dimanche 26 mai 2013

"Mérédith Monk" au MAMCS à Strasbourg: quel souffle!


Les sons du corps.
Mérédith Monk fait partie des pionniers de la danse contemporaine américaine, on l'ignore trop souvent. Partenaire des protagonistes du mouvement de la "Judson Church" auprès d' Anna Halprin, Yvonne Rainer et Trisha Brown, elle "se forme" comme danseuse à la méthode Dalcroze: la rythmique, la musique corporelle. Une approche singulière du mouvement et de la musique, très organique qui la pousse très vite à envisager  la voix, le souffle comme les fondamentaux de son art.
"La voix, le corps sont des instruments acoustiques uniques, universels qui se transportent en soi, avec soi" déclare-t-elle à l'issue de son concert exceptionnel du 25 Mai à l'auditorium du MAMCS à Strasbourg. Une rencontre unique organisée par les musées et Elecktramusic.
Le public est nombreux et semble s'être donné le mot pour cette soirée d'exception.
Elle apparait sur la petite scène, vêtue de noir et rouge, souriante, arborant ses deux jolies nattes à la "Gretschen" ou à l'indienne. Peu en importe la provenance ou l'origine: elle en est l'illustration.
Le corps est le centre du monde d'où vont sourdent les sons, les tonalités du cosmos pour un voyage musical hors frontières.D'abord seule en scène, c'est sa voix qui tisse avec sa tessiture si large et ample, les matières et toiles de sons, d'univers, de rythmes.Aucun artifice à part le micro qui amplifie ou donne de l'écho et métallise le son de sa voix, les sons de son corps gracieux, flexible. Celui d'une danseuse qui laisse parfois intervenir un geste, une allure, une attitude, une posture singulière, ponctuant le son, sans jamais l'illustrer.Des solos inédits pour l'oreille, inouïs que l'on regarde autant que l'on écoute, fasciné par ce corps robuste dont ils émanent. C'est "Juice", "Songs from the hill", des morceaux de choix des années 1969, 1977. Pas une ride à ces thèmes, ces chocs virtuoses, cette tonique tendre, malicieuse ou chaotique qui semble surgir d'une archéologie de l'avenir.


Puis elle invite à la rejoindre sur le plateau Katie Geissinger, complice de son groupe de recherche et d'improvisation "The House".Femme tout de noir vêtue, plantée sur ses talons hauts. Quelle présence, quel souffle dans les émissions sonores de sa partition vocale soliste; Quels gestes rapides, tétaniques esquissés à notre granse surprise, là où l'on ne les attend pas. Le style, l'écriture en sont griffés Mérédith, mais tellement incarnés, incorporés par la chanteuse, qu'ils lui appartiennent en propre.La syntaxe, la grammaire y sont construction précise, contours tracés comme une chorégraphie notée, alors que beaucoup de sons y sont improvisés en direct!
Puis c'est la rencontre en écho des corps et voix des deux artistes qui séduit avec "Hocket", "Volcano song", oeuvres écrites et consignées dans les années 1990.
La question de la mémoire se pose alors dans le dialogue qui suivra le concert. Mérédith semble préférer la passation directe, le corps à corps de l'interprète à l'autre de son vivant. Mais après, que deviennent ce répertoire, cette mémoire de l’œuvre de Mérédith Monk, patrimoine de la musique contemporaine?
La seconde partie du concert, c'est le duo Monk avec son piano: moments de grâce, retrouvailles avec des morceaux des années 1975, comme "Gotham Lullaby", "Travelling" qui résonnent dans les mémoires comme autant de grimoires magiques, hypnotiques. Grisant! D'autres œuvres viennent compléter ce programme riche et généreux, joyeux autant que grave, ponctué par une gestuelle sobre, très calculée mais toujours à l'émotion intacte en live. Se mouvoir, émouvoir avec ces "petits bougés" cristallins, vif argent, nacrés, évoquant des ambiances originelles quasi sacrées, porteuses de bonheur partagé.

Mérédith Monk, légende bien vivante, jeune, à la voix oscillant entre coloratour et grave est ce soir là rayonnante. On repart avec à l'oreille la marque sonore de ses murmures, chuchotements, cris, grognements, sanglots, chants diphonique.
Au cœur de la création dans un corps à corps vocal de toute beauté, avec son seul instrument résonnant du monde entier émanant de son centre. Toute la musique semble y être consignée: le souffle en fait surgir les vibrations métissées de toutes parts
Quel "beau voyage" initiatique entre grâce, félicité et volupté, force et hiératisme.Mérédith comme un roc oscillant, en équilibre-déséquilibre sur la frange de la vie, de la mort.Un dolmen dans le paysage rêvé de la danse musicienne.Terpsichore, la muse du mouvement sourit en cachette devant tant de justesse dionysiaque!

vendredi 24 mai 2013

Thierry Mulhaupt: "dans tous les sens": un patissier-peintre sens dessous-dessus!


"Dans tous les sens": une exposition renversante
Les gourmets connaissent le maître pâtissier, chocolatier, Thierry Mulhaupt à Strasbourg, déjà pour le"design" très soigné de ses gâteaux, pour ses collections de "douceurs" haute couture de saisons ou pour ces galettes des rois, feuilleté chocolat, ses bûches de Noël à fondre de plaisir.
Un régal des papilles!
On le connait encore trop peu pour ses toiles, ses peintures, son "coup de patte" d'artiste peintre.
Pour le régal des pupilles à présent l'oubli est réparé et c'est à la galerie Froessel de Strasbourg que revient l'initiative de présenter son travail pictural.
Pas de croquis d'éclairs au chocolat, de millefeuilles ou de religieuses...
Vous ne verez que la trace colorée des gestes de l'artiste sur 30 toiles de maître!
Turbulences, jaillissements de pigments, chatoyements des couleurs, puissance des matières....Et beauté du geste!
Cet orfèvre du gout, décline ici sa passion pour les tons chauds, les signes et empreintes de son énergie créatrice.
Ses "fèves philosophales" se transforment en saveurs chocolatées virtuelles, témoins de sensations physiques, d'émotions artistiques.
Comme un as de laboratoire, il invente des tonalités et compose comme un musicien des partitions de fragrances picturales
Sens dessus-dessous, renversant les codes de lecture classique, voici une exposition à déguster sans modération...


