permettant d'effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d'éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l'exécution.
   Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l'exécution) d'autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l'espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre (1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la structure, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s'agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d'une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4'33'' pour n'importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n'y a pas non-œuvre : c'est l'ambiance qui crée l'œuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu'à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l'ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l'université de l'Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d'anarchisme, de provocation et même d'entreprise de dégradation, alors que s'il nous propose d'oublier les relations que nous trouvions dans l'art auparavant, c'est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l'œuvre est présentée comme une action ­ il parle d'acteur (performer) plus que de musicien ou d'interprète ­ et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie » : en témoigne par exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses œuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d'électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d'une source sonore à l'autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une œuvre dont l'autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières œuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989).
   Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l'hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s'attacher au contraire à la créativité de l'interprète, à l'indépendance et à la dignité de chacun (qu'il soit auditeur ou exécutant), ou à l'obligation d'une écoute réciproque avant toute intervention, c'est l'ordre social qu'il remettait en question.
1
Cet article est extrait de l'ouvrage ci-dessous:
Dictionnaire de la musique Dictionnaire de la musique Voir sa fiche
À voir aussi dans Larousse
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  • John Cage

John Cage

John Cage
John Cage
Compositeur américain (Los Angeles 1912-New York 1992).
Doué pour tous les arts, il songea d'abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l'université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l'orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s'établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d'étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie.
   À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d'été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s'être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux œuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-Feldman-Tudor-Wolff devait dès lors jouer un rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l'avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu'il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire ­ terme que lui-même ne devait jamais faire sien ­ inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l'Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (œuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création.
   Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l'Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l'université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters.
   Cage est un de ceux à qui l'on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l'art des sons, selon une démarche tout à fait à l'opposé de celle d'un Pierre Boulez, la notion d'indétermination, l'idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d'œuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d'un substitut à la tonalité défaillante ne l'ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s'attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s'interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture » : d'où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d'une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore, mais reculant comme chez Varèse les frontières de l'art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu'alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d'un verre d'eau.
   L'invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé ­ consistant à loger entre les cordes de l'instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l'imprévisibilité du résultat sonore ­, date de 1938 (Cage pallia ainsi l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé d'utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l'indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l'étendit à l'acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu'à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d'oracles de la Chine ancienne permettant d'effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d'éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l'exécution.
   Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l'exécution) d'autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l'espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre (1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la structure, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s'agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d'une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4'33'' pour n'importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n'y a pas non-œuvre : c'est l'ambiance qui crée l'œuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu'à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l'ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l'université de l'Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d'anarchisme, de provocation et même d'entreprise de dégradation, alors que s'il nous propose d'oublier les relations que nous trouvions dans l'art auparavant, c'est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l'œuvre est présentée comme une action ­ il parle d'acteur (performer) plus que de musicien ou d'interprète ­ et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie » : en témoigne par exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses œuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d'électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d'une source sonore à l'autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une œuvre dont l'autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières œuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989).
   Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l'hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s'attacher au contraire à la créativité de l'interprète, à l'indépendance et à la dignité de chacun (qu'il soit auditeur ou exécutant), ou à l'obligation d'une écoute réciproque avant toute intervention, c'est l'ordre social qu'il remettait en question.
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John Cage

John Cage
John Cage
Compositeur américain (Los Angeles 1912-New York 1992).
Doué pour tous les arts, il songea d'abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l'université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l'orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s'établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d'étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie.
   À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d'été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s'être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux œuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-Feldman-Tudor-Wolff devait dès lors jouer un rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l'avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu'il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire ­ terme que lui-même ne devait jamais faire sien ­ inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l'Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (œuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création.
   Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l'Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l'université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters.
   Cage est un de ceux à qui l'on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l'art des sons, selon une démarche tout à fait à l'opposé de celle d'un Pierre Boulez, la notion d'indétermination, l'idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d'œuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d'un substitut à la tonalité défaillante ne l'ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s'attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s'interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture » : d'où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d'une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore, mais reculant comme chez Varèse les frontières de l'art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu'alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d'un verre d'eau.
   L'invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé ­ consistant à loger entre les cordes de l'instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l'imprévisibilité du résultat sonore ­, date de 1938 (Cage pallia ainsi l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé d'utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l'indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l'étendit à l'acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu'à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d'oracles de la Chine ancienne permettant d'effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d'éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l'exécution.
   Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l'exécution) d'autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l'espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre (1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la structure, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s'agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d'une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4'33'' pour n'importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n'y a pas non-œuvre : c'est l'ambiance qui crée l'œuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu'à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l'ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l'université de l'Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d'anarchisme, de provocation et même d'entreprise de dégradation, alors que s'il nous propose d'oublier les relations que nous trouvions dans l'art auparavant, c'est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l'œuvre est présentée comme une action ­ il parle d'acteur (performer) plus que de musicien ou d'interprète ­ et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie » : en témoigne par exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses œuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d'électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d'une source sonore à l'autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une œuvre dont l'autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières œuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989).
   Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l'hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s'attacher au contraire à la créativité de l'interprète, à l'indépendance et à la dignité de chacun (qu'il soit auditeur ou exécutant), ou à l'obligation d'une écoute réciproque avant toute intervention, c'est l'ordre social qu'il remettait en question.
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Cage, Cunningham: par amour de la danse

C’est à la Cornish School à Seattle où il étudie le théâtre et la danse, que le chorégraphe en herbe rencontre le musicien John Cage qui accompagne au piano les cours de danse. De sept ans son aîné, ce compositeur d’avant-garde sera son compagnon de vie et de travail jusqu’à sa mort en 1992. S’ils travaillaient ensemble, les deux artistes composaient chacun de leur côté, musique et chorégraphie se rejoignant au moment de la première représentation.
En 1944, dans un minuscule théâtre de New York, Cunningham présentait ses premiers solos avec John Cage au piano. Ensemble, ils bâtissent une œuvre chorégraphique et musicale unique, concevant des pièces où la musique et la danse dialoguent, égales et indépendantes. C’est une véritable libération pour l'art chorégraphique qui se contentait à l'époque d’illustrer la musique. Leur méthode de travail est radicale : chacun élabore sa partition de son côté sur une même durée préalablement décidée. Lors de la première, c'est le choc de la rencontre.