jeudi 28 mars 2013

"Al menos dos caras": vertige du regard, abandon.

Sharon Fridman, chorégraphe israélien affiche avec son spectacle, présenté par Pôle Sud et le Maillon, un diabolique savoir faire en matière de direction artistique . Sur le plateau pour "Au moins deux visages", un mur, deux danseurs et un énigmatique personnage qui hante les lieux: observateur, voyeur, simple spectateur?
Il est aussi manipulateur d'un judicieux dispositif, ce triptyque de bois, comme un habitacle ouvert, architecture mouvante qui permet aux deux interprètes de se glisser dans les interstices du bâti.
Mur, murmures: ils ont des regards...
Un duo démarre qui ne cessera une heure durant, dans une dépense inouïe du couple qui se fait et se défait à l'envi.
Beauté des corps, des chevelures, blonde et brune, longues qui prolongent les mouvements de la nuque dans une grande sensualité.Vrilles, volutes, tourbillons, une grande aisance, un laissez aller nonchalant distillent une mouvance fluide, ininterrompue, jouissive.
L'abandon est de mise, le don de soi et de son corps à l'autre par des portés, comme éphémères, sans heurt, lisses et stabiles.
Une grande empathie s'empare de celui qui regarde, qui croise ces deux êtres voluptueux, fragiles et massifs à la fois
Autant de prises que d'enlacements, de fugues versatiles, d’incertitudes, de déséquilibres, d'instabilité.
Le monde est fébrile, pulsatile et léger qui guide cette ode à l'amour, à l'ivresse du mouvement sempiternel des corps animés par la grâce, tendus par l'urgence de s'attraper sans se lâcher.
Les regards se focalisent sur cet enchevêtrement d'énergie incertaine qui conduit à l'hypnose, alors que la musique de Luis Miguel Cobo tend et sous tend le rythme effréné de ces évolutions.
Comme un arc qui délivre le trajet de la flèche, comme un arceau, une toile tendue, les corps délivrent une architecture qui les supporte, les assiste dans leurs évolutions d'équilibristes virtuoses, avec brio et modestie, simplicité, toujours
En training, vastes et souples vêtements de répétition ou d'entrainement ,tuniques vaporeuses, béantes qui laissent fondre le mouvement et surgir au coin d'une épaule, au détour d'une hanche, le vaste paysage du bassin du corps: une petite géographie sensuelle des secrets corporels, dévoilée par l'attirance de celui qui accompagne les deux danseurs.
Un observateur tranquille qui veille et indique,focalise les points de vue, les repères et affuts du regard.
Comme un chasseur attentif à l'abri, à l'affût des petits instants de la vie.
Sublime interprétation de Arthur Bernard Bazin, Sharon Fridman et Antonio Ramirez-Stabivo.
En état de grâce, de communion, de connivence, le spectateur navigue dans cet océan vertigineux où l'on perd pied sans jamais perdre le cap, ni la raison.

jeudi 21 mars 2013

"Labofilm&1-La lamentation de Blanche-Neige": pour Olga Mesa, "e neve va!"

