"Je crois beaucoup à l'échange entre les arts"

L'île
du bassin bas au travers des fûts de chênes verts. Au loin, le ballet
des fontaines de Jean-Michel Othoniel. Aquarelle ©Fabrice Moireau /
Agence de Louis Benech
À
l'issue d'un concours lancé en 2011 par Jean-Jacques Aillagon, le
projet commun de Jean-Michel Othoniel et Louis Benech a été retenu parmi
27 candidatures afin de recréer le bosquet du Théâtre d'Eau du jardin
de Versailles. Le résultat dévoilé en mai 2015, comporte le
réaménagement du jardin et un ensemble de trois-sculptures fontaines qui
retranscrivent de façon allégorique les danses de Louis XIV.

Vue de l'atelier de Jean-Michel Othoniel, en plein cœur du Marais ©Philippe Chancel
Il
faisait très chaud ce jour là à Paris, une chaleur terrassante, presque
inattendue malgré la saison bien avancée. Lorsque je pénètre l'
atelier de Jean-Michel Othoniel,
niché en plein cœur du Marais, il est gorgé de lumière ce qui ne manque
pas d'ajouter une grande poésie au lieu. Assis religieusement à sa
table, l'artiste dessine au calme clair de cette belle matinée de
juillet. Une grande plénitude se dégage dans l'air et j'observe avec
attention les sculptures en perles de Murano disséminées dans la pièce,
qui ont concouru à sa réputation actuelle.
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Je
comprends vite que son travail d'artiste s'est progressivement
dédoublé. La recherche créative solitaire a petit à petit laissé place à
la nécessité du travail en équipe où tel un chef d'orchestre, il écrit
sa partition avant de la délivrer à ses musiciens. "J'ai besoin d'être
avec les personnes qui produisent pour moi, je ne me contente pas de
déléguer car j'apprends à leur contact, je me nourris des techniques, un
peu comme un chorégraphe qui s'inspire des interprétations des
danseurs."
Une passion pour le verre soufflé

Jean-Michel
Othoniel. L'Entrée d'Apollon, 2013. Sculpture fontaine pour le bosquet
du Théâtre d'Eau dans l'atelier de Versailles. ©Château de Versailles /
Thomas Garnier
Celui
qui a fait du verre de Murano sa signature a commencé tel un petit
alchimiste à focaliser son attention sur les matériaux aux propriétés
réversibles à l'image du plomb, du souffre ou encore de la cire. En
travaillant la forme, l'artiste a instauré un dialogue poétique avec les
mots.
"Le verre de Murano me correspond bien car il offre un
champ très riche de possibilités. C'est une matière complexe associée à
l'artisanat, aux artistes verriers mais qui est peu utilisé dans l'art
contemporain. Verre sculpté dans la masse à chaud, il est aussi très lié
au corps, à la sensualité ce qui lui donne ce côté imparfait et hyper
technique à la fois."
L'artiste représenté par la
Galerie Perrotin
vient de fêter ses 50 ans et il s'apprête à présenter prochainement une
installation pérenne dans l'enceinte du château de Versailles. Une
grande première pour cette institution qui n'accueille en temps normal
que des initiatives éphémères.
"Versailles arrive à un moment où je suis en pleine maturité, en pleine
possession de mon travail. Je me sens à l'aise dans mon propre alphabet
pour en décliner d'autres formes. Versailles va me permettre de révéler
mon travail à l'international. J'ai la chance que tout s'enchaine, un
projet en appelant un autre" ajoute-il humblement.
Une association avec Louis Benech

Jean-Michel Othoniel et Louis Benech ©Château de Versailles, Thomas Garnier
Ce
projet d'envergure, Jean-Michel Othoniel le doit au paysagiste Louis
Benech. En s'inscrivant dans les pas de Le Nôtre qui avait pour habitude
de travailler en équipe, il a souhaité faire appel aux compétences d'un
artiste. Rapidement, Jean-Michel Othoniel lui est apparu comme une
évidence.
"Quand j'ai visité son exposition à Beaubourg, j'ai vu
combien les enfants, agités dans d'autres expositions du musée,
semblaient fascinés devant son œuvre. Leur calme, leur admiration devant
ses sculptures gaies et pétulantes m'ont convaincu. Avec ses facultés
et sa grâce, il me semblait en parfait accord avec l'esprit du bosquet"
confie Louis Benech.
À la manière de Le Brun et Le Nôtre, ils ont
imaginé ensemble leur vision du jardin. Appréhendé comme un lieu de
contemplation où l'on suspend le temps, cette vision contrecarre avec
l'esprit de Versailles historiquement assez militaire. "Le jardin est
une terre de douceur, de rencontre paisible. Un endroit qui panse toutes
les infirmités que l'on porte » précise Louis Benech. Partant de cette
idée, le paysagiste recrée deux bassins d'eau en référence aux
emplacements où des spectacles étaient organisés pour la Cour.

