mercredi 27 novembre 2013

Le(s) temps de la Danse au Festival de Danse de Cannes 2013


rosas et ictus drumming live
Thème récurent du festival: traces, signes, temps, mémoire, reflets de la danse!
On retrouve aisément tous ces éléments dans le spectacle de la compagnie "Rosas" d'Anne Teresa De Keersmaeker, avec "Drumming Live" et la déferlante musique répétitive de Steve Reich!
Un feu d'artifice vif argent, des traces de rémanence de gestes précis, de courses, de reculs, d'avancées, de traversées vertigineuses de l'espace temps de la danse et de la musique en convergence!
Des entrelacs sempiternels de rythme dans des tempos toujours glissants, changeants où les "humeurs" des corps des danseurs chancellent dans un joyeux chaos organisé!
Les sourires sur les lèvres et les visages des dix danseurs en disent long sur la jubilation qu'ils resentent et transmettent en empathie directe avec le public
En fond de scène douze musiciens en live du groupe mythique Ictus, et voilà toute la "belge attitude" de la danse d'aujourd'hui devant nous.
On a envie de s'agenouiller devant tant de grâce.
Un moment unique où les partitions corporelles données à voir se lisent à l'envi, dans l'ivresse de la délivrance de la musicalité des corps, de la virtuosité et la dépense qui œuvre devant nous pour façonner la danse.Le don de soi.Et la mémoire de la gestuelle de la chorégraphe, inscrite aussi, bien dans le corps d'une "vétérante" comme Fumiyo Ikeda, que la jeune et tonique génération d'interprètes!

concerto jeune ballet

Le "Cannes Jeune Ballet " de l'école supérieure de Danse de Cannes Rosella Hightower, proposait un programme hors du commun, très construit illustrant une rétrospective possible sur l'oeuvre emblématique, fondatrice de la danse, "Le Sacre du Printemps": judicieusement introduite par une conférence attractive de Geneviève Vincent au sujet de la mémoire de la danse et de sa construction et constitution, cet après midi dominical fut édifiant, attrayant, constructif, éducatif à souhait!
Et divertissant dans la pluralités des propositions et points de vue sur l’œuvre de Stavinssky-Nijinsky et Roehrich.
 Revisitée par Jean-Claude Gallotta, Angelin Preljocaj, Josette Baiz et Christophe Garcia, le Sacre renait de ses cendres adapté, interprété selon d'autres narrations, d'autres histoire sur l'"élue" en état de grâce, de perdition, de rupture.
Les jeunes danseurs y sont excellents, experts en virtuosité et pour les plus avancés déjà dans des attitudes de comprendre et aimer ce qu'ils dansent!
La transmission et la passation opère avec discipline, écoute, intelligence des corps et des coeurs!
"Concerto" de Marco Cantaloupo et Katarzyna Gdaniec en est un bel exemple, reprise par quatre interprètes d'une oeuvre inspirée de La Table Verte de Kurt Joos.

Et puis, n'oublions pas de rendre compte sommairement hélas de la densité du colloque, parallèlement et en osmose avec la thématique du festival: "Le(s) temps de la danse", atelier de la danse n°6.
Organisé par l'Université de Nice Sophia Antipolis, UFR Lettres, Arts et Sciences Humaines, département des Arts, Section Danse, quelle forte et belle initiative, menée par Marina Nordera, Joelle Velet, avec la collaboration des doctorantes et de toute une équipe au service d'une passion: transmettre réflexion et pratique sur la danse, toutes les danses.
On retiendra la très belle intervention, lecture-démonstration de Virgilio Sieni, épris de liberté, iconoclaste de l'écriture et notation chorégraphique! Il édite entre autre à compte d'auteur une série d'ouvrages uniques sur sa pratique, ses sources d'inspiration, son esthétique, ses maitres en peinture ou architecture: un creuset, une mine d'or pour le chercheur, le spectateur désireux de rencontrer un processus de création en marche, en branle bas de combat!
La gavotte, la bourrée auvergnate furent évoquées pour leur historicité, l'analyse des glissements possibles dans le temps des figures et pas de ces danses traditionnelles folkloriques bien vivantes, confrontées à la notion de patrimoine à transmettre, à étudier, noter sans les figer dans des bocaux académiques muséaux!
Durant trois journées intenses et jouissives, ce colloque convivial, réflexif, exigeant fut une véritable plaque tournante d'échanges, de rebondissements, de réactions à chaud et de partage.
Beaucoup de démonstrations de danse en live attestaient d'une pratique réflexive qui traverse les corps, les histoires et le passé-présent et futur de chacun, vecteur  de sa danse de son "bougé".
Une initiative à reconduire sous toute forme possible, comme les penseurs ingénieux et ingénus de la danse savent l'inventer, lui donner d'autres formes qui sient àcette art et discipline multiple et complexe à saisir dans le "temps"!
La culture musicale de chacun y est particulièrement remarquable, tant elle rend la musique, compagne et complice de la danse, des ses pas, contre-points, contre-temps, relevés, silences, soupirs, souffles!!
Alessandra Sini


