mardi 22 juillet 2014

"Shapito Show" : ça danse et ça va vous rendre sourd et muet!

Sur les plages de la mer Noire. Quatre héros ou quatre "losers" vivent chacun un drame profond et personnel. Une jeune fille blonde aux yeux bleus, un geek, un sourd et muet, un chanteur… des personnages tout droit sortis des films de Kusturica, ou encore de Fellini. Un des héros devient fou d'amour , un autre souffre de l'incompréhension de ses amis, un autre veut conquérir l'estime de son père, et enfin le dernier peine à organiser la coopération avec ses compagnons. Un film qui est une ode aux "magnifiques losers" comme l’indique le réalisateur Sergey Loban. Et ça danse énormément
Le langage des sourds-muets pour une des quatre partie est un régal de traitement à la légère!
Tout est drôle, surprenant, chatoyant!

Un drôle de truc. Excentrique. Long. Piégeux. Et faussement désordonné : tout au long des quatre histoires, apparemment indépendantes, les mêmes personnages se croisent en Crimée, dans des paysages sauvages ou sur une plage surpeuplée près de laquelle trône une sorte de cirque, le « Shapito Show »... Sergueï Loban a du talent, mais il croit, hélas, en avoir plus qu'il n'en a, ce qui le pousse par moments, entre Fellini et Jodorowsky, à quelques excès baroques qu'il maîtrise mal... Il filme avec fièvre, en revanche, et sensibilité, des esseulés tragi-comiques : un cybergeek falot en quête de l'âme soeur, rencontrée sur Internet, un chanteur sourd (et boulanger...), peu doué pour une fraternité qu'il recherche désespérément. Sans oublier — le plus réussi — un acteur célèbre, ­devenu cynique à force d'avoir malmené son âme (c'est très slave, ça !) et qui, sans pouvoir s'en empêcher, vam­pirise son fils, apprenti cinéaste... Emerge de cette fresque intimiste une Russie déboussolée, extravagante, à la douleur presque gaie, plus proche du Gogol des Ames mortes que de Tchekhov ou de Dostoïevski

Avignon: danse dans le "off"! Belle récolte!

Au Théâtre Golovine, deux bons spectacles:
"L'intrusion" du chorégraphe Gilles Schamber, qui n'est pas un inconnu de la maison de la danse légendaire d'Avignon (voir la belle expo aux archives municipales).
Quatre danseuses, plus d'une heure durant von t devant nous, sans quitter le plateau, s'enivrer le mouvement, de perte, de perdition
a notion de "dépense" nait d'emblée pour cette performance, entre grace et virtuosité
La chorégraphie, simple, sans chi-chi se fait écriture des corps dans l'espace, échanges, occupation maximale du plateau pour y nicher les évolutions sempiternelles, poétiques ou "mécaniques" des corps lancés dans la verve de la bataille. Impressionnant!
"Tina": jolie surprise signée de Benoit Bar de la compagnie Appel d'Air.Déjà présent sur Avignon avec deux créations originales in situ, "drive-in" et une sacrée histoire de canapés!Le "genre" en serait le thème majeur: féminin, masculin et ?. Travesti ou autre figure de la sexualité.
Peu importe car c'est drôle et fort: deux femmes, de dos, perruquées, un être hybride, entre androgyne et troisième genre.C'est malicieux et plein de références à une jeunesse, celle des modèles Barbie, des robes à pieds de poule, de la couturière du quartier, de l'homme à la Pina: en robe et bien dans sa peau, malicieux et danseur classique à la fois Ils sont plein de charme ces troius interprètes, très respectés et mis en valeur par leur chorégraphe dont le propos séduit, questionne et attire à lui. Belle réussite, en couleurs, en musique, en-gendrée par un légitime questionnement sur l'identité sexuée dans la danse. TINA, There Is No Alternative!