 "Je suis en permanence en quête de moments uniques. Des moments durant lesquel s je cherche à associer un vin avec un plat, un liquoreux avec un dessert, un chocolat avec un café particulier, ou encore, avec un cigare ou un Whisky bien choisi. Dans l’optique de cette exposition, j’ai peint des toiles qui m’ont été inspirées par certains de ces instants bien particuliers, ou par des desserts que j’affectionne particulièrement. Je vous invite à vivre une expérience inédite d’émulsion sensorielle, en vous proposant un menu gustativo-pictural inédit et inattendu.
Découvrez une sélection de quatre toiles avec lesquelles je vous propose de déguster une douceur accompagnée d’une musique choisie. Une peinture pour étonner le regard. Une musique pour enchanter l’oreille. Un dessert ou un chocolat, pour bouleverser odorat, toucher et papilles. La Galerie Pascale Froessel se fait la scène d’un moment rare où les sens se mettent au diapason pour créer une émotion éphémère, mais unique. Je vous souhaite de belles découvertes."
THIERRY MULHAUPT




A la galerie Pascale Froessel
15 rue des dentelles Strasbourg Petite France
du 30 MAI au 9 JUIN 2013
www.galerie-pascale-froessel.fr

"JJ'S Voices": Benoit Lachambre: galvanisant! 'Listen to me"!


Sur de bonnes voies.
Ghost spell song .
Janis Joplin, c'est un mythe, une pop star sulfureuse, une chanteuse, une révoltée.
Benoit Lachambre, chorégraphe canadien nous offre sa rencontre avec cette musique si évocatrice de déraillements, de voie sans issue, de voix de "garage", de beauté atypique et sans appel.
Le voilà avec 8 danseurs du ballet Cullberg pour une aventure chorégraphique inédite, une rencontre des plus alléchantes entre deux artistes, à vif, écorchés et sensuels, épris de liberté.

"Un monde de tristesse et de beauté" hante ce performeur, qui a toujours développé son adaptation à l'imprévu.Un immense travail sur la voix éraillée, vibrante de Joplin, se révèle à la lecture des corps des danseurs, traversés par les musiques de cette icône du funck, du folk, de tant de métissages musicaux La lenteur, la pesanteur de l'écriture chorégraphique souligne l'audace du créateur et de son approche fidèle de l'univers de la chanteuse.Celui pour qui le "mouvement absolu" serait "une simple respiration" évoque ce chant de sirène comme une alerte, une alarme au besoin de tendresse."trop souvent perçue comme un ennui, alors qu'elle devient pour moi, une nécessité".La physicalité , l'énergie qui sourdent des corps dansant serait sa griffe, sa marque de fabrique qu'il transmet aux danseurs du ballet de Stockholm.
Tout commence à la vue du spectateur qui s'installe en salle. Les danseurs sont là, sur le plateau, immobiles, silencieux;Vêtus de tenue de sport, sweat-shirt, cagoulés.Hip-hopeurs de banlieue, calmes avant la tempête que semble pressentir ou désirer, un public archi nombreux ce soir là au Maillon Wacken...
Un curieux dispositif scénique laisse à voir supports métalliques et boites en carton
Peu à peu le plateau s'anime, le public encore éclairé se tait. Silence, préssage de tumulte.
Dans une lenteur impressionnante chacun des danseurs cagoulés bouge et manipule des pancartes où des mots s'inscrivent:"listen", "inside"....."Ils bâtissent un mur de pancartes, s'échangent ces mots écrits.Puis surgit un trio détonnant à la danse fulgurante. Les trois escogriffes enlacés se lancent, liés, dans l'espace comme enchainés, dans une folle diagonale époustouflante. Les corps se trainent, se tiennent les uns les autres. Un sedond trio fait de même. C'est étrange, dérangeant: ils se suportent comme des béquilles qui les feraient tenir debout.La musique a surgi: c'est bien du Janis Joplin, musique, voix et paroles enflammées, rock électrique, galvanisant!
Le calme revient et comme autant de spectres, les figures incarnées se collent aux cloisons, glissent ensemble, compactées (on songe à Wili Dorner ou Sacha Waltz) dans une danse-contact, libre, douce, déliée.Toute la pièce oscille entre tentation d'hystérie et désir  de lenteur, de pesanteur soutenue par les appuis, le sol qui se plait à offrir aux danseurs un terrain de jeu pour mieux ramper, se répandre, fondre. Mourir?
Peut-être, se liquéfier pour mieux rejaillir le temps d'une bribe de chanson, comme un appel au secours. Ces spectres cagoulés aux vêtements amples sont nonchalants, décontractés puis se rétractent dans une fougue et une verve hallucinante Fantômes du monde dégringolant de Janis, effondrement d'une société abimée, déchue, anges de la peste contagieuse de la drogue ou tétanie des corps contaminés, cabossés....
On songe à plein d'images dans ce spectacles superbe et rayonnant de la virtuosité des interprètes.
On reste sans voix au final, le show est trop court, la magie de la nostalgie a opéré.
Ce soir là, le public partagé, enchanté, ébranlé ou lessivé a vécu une fois de plus une expérience très physique, forte et remarquable.