dimanche 25 septembre 2016

"Jeunes talents, Quatuor Adastra": musique bien "chambrée".


L' Eglise du Bouclier comme écrin pour la musique de chambre, bonne pioche dans cette atmosphère recueillie, lumineuse, l'espace d'un samedi matin à potron minet: il est 11 h!
Jeunes pousses et valeurs sures, ce mixte s'avère juste et pertinent: le quatuor à cordes de la HEAR, se frotte aux œuvres de maîtres et se joue des embûches et difficultés, avec maestro.
La valeur n'attend pas le nombre des années.
Cinq pièces pour affirmer maîtrise et savoir faire, talent et virtuosité.
Démarrage du concert avec l'oeuvre de Diana Soh, "Rojob(ta)ject(tion)"de 2009

Des cordes pincées, en écho et ricochet, des contrastes glissés, frottés sur les cordes en pizzicato et étirements.En cascades, pleines d'éclats, de silences et de ruptures.En glissades allant crescendo, en piqués et pointés, la musique se dessine, s'inscrit dans l'espace.En spirales, emplies de frottements, avec une intensité grandissante. Grincements secs et cassants, les ruptures se succèdent, les archets caressent les cordes.Des sirènes languissantes surgissent et tout se termine en gestes suspendus, en haleine, en souffle interrompu.
Cordes, pas "raides" pour un "premier de cordée", remarqué.

"Hommage à Andras Mihaly opus 13 de 1977/78 de Gyorgy Kurtag
Ces douze microludes pour quatuor à cordes délivrent des bribes de mélodie, à répétition, avec bref arrêt; comme des fragments, des retenues en douceur, en étirement dans la durée.Petites ascensions interrompues, frustrantes à souhait dans le rythme. Un mouvement planant, aérien s'en dégage, en suspension; les instruments prennent le relais les uns des autres et sèment l'intrigue.Le mystère en lente montée ascendante. Le grave du violoncelle, comme base et soutien; comme des marches que l'on gravit une à une. Frissons, tremblements en crescendo, petites coupures de son et le tour est joué.

Avec son "Quatuor à cordes opus 1" de 1959, c'est encore Kurtag qui résonne en glissades, frappements et choc sur les instruments à cordes.Percussions sur celles du violoncelle, en répétition, enjambées audacieuses de rythmes. Le son se propage, s'amplifie, prend de la densité.Se transmet, contagieux, tout en raffinement et subtilité. Sur la corde raide, fragile, en finesse.Succèdent des tonalités stridentes, des envolées en reprise, des frôlements très délicats, infimes.Longues trajectoires du son.

Les "Six bagatelles opus 9" de Anton Webern de 1911 se ressentent toniques et contrastées, le son se perd dans la virtuosité de l'interprétation. Frémissements, calme et retenue à peine effleurée toute en discrétion mesurée.De la distance, du recul, de la légèreté pour cette oeuvre toute de tintements, en gouttes de pluie.A fleurs de cordes, sous les archets des quatre musiciens, de bleu et noir vêtus sur fond de chœur blanc, gris bleu. Belle ambiance dans cette église du Bouclier, intime, chaleureuse, lumineuse
La danse de Dusapin
Et pour clore cette matinée étincelante, le "Quatuor à cordes" de Pascal Dusapin de 1993
Cette pièce ajoute au panel de l'ensemble un soupçon de litanie, enjouée, radieuse, endiablée et dansante. Stimulante et galvanisante à coup sur. Des contrastes lumineux, colorés déclenchent une dramaturgie, les gestes musicaux dessinant une fresque, un dessin dans l'espace respiré. Mouvementé, alerte cet opus vivifie et ravigote comme un transport musical ourlé d' emportées ascensionnelles chorégraphiées.Retour au calme après une entrée toute en verve.Recueillement puis reprise du flux et reflux, comme des phrases prononcées, ponctuées dans une prosodie, une narration suggérée.Le son s'allonge, s'étire, devise, discute.
S'y mêlent des accents forts, calmes, des élans et projections sonores grandissants.Tonicité, allant, vivacité et fugacité de l'écriture de Dusapin: appuis, soutiens, effort et dépense nécessaires pour l'exécution de cet opus magnétique. C'est de la danse dans ses fondamentaux: tension, crescendo, tumulte maîtrisé, détente; y président les décisions, intentions et directions volontaires du son. Un intermède pour respirer en picotements, pulsations distillées goutte à goutte De la nonchalance feinte dans le rythme pour se décontracter, des tours détours et retours pour se perdre.
Dusapin écrit sa musique comme s'il dansait, en tour et détour, en retour, en allez et venues .Le son se répand, fond, fluide comme une lente progression vers le zénith Le lâcher prise fait volte face, en retenue maîtrisée. Langoureuse mélancolie finale, nostalgie, apaisement et vivacité permanente maintiennent les musiciens en alerte, en état de corps éperdument empathique avec le public
La dépense est cathartique et une fois de plus notre grand Dusapin trône rayonnant, tronc, socle fondateur d'une musique savante et accessible, exigeante et implacable avancée, mouvement ascendant et libérateur de la pensée chorégraphique et musicale.
On en pince pour le quatuor Adastra décidément et l'on s'éveille cette matinée là avec un "pince moi, je rêve" dédié aux cordes dans tous leurs états acoustiques!

samedi 24 septembre 2016

ElsaWolliaston, voyante du film "Victoria"


Ne loupez pas Elsa Wolliaston dans le rôle d'une voyante désabusée, extralucide face à Virginie Efira dans le film "Victoria" de Justine Triet: elle est craquante, déconfite et réaliste face aux cartes qui ne révèlent rien de bon à l’héroïne en voie de disparition sentimentale!
Drôle, comédienne en diable et charnelle, présente à l'écran comme jamais!