Et, cerise sur le gâteau, une surprise lors d'une intervention-performance à l'intérieur du colloque, celle de Alessandra Sini sur le temps, bien sûr! "Una" avec Stefano Montiaro à l'électronic live set!
Dans une des salles de travail du palais des festival, voici cette danseuse-chorégraphe venue de Rome, doctorante à Nice, performeuse soliste, 20 mn durant, seule dans l'espace qu'elle façonne, structure et rythme avec une sauvagerie archaique, archéologie du corps en mouvements primitifs sans jamais frôler l'anecdote ou l'illustration
Elle vous embarque dans son univers, ses espaces, ses divagations à la manière de Valeska Gert, Grete Palucca ou Dore Hoyer: sauvage, rebelle, massive, dans une épaisseur, une intensité unique.
Du solide, ou les masses visuelles qu'elle trace, suspend, dessine sont les sceptres de strates surgies dans une tectonique des plaques, des membre, des axes et angles géométriques du corps. Tout en soulignant, les courbes, les respirations et soupirs de la danse. Quel souffle, quelle énergie dans cette présence forte, pleinr d'impact, de vie, de foudre, sans concession.
Alessandra Sini

Pour clore cette édition, Marina Nordera fait appel à la mythologie grecque: Chronos, le dieu du Temps, celui qui dévorait les progénitures que Gaya, la déesse de la terre, lui offrait, se fait berner grâce à la danse: alors qu'elle accouche une fois de plus, Gaya fait venir une troupe de danseurs guerriers qui par leur rythmes et vacarmes, étouffent le son des cris de l'enfant qui sera ainsi sauvé: ce sera Zeus qui naitra de cette ruse dont la danse est l'acteur.
La légende en dit long sur la nécessité intérieure du mouvement!
Ceci est bien de la danse contemporaine!

www.festivaldedanse-cannes.com



Festival de Danse de Cannes: ghost save the dance! Frédéric Flamand, passe-murailles....

 "Esprit danse": le "Spectre de la rose" y aurait eu sa place! Un festival bien "incarné"!
Système Castafiore
Pour sa dernière signature de programmateur du festival de Danse de Cannes 2013l, Frédéric Flamand entraine le spectateur dans les "traces" du passé, les "reflets" de la mouvance d'aujourd'hui, les signes précurseurs du devenir de la danse de demain.Il scrute le paysage chorégraphique pour nous en proposer des contours possibles, sans limite, à la marge, la frange du possible.L'affiche en résume le propos: une femme fend une paroi pour s'y glisser, telle une nymphe passe-murailles, diaphane, fantomatique: elle regarde en arrière, va de l'avant et traverse le présent en suspension, presque à l'horizontale tant elle semble léviter, flotter à l'horizontale, à la dérive du temps.Orphée, Eurydice, le regard, la perte, la fuite ou le patrimoine et la mémoire trouvée?

Système Castafiore comme à son "habitude" habite un univers fantomatique avec grâce et désinvolture: c'est "Renée en botaniste dans les plans hyperboles", un titre évocateur d'une démarche originale, bizarre, singulière
Absurde, surréaliste ou simplement onirique leur regard sur le monde est celui d'un oeil d'or, orpailleur du secret, des srates de l'invisible de l'indicible.
Leurs personnages naviguent en eau profonde, traversent comme des fantômes l'histoire de la danse (évocation de Pina Bausch dans "Café Muller", de Rosella Higthower dans "Piège de Lumière", des "Algues" de Jeanine Charrat.....) De l'histoire du cinéma aussi avec ses cartons, ses dialogues référencés, ses artistes évoqués, ses chimères ou bestioles dignes des plus beaux films d'animation.Tati et Keaton veillent au grain dans l'ombre!
Beaucoupd'humour et de suspens, de gravité aussi, de tension.
La musique y a la part belle comme la vidéo et la scénographie qui flirtent avec le merveilleux, le fantastique. Architectures mouvante, des cubes et plaques circulent, avancent, reculent, se meuvent, tranchant des espaces réflexifs et ludiques charmants, ravissant l'âme!
Système Castafiore