Plan du bosquet du Théâtre d'Eau. Projet de Louis Benech ©Agence de Louis Benech
De son côté, Jean-Michel Othoniel mène un travail de recherche poussé sur la fonction du jardin à Versailles.
"J'étais à Boston et je suis tombé sur un livre que Louis XIV a écrit,
Manière de montrer les jardins de Versailles,
où il explique comment se mouvoir dans le jardin. A sa lecture, ce
langage m'est apparu comme une chorégraphie. J'ai alors réalisé qu'il y
avait un lien entre la danse et le jardin. En approfondissant mes
recherches, j'ai découvert une thèse qui mettait en rapport les
parterres en broderie de Le Nôtre à l'origine des jardins à la française
et une écriture de la danse que le roi avait commandée auprès de
Feuillet en 1701 afin de se souvenir de tous ses pas de danse." Seuls
trois exemplaires du livre de Feuillet existent dans le monde. Signe du
destin, un de ces ouvrages s'avère disponible à la bibliothèque de
Boston. L'artiste détient alors une source d'inspiration majeure. Les
"Belles Danses" vont prendre vie au cœur du bosquet du Théâtre d'Eau.
Des sculptures inspirées par l'écriture chorégraphique du Roi Soleil

Jean-Michel Othoniel, Les Belles Danses, Le Rigaudon de la Paix, simulation, 2012 ©Othoniel Studio
En
reprenant cette calligraphie du corps en mouvement comme base pour ses
sculptures fontaines, Othoniel réincarne poétiquement les danses du roi
sur l'eau. Au nombre de trois, elles correspondent chacune à une danse
de Louis XIV:
L'Entrée d'Apollon qui est un face à face,
Le rigaudon de la Paix et
La Bourrée d'Achille
qui au contraire se dansent à deux d'où leurs formes circulaires. "La
France est le seul pays à avoir écrit sa danse. C'est grâce à Louis XIV
qui avait une vision conquérante de la culture" précise l'artiste dont
la sensibilité pour le ballet est vive.
Ce projet très complexe
est presque architectural. Pour le mener à bien, près de mille sept cent
cinquante perles dorées ont été soufflées à la bouche dans l'atelier de
Bâle. Ornées d'une feuille d'or et pesant chacune entre quatre et huit
kilos, elles ont ensuite été montées sur une structure métallique qui
laisse passer l'eau et crée ainsi une continuité dans le flux à l'image
d'un pas de danse.
De plus, en amenant le verre de Murano à
Versailles, Jean-Michel Othoniel opère une sorte de revanche sur le
passé. Louis XIV avait en effet le désir de créer une manufacture de
verre comme il l'avait fait à Sèvres pour la céramique. Afin d'exporter
ce savoir-faire propre à la Sérénissime mais hautement protégé, Colbert
débaucha une équipe de verriers vénitiens. Ironie du sort, ils seront
rapidement assassinés obligeant Louis XIV à travailler directement avec
la Cité des Doges pour la galerie des Glaces.

Jean-Michel Othoniel, Les Belles Danses, simulation, 2012 ©Othoniel Studio
Les
"Belles Danses" s'inscrivent de manière subtile dans l'Histoire de
Versailles et font dialoguer ensemble la sculpture, la danse et le
jardin. A l'écoute des autres disciplines, Jean-Michel Othoniel avoue:
"il n'y a pas de stratégie en art. En tant qu'artiste-plasticien, la
chose la plus importante, c'est l'écoute, l'ouverture au monde."
Lorsque
la nature aura repris ses droits, une performance orchestrée par des
danseurs viendra inaugurer l'ensemble sublimé du duo français. Le ballet
a résolument retrouvé ses lettres de noblesse!