lundi 21 septembre 2015

Satané Musica : une journée particulière d'excellence !


Un beau Dimanche qui s'ouvre sur un concert à potron-minet, salle de la Bourse: l'heure d'un brunch apéritif copieux: un récital de piano, interprété par Pierre Laurent Aimard !
Hommage à Pierre Boulez avec deux œuvres "Notations" de 1985 et la "Première Sonate" de 1946
Œuvres phares pour illustrer le mouvement dans la musique d'un des plus grand auteur compositeur de notre temps.
Choix judicieux mis en regard avec deux autres pièces de deux autres démiurges de la composition musicale: Ligeti et Beethoven!
Boulez en maître de la mesure et du tempo: vif, lent, rapide, hiératique, modéré, fantasque: autant de qualificatifs posés sur une musique volontairement décoiffante, déroutante à l'écoute.
Alors que la sonate développe largeur, lenteur et rapidité , dextérité de l'interprétation au delà d'une technique requise, sans faille, ni fioriture possible
Le maestro du piano s'incline devant tant de rigueur et offre une lecture dynamique en diable, physique où l'empathie joue à fond son rôle de catharsis
Il honore l'instrument de ses attitudes en osmose avec la difficulté de la partition, en virtuose, le visage extrêmement mobile, en tension-détente, en symbiose avec la musique
Ligeti  avec "Musica Ricercata" lui offre un terrain de fantaisie ludique après ces performances dantesques!
Musique à danser, grave et légère : on devine pourquoi Anna Teresa De Keersmaeker en est friande !

La "Sonate pour piano N° 23, Appassionata" de Beethoven vient clore et boucler la boucle: la brillance de l'exécution, la virtuosité du pianiste en font un chef-d'oeuvre de référence incontournable qui ébranle, touche, frappe les esprits comme une sentence satanique!

Un récital qui laisse sans voix dans une atmosphère où les extrêmes semblent se relier: de Beethoven à Boulez, faire un seul pas ou le grand écart relève de toute façon de l’héroïsme !
Mais chacun fut à son époque très "contemporain" et participe à l'Histoire de l'écriture et des révolutions musicales.


"Giordano Bruno" de Filidei dans une mise en scène de Antoine Gindt par le Remix Ensemble Casa Da Musica
Un opéra contemporain se salue toujours tant il est encore rare d'en voir et entendre
C'est une des spécificités du festival Musica, engagé dans la réflexion sur le rapport image/ musique depuis plusieurs éditions
Sous la direction de Peter Rundel, et dans une remarquable scénographie de Elise Capdenat, des images vidéo signées Tomek Jarolim, la pièce fait office de traité historique, reconstitution narrative de la destinée d'un scientifique par une succession de douze scènes consacrées à l'histoire de l'hérétique Bruno, chercheur, détracteur de l'Eglise en proie à sa vindicte


Il est le héros et le martyr de la pièce, personnage central "fautif", coupable de vérité mais aussi de luxure démoniaque: on songe aux clichés de Pierre Moulinier en contemplant les scènes érotiques, de dentelles, bas à résille et pauses sans équivoques du chœur, celui qui ponctue l'opéra
Très mouvant, engagé physiquement dans l'interprétation, tous concourent à la tension dramatique de l'oeuvre
La musique, menaçante, les silences éloquents, façonnent une structure à la dramaturgie soulignée par un fond d'images vidéo évoquant l'aspect céleste de la rédemption impossible du héros, victime.
Le salut sera impossible, ni la rémission. Alors il s'enlise et s'embourbe, sacrifié au bûcher de l'inquisition
Destin diaboliquement irréversible où l'enfer, c'est bien les autres et leur incompréhension


Il manquait à cette folle journée une dimension filmique: la voici avec la restauration du film d'Abel Gance "J'accuse" de 1916
Évocation de la guerre de 1914/1918 où les héros, deux hommes en proie à un amour fou pour une même femme, traversent les affres de cette boucherie sans égal
C'est avec une humanité extrême et un savoir faire sans faille qu'Abel Gance aborde le sujet, à une époque déchirée, défaite et massacrée par la folie humaine et militaire.
Les acteurs y brillent par des accents de jeu appuyés, quasi expressionnistes, les cartons délivrent une histoire faite d'absurdité et de sentiments très poétiques, les cadres, zooms et focales simulés par des trucages à l'image: tout concourt à évoquer la splendeur et la terreur d'instants, noir et blanc pour mieux cerner les contrastes entre humain et inhumain
Poésie, fantastique, rehaussés par une interprétation en direct de la musique de Philippe Scholler par l'orchestre de la Radio Sinfonieorchester Stuttgart des SWR
Un ciné concert de trois heures qui passe comme une lettre à la poste.