Ce dispositif toujours très sophistiqué mais compréhensible au premier degré comme un univers magique, lumineux est bien la griffe du duo Karl Biscuit et Marcia Barcellos, les complices de bien des aventures:ici celles de débusquer les fantômes et spectres de la mémoire vive, ceux qui hantent chaque pas des cinq danseurs façonnés par les couches de l'inconscient.
Quelle belle délivrance d'aveux esthétiques enfouis et resurgis au grand jour pour mieux enchanter la vie réelle avec les artefacts du monde virtuel.

Virgilio Sieni


Virgilio Sieni dans "De Anima" trace et peint un univers à sa mesure, indiscipliné, indisciplinaire.
Inspiré des toiles de Tiepolo, de Piero de la Francesca, cet architecte, costumier, metteur en scène florentin, déborde de verve, d'allant et d'ingéniosité.
Univers inspiré par les pierrots lunaires ou arlequins de Picasso, le voici embarqué dans une aventure bondissante, pleine de charme, de poésie et de tendresse. Cinq danseurs, moulés de justaucorps peints de couleurs mordorées évoquent la comedia del'arte, la ruse, l'insouciance et la beauté.
Des carnets de croquis édifiants sont à l'origine de cette écriture singulière de sa danse, iconoclaste, anarchiste en diable.Comme autant de traces et signes d'une ébullition intellectuelle,qui confère tant de verve à cette pièce animée de turbulences, de chatoyances uniques. Clowns, saltimbanques pour ce festin, ce banquet de la vie à consommer sans modération.

Côté "showcase", deux coups de cœur: "Stimmlos" une maquette en devenir de Arthur Perole sur des extraits d'opéras de Wagner: comme une tempête apaisée de mouvements lents, lyriques, romantiques loin d'un néoclassisisme potentiel.
Du bel ouvrage très senti et bien interprété par des artistes en herbe, inspirés par les écrits de Baudelaire, comme autant d'êtres impalpables, de revenants venus nous parler du temps, nous dire "souviens-toi, vieux lâche, ilest trop tard"!
Et avec "Corps se Tait, mais le corps Sait Décorseter", la compagnie Reveida de Delphine Pouilly nous conte les élucubrations burlesques et tonitruantes d'un Woody Allen de la danse, manipulé par les fantasmes et interdits du judaisme!
Drôle, déroutante et autocritique, cette parodie des attitudes, poses, allures et autres postures socio-culturelles inonde le plateau d'ondes comiques et drolatiques.
Un univers de cabaret satirique et cocasse, très dénudé, impudique et cocasse!
Une belle œuvre en construction, un bel échafaudage à consolider dans la durée:prometteur et enthousiasmant travail!
Sharon Fridman

"Al menos dos Caras" de Sharon Fridman se révèle un joyau de la dépense de deux corps une heure durant, se confrontant dans un duo de contact-danse des plus étourdissant.
Hypnotique parade d'une énergie à vous couper le souffle, c'est une ivresse de mouvements incessants de deux interprètes qui s'entrelacent, se repoussent s'étreignent sans fin alors qu'un décor mouvant manipulé par un troisième partenaire, fait office de tremplin, de détonateur.
On en ressort stigmatisé par la vision de ces corps galvanisés par un flux de musique incessant qui lie les tensions et détente, qui vous met en apnée, en suspension dans une empathie étrange et envoutante.Ces deux êtres, saltimbanques déboussolés, déguenillés ont une fluidité gestuelle fascinante, captivante qui ravit, capture et méduse par son authenticité par sa prise de risque à fleur de peau, de corps.
Un instant de grâce chorégraphique qui échappe au temps et dont la rémanence opère longtemps.


Blanca Li
"ROBOT!"

