mercredi 22 octobre 2014

"Une nouvelle ami(e)": Ozon-s "Virginia"!

Transformation
Un film tendre sur la découverte de soi, de nos tendances plus qu'hétérosexuelles
On y rencontre un homme fragile futur travesti très attachant qui se meut peu à peu en femme grâce à la complicité étonnante de sa belle-soeur.
Le corps de Romain Duris se métamorphose doucement: attitudes, démarche, port de hauts talons pour être femme et non pas simuler.
Pas ou peu de caricature ici, mais un récit étrange de la vie d'un homme qui joue avec ses identités et séduit une femme au travers l'image sublimée de son amie morte.
Corps embaumés aussi, revêtus pour le repos éternel en mariée, ou pour la résurrection hors du  comas: se travestir s'est surgir à soi, revivre, être ré-animé pour assumer pleinement désir, envie et penchants. Sans céder à la renommée ou réputation!

À la suite du décès de sa meilleure amie, Claire fait une profonde dépression, mais une découverte surprenante au sujet du mari de son amie va lui redonner goût à la vie.
François Ozon fait du cinéma comme on se travestit. Cela n’est pas nouveau, mais, au vu du sujet d’Une nouvelle amie, n’a jamais été formulable. Chaque film est un déguisement, une façon de se glisser dans les vêtements d’un autre. Maquiller un plan comme on maquille un visage (ou un crime). Les tenues d’emprunts de cette Nouvelle amie appartiennent à plusieurs vestiaires. L’essentiel provient du cinéma classique américain, des années 40 et 50, référence majeure du film. D’abord, parce qu’une des héroïnes du film s’appelle Laura, qu’il existe d’elle un portrait peint, et qu’elle disparaît. Et si comme la Laura de Preminger (1944), elle aussi revient, c’est d’une façon toute particulière.

Une nouvelle amie : imaginaire hitchcockien à l’érotisme morbide
 
 
Une femme qui disparaît, puis qui revient dans la peau d’une autre, c’est encore la matrice Vertigo (Hitchcock,1958) qui se ramène, avec cette fois une déclinaison transgenre. C’est le mari survivant (Romain Duris) qui prend la place de l’épouse morte (Isild Le Besco) en portant ses fringues, une perruque blonde, glissant de la place du père à celle de la mère de leur nourrisson. Dans cet imaginaire hitchcockien à l’érotisme morbide, c’est une jeune femme (Anaïs Demoustier) qui tient la place de Scottie. Puisque c’est aussi son désir à elle (lesbien et réprimé) que libère la transformation de Romain Duris.



Romain Duris dans "Une nouvelle amie", de François Ozon (Crédit: Allociné)

L’identité sexuelle mute ; le désir sexuel mute… On pourrait citer Cukor (les premières scènes de flash-back sur la jeunesse des héroïnes semblent calquées sur le début de Riches et célèbres), mais il y a aussi bien sûr du Almodovar dans ce grand tourniquet désirant (un maquillage mortuaire comme dans Kika ; une étreinte avec un corps inanimé proche de Parle avec elle…). Et aussi du Xavier Dolan, à la fois dans le sujet (Laurence Anyways) et le décor (tournage au Québec). Mais au débordement farcesque du premier, à l’emphase lyrique du second, Ozon oppose son style à lui, sa rationalité propre, son sens de l’organisation narrative proche du jardin à la française.
C’est un des paradoxes troublants de son cinéma : l’ambiguité le fascine comme sujet mais le rebute comme forme. Tout est labile, incertain, versatile chez le personnage central. Mais tout est clair, verbalisé, cerné de très peu d’ombre dans l’énonciation du film. Ce goût du didactisme scénaristique, ce découpage soucieux avant tout d’être expressif et lisible, cette B.O qui ratissent large en attelant Kathy Perry, Nicole Croisille, Ottawan et Amanda Lear, forment une limite du film. Le mystère du personnage est quand même un peu rétréci par la signalisation toute en pleins feux du film.
Mais c’est aussi une force, cette aptitude à rendre fédérateur et séduisant des désirs minoritaires, ce sens de l’apprivoisement pédagogique. Car au bout du compte, le film ne cède pas sur la radicalité de son énoncé : tous les rôles (genrés, sexuels), toutes les places (père, mère) sont échangeables dans cette construction sociale figée qu’est la famille. Nul doute que le film va marcher, faire événement, relancer de façon constructive des discussions houleuses. Et si l’écriture du film peut paraître appuyée, c’est parce qu’elle appuie fort sur des zones sensibles.

mardi 21 octobre 2014

"Géronimo": résolument chorégraphique!

"Geronimo", le nouveau film de Tony Gatlif, vient de sortir en salles. Céline Sallette y incarne une éducatrice qui va tout faire pour apaiser les tensions entre deux communautés d'un quartier. Un rôle et un jeu extraordinaires, qui illuminent un film à la fois tragique et poétique.

 


Céline Sallette est une coureuse de fond. Marathonienne du verbe sur les planches où elle interpréta le monologue de Molly Bloom, situé à la fin d'"Ulysse" de James Joyce ; sprinteuse de choc dans "Geronimo" de Tony Gatlif où elle incarne une éducatrice sans cesse en mouvement, plongée dans une vendetta entre communauté turque et gitane.

