Certains animaux, tels le colibri ou des espèces de poissons
électriques, ont une maitrise exceptionnelle de leurs déplacements. Le
colibri peut ainsi se déplacer très vite d'une fleur à une autre et
s'arrêter en vol stationnaire pour se nourrir de nectar. Les poissons
électriques peuvent, de la même façon, se maintenir en nage stationnaire
dans un courant et avancer ou reculer brusquement. En examinant de plus
près ces animaux, on découvre qu'ils font des mouvements qui ne
semblent pas participer directement au déplacement. À quoi servent ces
mouvements en apparence inutiles ? Noah Cowan, de l’Université Johns
Hopkins à Baltimore, aux États-Unis, et ses collègues, ont montré que la
double oscillation de la nageoire anale (située sous le ventre) du
poisson
Eigenmannia virescens, lui confère à la fois stabilité et manœuvrabilité.
Ces deux critères sont considérés par les ingénieurs comme
antagonistes. Un système est stable s'il résiste à toute perturbation
qui pourrait altérer sa trajectoire, tandis qu'à l’inverse, il est
manœuvrable s’il peut changer de direction rapidement avec un minimum
d’effort. Le monde animal offre cependant des exemples qui concilient
ces deux critères. Le prix à payer est une dépense d’énergie
supplémentaire pour réaliser des mouvements qui ne participent pas
directement au déplacement.
C'est le cas du poisson électrique
E. virescens, dont la
nageoire anale effectue un mouvement ondulatoire particulier. Constituée
d’environ 210 arêtes reliées par une membrane et chacune contrôlée par
plusieurs muscles, cette nageoire s’étend tout le long du ventre. Sa
partie antérieure oscille dans un sens tandis que la partie postérieure
oscille dans l’autre sens. Cela engendre deux forces antagonistes, l’une
orientée vers l’avant et l’autre vers l’arrière, comme deux hélices
alignées qui tourneraient en sens inverse.
N. Cowan et ses collègues ont étudié le rôle de cette double
oscillation par plusieurs approches. Ils ont filmé avec une caméra
ultra-rapide – à 100 images par seconde – le mouvement de poissons
électriques placés dans un courant de vitesse variable. Les poissons
étaient encouragés à maintenir une position stationnaire pour rester
cachés dans un petit abri. En faisant varier la vitesse du courant, les
chercheurs ont observé que le point nodal de la nageoire – le point qui
sépare les deux parties oscillant de façons opposées – se rapproche de
la queue quand la vitesse augmente. En augmentant la longueur de la
partie de la nageoire qui oscille en egendrant une force dirigée vers
l'avant, le poisson compense la force d’entraînement du courant. Cette
adaptation aux variations de vitesse se fait facilement, ce qui implique
une grande manœuvrabilité.
Par ailleurs, les chercheurs ont modélisé le double mouvement
d’oscillation. Ils ont montré que celui-ci crée une force
d’amortissement qui augmente la stabilité du poisson en réduisant les
effets liés à des perturbations. Ils ont ensuite construit un robot
équipé d’une nageoire anale reproduisant le mouvement de
E. virescens,
et qui leur a permis de confirmer leurs observations. En outre, cela
suggère des pistes pour construire des véhicules à la fois stables et
manœuvrables.
Le supplément d’énergie à fournir en vaut-il la chandelle ? En théorie, E. virescens
pourrait très bien parvenir au même résultat avec une oscillation
simple de sa nageoire. Mais cela nécessiterait de mobiliser plus de
ressources cognitives pour corriger les perturbations ou amorcer un
changement de direction. La double oscillation, qui semble être un
mouvement plus complexe, amortit en fait d'elle-même les perturbations,
et facilite les changements de direction. Ainsi, les ressources
cognitives seraient moins mobilisées par la locomotion, permettant au
poisson de se consacrer à d'autres tâches.