Pas si "blanche comme neige" la dernière et finale version de sa "Blanche Neige" inspirée des textes de
Robert Walser.
Vue à l'époque de sa genèse à Madrid, la longue performance d'Olga Mesa et de ses compères, au musée d'art contemporain, Reine Sofia, la pièce d'Olga Mesa a pris un sacré tournant, épurée, concise et concentrée sur son propos principal, le "corps-opérateur".
Celui qui filme, caméra au corps, ou se laisse capturer et capter par ce soir là deux caméras, plantées dans le décor sur le plateau.
Plateau qui ressemble plus à un studio de tournage, qu'à une "boite noire".
Plutôt, "chambre claire" que cadre sacro-saint du spectacle vivant.
Elles sont deux, en permanence sur scène , frontale traditionnelle, à explorer le sens du rapport scène/spectateur, en habitant les lieux de façon tonitruante et iconoclaste.
Blanche-Neige n'y retrouverait plus ses petits nains....Mais des chasseurs affublés de bonnets en forme de cornes de cerfs,de masques de carnaval vénitien,sauce destroy....Une reine parfaite, une Blanche-neige égarée dans un paysage hostile, fait d'embûches, de fils électriques jonchant le sol.
Tout concourt au chaos parfois burlesque et déjanté comme cette inénarrable scène, où , nues, les deux femmes se  jouent de "La mort du cygne" de Saint-Saëns. Désopilant!
Produit en direct par les caméras, un film se façonne et distille en seconde partie, les images "cachées"
de ce qui s'est déroulé auparavant, à l'abri d'un dispositif, paravent qui dissimule les ébats des danseuses.
"Obscène" , ce regard qui dévoile l'envers du décor, le "derrière" de l'histoire, ce qui se cache et de se qui se trame devant et derrière nous, en coulisses.
L'instabilité est au cœur du processus artistique du collectif réuni autour d'Olga, depuis bien longtemps à présent.
Fidélité d'un compagnonnage avec Ruiz de Infante, Marta Rodriguez, , Sara Vaz et...tous ceux qui font partie du voyage sur le navire, dans cette belle galère.
En épilogue du spectacle, Olga Mesa invite chacun d'entre eux à trouver "le mot" qui résumerait pour eux cette expérience singulière: jaillissent "jeu, instabilité, sensation, miroir"...et bien sûr de la part de la protagoniste, le mot "spectateur".
Celui qui fonde sa recherche-laboratoire incessante, de fil conducteur, de contact et connexion nouvelle avec nous, ceux qui font que la performance existe, ici et maintenant et nulle part ailleurs.
Dans le va et vient électrique de la technologie qui nous manipule, autant que dans l'authenticité des corps conducteurs d'énergie en prise directe avec le monde sensible.
Loin de nous, la Blanche Neige de Walt Disney....Quoi que....lui aussi avait modélisé tous les gestes de son héroïne, sur ceux d'une danseuse, Marge Champion!!!
Alors, les frères Grimm se régaleraient des distorsions apportées à leur petit chef-d'oeuvre, conte de fées pas vraiment "catholique" ni orthodoxe
Entre Almodovar et Fellini, mon cœur balance dans ce beau charivari: "e neve va", au delà du miroir, comme Blanche Neige au pays des merveilles rencontrerait la caméra cachée de ses rêves!
Beau prince charmant du XXIème siècle numérique!
Un spectacle produit, entre autre, grâce au soutient de Pôle Sud depuis la résidence d'Olga Mesa en 2004/ 2005

jeudi 14 mars 2013

"Brilliant Corners": Emanuel Gat en sons et lumières

Il est danseur et chorégraphe, israélien d'origine et dirige actuellement la Maison intercommunale de la Danse à Istres.Passionné de musique, de jazz, il révèle dans cette pièce en hommage à Thelonious Monk, son grand respect de la composition musicale, autonome et indépendante de la danse.
Neuf danseurs sur scène, ne quittent pas le plateau, une heure durant
Simples, en tenue de ville, évoluant dans un univers sans décor, autre que tout l'espace de la lumière et du montage musical à investir, les interprètes se fondent dans des architectures de corps, mouvantes.
Construction, déconstruction, va et vient sur le plateau  ne cessent de rythmer la danse, de l'épanouir à l'infini.Des arrêts sur image, des silences ponctuent le flux et reflux de la danse.Contemplation, recueillement, vacuité.
Basée sur la volte, le spirale, l'enroulement, sa gestuelle se transmet d'un danseur à l'autre, par ricochet, contagion naturelle.
Tout est grâce et harmonie, sobriété et efficacité.
Histoires de corps, de regards, de complicité entre eux.L'atmosphère musicale se fabrique de bribes de sons, d'emprunts à d'autres musiques tel un patchwork minutieux ne révélant jamais les sources d'inspiration musicales ou références du chorégraphe.Solos, duos, trios, autant de petites formes qui se composent et décomposent tout au long de la pièce. Les pieds glissent sur le sol, les corps s'enroulent, se frôlent, ne se portent jamais.
Ils se côtoient lors de rencontres éphémères le temps d'un regards, d'une touche de curiosité.
Un événement chorégraphique aux doubles facettes, découvrant des couches de sons qui rejoingnent le processus chorégraphique d'Emanuel Gat dans un brio et une virtuosité toute naturelle qui sourd des corps comme un élixir de jouvence.
Invité conjointement par Le Maillon au Wacken, en collaboration avec Pôle Sud, Emanuel Gat confirme une écriture épurée, sobre, fluide qui tient de la méticulosité autant dans le travail des lumières, que dans la fabrication des costumes et de la  musique-son qu'il façonne à sa manière, en signant ici une oeuvre riche et totale.