L'étincelle ? La fuite d'une adolescente d'origine turque, Nil Terzi, le jour de son mariage (forcé), avec un jeune gitan, Lucky Molina. Le frère de la jeune fille, Fazil, et le marié sont prêts à laver son honneur dans le sang. Pompière toujours au four et au moulin, Geronimo (Céline Sallette, donc) tentera d'éteindre le brasier des haines qui enflamme cette cité du sud de la France.
Un "Roméo et Juliette" ensoleillé 
Dix-septième film de Tony Gatlif ("Les princes", "Indignados"), le chantre de la communauté tzigane, "Geronimo" est un "Roméo et Juliette" ensoleillé, une tragédie solaire chorégraphiée à la "West Side Story" au credo clairement affiché.Scènes de danse et de rixes mémorables qui rapellent le Jerome Robbins des comédies musicales américaines!
Scène de danse capoeira ou hip-hop, revisitées, flamenco à la Galvan sur un cercueil pour provoquer la communauté!
C'est ravageur et plein de bruits et de fureur: la musique métissée est tonique comme à l'habitude et l'on vibre aux sons et sur les percussions corporelles ou matérielles qui rythment le tout.
Scansions des grillages, des frontière, des barrières qui séparent ce petit monde tagué, coloré, désaffecté, en déshérence, sinistré.
"Savoir sortir du cadre", est-il écrit entre deux graffitis sur le mur d'un entrepôt désaffecté, à la fin du film. C'est bien ce que fait Tony Gatlif, qui s'écarte souvent, sans jamais s'éloigner, de l'argument aussi mince que rebattu qui tient le film.
Dans "Geronimo", l'antagonisme entre communautés est un motif à transfigurer, à poétiser sans cesse, un substrat tragique toujours prêt à libérer un suc flamboyant.

Si le film s'attarde au début dans un réalisme un peu bateau qui sert à planter le décor, il déploie avec plus ou moins de panache un naturalisme poétique qui donne parfois lieu à de superbes scènes (la fuite de la mariée dans un champ ; un long plan-séquence où une joute de hip-hop dans un hangar tourne à l'affrontement).

"Chante ton bac d'abord": et puis on danse!

Le BAC enchantant!
Un film ovni où chanter et bouger va de soi et se glisse dans le scénario pour faire camper aux ados des personnages hauts en couleurs et très attachants!
Chante ton bac d’abord raconte l’histoire tumultueuse d’une bande de copains de Boulogne-sur-Mer, une ville durement touchée par la crise. Un an entre rêves et désillusion. Imaginées par ces adolescents issus du monde ouvrier ou de la classe moyenne, des chansons font basculer le réel dans la poésie, le rire et l’émotion.
Drôle d’idée de réaliser un documentaire en chansons. Elles sont composées par le réalisateur et le projet d’allier une "histoire vraie" avec de la musique et des acteurs non professionnels sont à l’origine du film. Qualifié de documentaire, "Chante ton Bac d’abord" fait pourtant davantage penser à un film de fiction, dans la lignée d’un Christophe Honoré. Chansons obliges. La réalisation extrêmement soignée de David André participe de cette impression, tant le cadre est précis, tout comme sa lumière, ainsi que l’écriture.

Non professionnels, les six participants apportent une spontanéité et une fraîcheur qui habitent "Chante ton Bac d’abord" du début à la fin. Si chacun d’eux a une personnalité bien définie, ils ne sont pas des archétypes. Quand nombre d’entre nous regarde en arrière, cette année de Terminale, pour ceux qui ont passé le Bac, demeure inoubliable et un des meilleures souvenirs de jeunesse. 17-18 ans, marque le pic de l’adolescence avant le glissement vers l’âge adulte, comme un rite de passage, également marqué d’angoisse. "Chante ton Bac d’abord" traduit parfaitement ce sentiment, où l’on reconnaît des modèles que l’on a pu croiser, ou des expériences vécues.

"Chante ton Bac d'abord" de David André
 Le film est habité d’une délicatesse qui s’attache à chacun des protagonistes. Aucun n’écrase l’autre ou tire la couverture. Cet esprit de bande fait intervenir la solidarité et permet d’entrer dans des familles différentes, avec des inquiétudes face au futur, souvent exacerbées par celles des parents. Ce réalisme documentariste est contrebalancé par les chansons. Elles interviennent à des instants clés pour traduire les moments les plus dramatiques vécus par les personnages, comme si le chant permettait de passer le pas.


"Chante ton Bac d’abord" n’est pas dénué de nostalgie, sans être passéiste. Les préoccupations contemporaines sont bien présentes. Le film parle d’aujourd’hui, mais traite aussi d’émotions éternelles. Pour les spectateurs qui ont vécu des instants semblables, mais aussi les lycéens du film. L’on sent leur expérience de la fin d’une époque. Celle où l’on s’éloigne du giron familial, mais aussi des amis de toujours. Certains restent, d’autres pas. "Chante ton Bac d’abord" pourrait donner lieu à une suite pour savoir ce que sont devenus ces personnages attachants. D’autant que la réalisation de David André est des plus élégantes et pertinentes.