J'accuse est une ode à la Vérité, un aveu d'humanité et les mensonges qui sauvent y sont détractés comme des erreurs fatales et irréversibles
Le destin avance, l'histoire se forge et cette musique remarquable accompagne et souligne, suspens, horreur , joie aussi des scènes dansées de Provence qui illuminent de leur rythme chatoyant, un film noir, mais pas désespéré!

Un Dimanche particulier où la ligne éditoriale conduit du solo pianistique à l'avalanche cinématographique, en empruntant le cabinet de curiosité d'un savant décrié......Épuisement du spectateur, comblé par l'excellence des choix et des prestations proposées!

dimanche 20 septembre 2015

Musica, très "fun", très "gore" !


Place du Château à Strasbourg, les manifestations du "Millénaire de la Cathédrale" prennent fin; c'est la journée du Patrimoine, on inaugure un nouveau vitrail de Véronique Ellena, le "Te Deum" sommeille pour la soirée.........
Et sur le parvis, c'est au tour  du "Fun des Oufs" de prendre place!
Soyons "fous" et entre deux averses, en plein air, une joyeuse assemblée d'harmonies et des musiciens de haute volée vont se produire sous la houlette de Andy Emler qui va se prendre pour un Sébastien Brant et mettre le feu aux planches de ces deux immenses podiums accueillant une bonne centaine de musiciens interprètes sous la direction de Eric Villevière.
Du beau monde pour cette "fête", ce festin de musiciens, entre jazz, contemporain, voix, jeu et répertoire, citations multiples de standards et  oh, curiosité un chanteur aux intonations dignes de Michel  Legrand: Médéric Colligon au cornet également!
Prestation haut de gamme où tous semblent galvanisés par un enthousiasme et un désir fougueux de partager la musique
Concert gracieusement "offert" aux yeux et aux oreilles, regorgeant d'inventivité, de bruits, de silences aussi et de moments de grâce: quand Collignon se joue de sa voix en onomatopées ou singulières élucubrations vocales et percussives  pour joues et et langue aux abois
A la voix également, Elise Caron, éperdue de sensualité dans des rondeurs vocales épanouies et disséminées au vent! Ce "fun des oufs" très dans l'air du temps, fait du bien, réjouit un public captif, de passage ou bien au rendez-vous d'une manifestation éclairée, joyeuse et bon enfant
Soyons fous, surtout et restons- le pour souligner aussi le magnifique travail de ces harmonies, chorus fédérateurs d'énergie, de sons et d' "harmonie"
Au diapason, à l'unisson, dans le chaos et le désordre aussi dans l'indisciplinarité et le charivari, le chahut et la gaieté strasbourgeoise !Tohu, bohu médiéval, carnaval ubuesque, où se défoulent les envies, les désirs d'émettre, de phonier, de jouer devant un parterre conquis, séduit par tant d'engagement
Une initiative heureuse en partenariat avec jazzdor, les harmonies de Hoenheim, Dauendorf, Preuschdorf et la fédération des sociétés de musique d'Alsace

L'Ensemble Modern en enfer


Plus grave et recueillie, la divine prestation de l'Ensemble Modern à l'Auditorium de France 3 sous le signe des ténèbres sataniques et du chaos originel
Deux œuvres choisies pour ce programme surprenant:
"Arkham" de Yann Robin, création mondiale, distille envolées bruissantes et vagues dignes d'un tsunami sonore, ronflante et pulvérisante musique qui enfle, se déploie et gronde pour mieux évoquer des contrées imprégnées de légendes fantastiques et de contes cruels
Science friction pour sonorités paS toujours flatteuses à l'écoute, fracas et fatras, tumultes, tempêtes et chahut pour un monde sonore extrêmement riche et percutant; espace sonore labyrintique pour mieux perdre son âme et la revendre à un satan, dissimulé derrière quelques note éruptives Paysages imaginaires inspirées par Lovecraft et ses récits d'horreurs
Les gores du festival du film fantastique, en assemblée ce jour là eussent étés fort satisfaits!
Parfois les conjonctions telluriques, entre les fous de Brant, les gores du cinéma et les illuminés de la musique contemporaine font "mouche"!