A la Condition des Soies, c'est le travail de Erika Zueneli qui interpelle le regard. Avec deux pièces, un solo "Daybreak 07/14" qu'elle danse au cœur de la petite salle ronde: solo tendre, confidentiel mais aussi rappellent parfois la cruauté ou l'originalité d'une "danse de la sorcière " de Wigman. Très organique, corps non dissimulé qui nous fait front dans une proximité étonnante.
Un duo "Incontri" met face à face deux danseurs en conflits: ils se repoussent, s'agressent, contact aux poings, rage ou tendresse au corps Ils sont trois, investis à tour de rôle dans cette proposition pétrie de force, de malice et de passion. Gestuelle originale, jeux avec l'objet, mais pas trop: une table, deux chaises comme tremplin aux évolutions humaines.
Les compagnies de Taiwan sont toujours présentes à la Condition des Soies et avec "Fabrication", Chang, Chien-Kuei et Chang, Chien-Chih de la compagnie Chang Dance Theater séduisent par la magie de leur prestidigitation autour de trois danseurs virtuoses en mal de placard à investir façon Willi Dorner:la danse ne connait pas de frontières dans le mimétisme ou l'invention!

Autre surprise, au delà des aprioris que l'on pourrait avoir sur les talents chorégraphiques de Marie-Claude Pietragalla: c'est à 22H 30 , en alternance au Théâtre Le Chien qui fume.
"Etre ou paraitre", un solo de et avec Julien Derouault, ravageur interprète de textes d'après Shakespeare et Aragon. Il arrache et brûle les planches, extatique, révolté, passionné. Corps canonique, certes mais jamais impérialiste ni totalitaire. Surprenant. Le pianiste à ses côtés fait duo et duel, répondant et osmose: c'est Yannael Quenel, remarquable complice.
Avec le duo "Les chaises" inspiré de Ionesco, Pietragalla et Dérouault s'en donnent à cœur joie avec deux interprètes singuliers, Daravirak Bun et Blandine Laignel. Pétris d'humour, de punch, de malice, les voici aux prises avec l'univers absurde de Ionesco et ça marche à coup de chaises et de joutes verbales Comique, tragique, insolent, le spectacle est aussi burlesque et accompagné de musique originale, toujours grâce à ce pianiste très inspiré et rêveur.
Côté hip-hop, on retrouve au Théâtre de l'Oulle les danseurs du "Collectif  2 Temps 3 mouvements" autour du travail de Nabil Hemaizia avec "Prêt-à Penser".
Évocation des salles des pendus dans les carreaux des mines, corps suspendus à des cintres, reliés par les cordes, manipulés comme des marionnettes ou téléguidés par leurs impulsions.Original et convaincant, belle gestuelle hip-hopienne sans trop de références cabalistiques et de glossaire traditionnel du hip-hop.Kader Attou comme complice et regards bienveillants fait de ce spectacle un "prêt à porter" sur mesure, à la démesure des normes imposées et reniées. On y revêt les costumes du "prêt à penser" pour quitter rapidement la chrysalide et s'en affranchir!
Au théâtre du Roi René, autre proposition plus classique, celle du groupe Stéphanois de "Ballet2rue": cinq danseurs de formation hip-hop ou classique revisitent Mozart, Vivaldi et autres poncifs musicaux pour nous convaincre que danse du hip-hop sur du baroque, est possible Ce n'est pas nouveau, mais cela fonctionne dans un beau professionnalisme!  "B2R".
Et puis pour clore côté formes hybrides, courez voir au Théâtre des Lucioles, "L'homme d'habitude" de Bruno Pradet (compagnie Vilcanota) et du groupe "Les Blérots de Ravel".
Danseurs et musiciens se coltinent leurs genres, leurs corps dans un show tonitruant, très bien monté et mis en scène où se mêlent les corps Le batteur devient danseur et élément au sol d'un dispositif original, un manège de danseurs sur une scène tournante fait vibrer musique et gestuelle C'est punch et rock, vivant vif, intelligent, jamais faux ni tape à l’œil. Concert de danse déconcertante, vibrations multiples, chaleur et générosité croisées pour un temps de divertissement très élaboré; on rêve de les retrouver au festival "l'humour des notes" de Haguenau!