Dans un tout autre registre, ce même soir, c'est au tour de Blanca Li, d'opérer sur le plateau palais des festivals, avec "Robot!. Quand la chorégraphe trouve les moyens de donner le jour à ses fantasmes, ça fait "boom" et ça décoiffe.
Comme un show, une comédie musicale à gros budget, nous voici entrainés dans une vaste épopée épique sur la robotisation, face à la danse. Terrain miné, tant la question philosophique s'est posée depuis Kleist et son traité sur la marionnette..
Blanca Li prend le taurreau par les cornes et livre ici un divertissement, une fable à la hauteur de ses délires visionnaires. A la haute technologie, elle marie la tendresse, la vie et l'humanité On est d'abord frappé par le travail plastique sur la lumière, qui prend les corps comme des écrans réfléchissant couleurs et rayonnement des faisceaux lumineux La Loie Fuller, Nikolais ou Decoufle ne pourraient renier leurs influences sur ce travail.Inspirée, Blanca Li: par de multiples réflexions sur l'homme machine, la marionnette, le futurisme....Et par sa complicité avec Maywa Denki, maître, facteur de robots extraordinaires, capables sur scène d'exécuter des mouvements quasi humains à la différence près qu'ils semblent programmés!Une artillerie donc de personnages sous-dimentionnés, à la merci de leurs manipulateurs ou désobéissant à l'envi pour mieux arpenter ou danser en chorus.
La poésie demeure dans ce grand chaos spectaculaire, tentaculaire, signature de la chorégraphe, éprise de fantaisie et frôlant ici le "déus ex-machina" pour emprunter les voies de la recherche sur le mouvement.
On demeure impressionnés par cette figuration d'une révolution possible: le robot remplaçant le danseur?
Fiction et réalité se frôlent à chaque instant, exubérance, folie et overdose y sont les ingrédients pour savourer sans restriction les impacts subliminatoires d'un tel chantier.A déguster sans modération pour le plaisir de décoller de terre un instant: rêve de danseur depuis bien des "sylphides" ou autre Coppélia du genre!La musique et ses robots magiques et drolatiques y tient aussi le haut du pavé, tenant tête à la danse et parfois s'y substituant!Tonitruant! Ovations du public en liesse ce soir là pour la clôture du festival en grandes pompes!

Très belle et forte édition que ce cru 2013:du Festival de Danse de Cannes, la "city zen cannes " du mouvement!
Il va falloir au "successeur", du respect du travail accompli et encore de l'inventivité dans le champ du "curator", celui qui livre un choix, une programmation au delà des chapelles ou des canons sans soucis de bienséance ou de manières démagogiques.
A Frédéric Flamand qui "ose" depuis toujours les marges, les franges, les équilibres instables pour mieux bâtir en architecte, les fondamentaux de la danse et de ses spectateurs, coupde chapeau!!
Pour apprivoiser, ravir, capter, capturer et captiver ces publics multiples désormais aguerris, à l'affut à présent, aux aguets des expressions plurielles d'un médium multiple: la danse: un point, c'est tout: point-barre!!!

mardi 26 novembre 2013

Mathilde, puisque te v'la!!!! Le CND sur une autre voie (voix)!

Mathilde Monnier va désormais monter les marches du CND, celles du magnifique parvis de cette ancienne gendarmerie-mairie de Pantin!
Après avoir durant plus de 10 ans, monté celles du couvent-prison des Ursulines à Montpellier!!!
Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, a proposé au Président de la République de nommer Mathilde Monnier aux fonctions de directrice générale du Centre national de la danse (CND), pour succéder à Monique Barbaroux.

Mathilde Monnier est une grande dame de la danse. Elle sait, elle qui dirige le prestigieux Centre chorégraphique national de Montpellier depuis 1994, faire dialoguer les arts. On l’aura vu littéraire avec Christine Angot, musicale avec Philippe Katerine ou plastique avec Dominique Figarella.
Elle saura donc employer l’inspiration nécessaire pour diriger le Centre national de la danse, lieu essentiel pour le développement des politiques publiques dans le champ chorégraphique.
Comme le rappelle Aurelie Filippetti : « Depuis sa création en 1998, le Centre national de la danse est un précieux centre de ressources, ouvert à toutes les danses. Il assure des missions de formation des danseurs et d’accompagnement de la vie professionnelle et contribue activement à la préservation et à la valorisation du patrimoine chorégraphique pour le développement de la culture. Dans son projet pour l’établissement, Mathilde Monnier aura à cœur de mettre un accent renforcé sur le soutien et l’accompagnement de la création artistique et sur la diversité des langages et des expressions du champ chorégraphique. Elle développera la relation du CND aux publics, notamment par le biais de l’éducation artistique. »
Visuel : © Marc Coudrais