Succède à cette pièce sous la direction démoniaque d'un Nosfératu gigantesque, Emilio Pomarico, "Auf die Stimme der weissen Kreide" de Johannes Maria Staud
Pièce fantastique inspirée autant par un respectueux sentiment d'amitié de l'auteur vis à vis des membres de l'Ensemble que par une sculpture fantastique et étrange de Marcel Jean. Un spectre à l'anatomie monstrueuse!
Très "gore" donc cette évocation où le son s'égraine en tonalités changeantes, versatiles et dont les ondes s'épanouissent et se referment à l'écoute comme flux et reflux au suspens fantastique
Univers singulier et envoûtant, pétrifiant parfois où l'on se surprend à frémir dans l'attente d'une conciliation des sons et des spectres musicaux dans une profonde émotion qui ébranle.
Vagues ascendantes, en apnée pour mieux échouer sur une plage sonore vierge de toutes répercussion.




samedi 19 septembre 2015

Musica : "jeunes talents, compositeurs" : juste le Temps..........


Un concert des étudiants de la classe de composition de Philippe Manoury du Conservatoire de Musique de Strasbourg, interprété par l'Ensemble instrumental de ce même conservatoire, et de l'Académie supérieure de musique de Strasbourg/ HEAR, sous la direction d'Armand Angster.

Curieusement c'est le thème du temps qui va relier les trois œuvres proposées, trois œuvres de "jeunesse" pour ces trois compositeurs en herbe, jeunes pousses de la composition, un art qui ne s'apprend pas, mais se développe, s'encourage, s'épanouit sous la bienveillance et l'extrême vigilance de leur "professeur" maître en la matière, Philippe Manoury
Pour lui aussi le temps est au centre de ses préoccupations d'écriture et de recherche sur les sons et l'espace musical : la musique en temps réel.
Bel exemple de Pygmalion, accoucheur de jeunes talents, éperon efficace et sans concession
La maïeutique opère et nos trois jeunes artistes, tour à tour présentent leur parcours, leurs oeuvres, le sens de leur recherche: la parole leur est donnée et dans cet exercice brille Daphnée Hejebri, exposant brillamment la genèse et le déroulement des quatre parties de son "Phases": le temps en tête de gondole, tête de pont de ses préoccupations: tantôt haché, dilué, s'étirant, se retirant se répétant comme cette curieuse expérience que chacun peur faire de la durée subjective d'une tâche, d'un événement
Singulièrement corporelle comme une chorégraphie des sons spatiaux temporels.
La relativité la tarabuste, et taraude sa pièce, à la recherche de ce temps si singulier de l'expérience du vécu humain

"La nuit cyclique au jardin de Ts'ui Pên", la seconde pièce de Javier Munoz Bravo interroge  la notion de musique en temps réel; composition pour quatre saxophones et électronique.
Très belle interprétation de Andres Castellani, qui joue à cache cache avec l'écho, la réverbération et l'étrangeté des sons qui se confondent en écho aux sons directs des instruments
On clôt ce concert très convaincant avec "V.I.T.R.I.O.L." signé de Clara Olivare
Le temps de la vie, le temps qui passe, l'initiation de l'être humain lui inspire un voyage initiatique, tendre et féroce, emplit d'humanité, de grâce et de sincérité
Clarinette, pincements, frottements d'instruments qui résonnent, circulaires dans l'espace de la salle, l'univers st campé et s'offre en partage

Tous maîtrisent déjà leur désir de composition, leur envie de partager des mondes singuliers qui leur appartiennent et qu'ils font éclore et grandir sous les "conseils" et la direction d'un grand musicien pédagogue, modestement au service d'une génération qui éveille d'autres lieux d'autres niches pour la création de la musique d'aujourd'hui: la leur, la nôtre qu'ils nous livrent en communion
L'écriture est reine dans ce creuset, ce berceau qui grâce à une fondation internationale est promise à un bel avenir immédiat! Preuve à l'appui !

A le recherche d'un temps, pas perdu !