Avignon : la danse dans le "off"! Au CDC et chez "La belle scène saint-denis"

"L'été particulièrement danse au CDC" Les Hivernales, troisième édition bien "chambrée", bonne cuvée éclectique, variée, séduisante!
10H au Théâtre des Hivernales à Avignon: le "marathon" peut commencer avec en "entrée", "Siwa" de Michel Kéléménis ou "la persistance rétinienne d'un Eden fantasmé".Un quatuor de danseurs évoquant l'univers de l'oasis égyptienne  de Siwa: atmosphère feutrée, danse éthérée, fluide, en dentelle , tonique au phrasé très délicat.La poésie de cette atmosphère est renforcée par le choix musical, cher au chorégraphe: Debussy et son "Quatuor à cordes", rehaussé par la création musicale de Yves Chauris"Shakkei-Quatuor à cordes N° 2": du très bel ouvrage, interprété avec grâce par quatre danseurs sur le plateau et un fond vidéo évocant lever ou coucher de soleil comme on le souhaitera au petit matin avignonais!

Tout autre registre pour le "plat" du jour de midi, avec "Zoll" de Christian Ubl: un joli, plat de résistance très évocateur dans le sous-titre qui contiendrait déjà tout le propos très décapant de ce créateur hors norme! soit "I'm from Austria, like Wolfi!" et "Shake it out (extrait)" Deux pièces bien distinctes mais où la griffe du chorégraphe, acerbe et bien acérée joue et prend ses fonctions décapantes avec bonheur. L'humour et la distanciation sont de mise ici et l'on sourit sans honte devant le spectacle à la foi pitoyable d'une nation décriée politiquement qui s'empêtre dans ses identités et volontés d'appartenance vaine à l'Europe! Des drapeaux et oriflammes ponctuent la lecture de ce paysage dérisoire! C'est drôle et mali, très indiscipliné et politiquement incorrect! Le patrimoine autrichien en prend un sacré coup: short et Mozart avec ses légendaires "boules" pralinées, son chanteur fétiche Reinhard Fendrich,
Europe, tu fous le camp, avec ce quintet de danseurs militarisés, arpentant en chorus, le plateau, policés, dressés comme des chiens de combats dans un rythme sempiternel, agaçant, entêté, enivrant qui va bien sûr basculer côté panique et pagaille dans une joyeuse dissolution des corps formatés!

"Us-Band" de Samuel Mathieu à 13H 45 n'est pas le dessert idéal ni notre tasse de thé: un quatuor prétentieux soit disant inspiré du "Husbands" du réalisateur très chorégraphique (voir la thèse de Jackie Taffanel à ce propos) John Cassavetes.Désirs et divagations masculines sur l'univers des hommes: leurs fantasmes, jeux, travers et autres singularités. Peu convaincant.

Pour rêver à 15H 45, à l'heure du gouter, on n'hésite pas à se plonger dans l'univers graphique et onirique de Anthony Egéa avec son conte chorégraphique "Dorothy". Le "magicien d'Oz" veille au grain pour cette danseuse, Vanessa Petit, très inspirée qui tournoie dans des spirales vertigineuses, sur fond de scène et de sol marqués par un graphisme rythmique très intéressant.Inspiration capoeira ou hip-hop, grâce très "féminine" à la touche rêveuse.Les personnages se succèdent, les costumes et le décor basculent pour évoquer des univers très variés: la peur s'empare de ce jeu, la joie, l'errance, le bonheur aussi.L'illustration de Loic Godart et Fred Bayle, la création vidéo de Yvan Labasse concourent à créer cette légende fantasmée pour petits et grands et le ravissement opère sans un faux pli!

Apothéose pour la soirée avec à 21H 30, le clou de la programmation: "Mas-Sacre" de Maria Clara Villa Lobos.On la connait pour son humour décapant, son culot et sa verve, son langage qui n'est pas "de bois"!
Ici c'est le Sacre du Printemps de Stravinsky qui est revisité avec pour thème, le massacre des poulets en batterie!C'est un vrai petit miracle, bijou de fantaisie cruelle, et massacrante.Société de consommation dévoilée, abus et horreur de l'industrialisation de l'alimentation: tout y est grâce à la fois à des images vérité, projettées en simultané, et présence des quatre danseurs, prestigieux interprètes de cette farce, cette pochade burlesque, décalée et pas tendre du tout!
L'aile ou la cuisse?: vous n'en aurez plus du tout envie en sortant de l'usine, abattoir à viande!
Les quatre escogriffes font une lecture musicale et rythmique du Sacre digne d'un Del Sarte ou Willems et gadjets, objets, corps se mêlent pour fantasmer juste sur un sujet brûlant.
Un vrai conte de fée qui n'en serait pas un où la société de conso mise à nue ressemble à ce corps dénudé, tel un oiseau, poulet plumé que l'on décortique comme pour une autopsie.La fiction dépasse la réalité, ou l'inverse, comme on voudra, mais la magie opère une heure durant, sans faille: petit "miracle" que ce "mas-sacre", "morceau de choix pour cette programmation fort réussie de "Lété danse au CDC"!

Autre lieu du "off" très prisé pour la danse, le Théâtre de la Parenthèse qui héberge le temps du festival, le projet de "La belle scène saint-denis" (Théâtre Louis Aragon et Le Forum)
Une programmation rêvée au petit matin de dix heure à midi et à 18H dans une cour privée, aux accents intimes de l'échange d'expériences chorégraphiques insolites, insolentes, inédites.La "profession" s'y retrouve avec chaleur et bonheur: un lieu d'échange indispensable, hélas en péril financier mais pas de fréquentation. Lieu incontournable pour y découvrierles propositions variées de Marion Alzieu et Ousseni Dabare "En terre d'attente", "Man Rec" signé Amala Dianor ou encore le matin de la deuxième édition de programmation, "Cantando sulle ossa" de Francesca Foscarini.L'autre et l'ailleurs y sont les propos récurrents dans des esthétiques multipliées où transparait toujours le désir prononcé de l'identité, de l'altérité , de la considération du langage et de l'existence de l'autre"
A 18H, une révélation, celle de la danseuse interprète Lorena Nogal, pour "Portland" sous la direction de Marcos Morau et Lali Ayguadé. Elle est unique, décalée dans son costume gris, étroit avec sa bulle casquée en main, son corps, tel un oiseau téléguidé, oscillant entre raideur, tétanie et glissé fluide.Son regard médusé, ses accents de folie, d'absence très légers sont un travail d'orfèvre On est capturé, captivé par cet être étrange, esseulé qui attire à lui un spectateur, l'abandonne, s'abandonne.Une proposition évoquant l'Amérique et ses dérives, son drapeau signifiant on ne sait plus quoi. Les chorégraphes dénoncent avec beaucoup de subtilité, une "nation" qui se cherche toujours à travers toutes les identités plurielles qui la façonne. A la manière de cette danseuse atypique qui cherche sa voie et nous trouve pour l'accompagner dans ses chemins de traverse
"Aire de jeu/ Bach" de Bernardo Montet avec Kettly Noel et Frédéric Alcazar succède à cette pièce rare et divertit grace à une rencontre judicieuse entre musique et danse, architecture, lieu et résonances multiples sur la question de la rencontre. On retrouve avec bonheur les forts accents de sensualité de la danse de Montet et la vivacité éclatante de Kettly Noel, aux aguets, à l'affut du geste, de l'instant! Chasseurs du beau, les voilà unis pour un singulier duo , duel de solitudes croisées.
Enfin, Romual Kabore, émeut avec son solo "Romual, sans D", sur son être, son nom tronqué à sa naissance, quelque part oublié dont bil doit partir à la recherche và la conquête en compagnie de la musique de Tim Wensey!
De très beaux moments en partage, donc pour cet événement au cœur du off, "La belle scène saint-denis" qui donne envie d'aller y voir de plus près, en saison régulière.