Pierre Henry: voyage! Un "jeune" homme toujours survolté.Inspiré, beau "haut parleur" des poly sons.


Oui, Pierre Henry , toujours jeune, et sans faire semblant, ni jouer à celui qui triche: il perd ou il gagne à toujours inventer, créer, remanier son oeuvre: la magnifier sans jamais "la mettre au gout du jour": elle est d'actualité.
Alors, au Point d'Eau à Ostwald au sein d'un équipement et d'un dispositif tout et flambant neuf, voici deux œuvres exécutées par son discipline et compagnon de route, Thierry Balasse, en son absence regrettée.Le maestro de la musique électroacoustique est pourtant bien là quelque part parmi ce parterre de haut parleurs sur la scène, comme autant de petits soldats près à démarrer leur marche. Ensemlble, en choeur, ode à la joie du créateur et de son âme d'enfant, pas sage.
"Chroniques terriennes" en création mondiale pour cette première partie du concert: une heure durant, c'est une balade bucolique et urbaine, un voyage, les yeux fermés dans des univers foisonnants de sons, de bruits, enregistrés et mixés, déferlant, pour évoquer des univers changeants.
Chants de cigales, roucoulements de colombes ou tourterelles, grenouilles ou crapauds, pluie, averses.....: voici un bestiaire sonore, carnaval des animaux façon Pierre Henry où les couches de musique se juxtaposent, s'empilent, se masquent . Made in Pierre Henry, cette opus, cadeau pour Musica qui a su accueillir à plusieurs reprises ce bidouilleur de sons, muni de colle et de ciseaux pour créer des bandes sonores ininterrompues. Fleuve.Jamais de "bande à part" mais un côté survolté, provocateur pour ce toujours jeune homme orfèvre de l'acoustique inouïe. Les paysages s’enchaînent, la navigation peut continuer pour le public sans naufrage, ni tempête: retour au port d'attache après un périple imaginaire: les haut-parleurs nous observent, nous regardent et distillent sons et frissons, vibrations et tension. Leur présence couvre et enveloppe l'espace, du plateau, aux cintres: plus de 80 instruments sonores, immobiles, sans corps ni âme vivent et font la musique comme autant de peintures, de sculptures résonantes dans la maison de sons et de peintures chimériques
Entracte après ce flot réjouissant de surprises, pour échanger entre auditeurs, les effets de ces empilements musicaux, ces architectures tectoniques, ces divagations sonores labyrinthiques. Au sein du très bel espace du aula du Point d'Eau: une salle à réinvestir!


"Dracula" d'après la Tétralogie de Wagner fera suite à cet opus tout neuf
Une pièce de 2002 qui joue sur les superpositions de bribes d'opéra et d'enregistrements de sons divers et variés, évoquant le tumulte, le danger, les accidents, le quotidien. Mais aussi les personnages qui hantent l'esprit wagnérien: sorcières et démons, remixés, malaxés pour créer une distanciation respectueuse face au démiurge compositeur de fantasmes visionnaires.
Vent, brouillard, nuages, fumées virtuelles pour évoquer Dracula, ses orgies, son tempérament insatiable, sa soif d'ingurgiter les breuvages de vie, de sang et de fureur.Inspiré du film de Fisher "Dracula" et du Nosferatu le vampire" de Murnau, la musique défile comme au cinéma et distille plans, séquences, plongées et contre-plongées dans l'univers onirique de ces deux cinéastes de référence.Films sonores comme les pièces de Pierre Henry. Lui fabrique des images à se construire dans l'imagination que génère la richesse évocatrice des sons. L'auditeur travaille sans cesse à sa propre mise en scène et se fait son cinéma, sur l'écran noir de nos nuits blanches au festival!
Bel ouvrage, sensible, plus "intime" et intérieur, plus ténu, riche en rebondissements multiples Tonnerre, orage et désespoir, mutations et métamorphose hybrides des sons .les cris, les rires, les chants des walkyries, des amazones, des fantômes et esprits malins pour séduire et conduire aux enfers en toute connaissance.
Coupés, ralentis, triturés, les extraits de musique wagnériennes offrent à Pierre Henry, l'occasion de déstructurer, d'émietter, découper une oeuvre fluide et fleuve A l'envi, à foison et dans le plus total des irespects indisciplinaires.

Canaille, "salle gosse" de la musique d'aujourd'hui, Pierre Henry , Pierrot, notre "fou",joue et gagne, se risque à des audaces et sans cesse semble entendre "étonnez moi" ce que Diaghilev murmurait à l'oreille de Jean Cocteau: ainsi naissait "Parade" en 1917 Un siècle plus tard avec Henry, nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
Hauts, les beaux parleurs, les bruits, cris et chuchotements fantomatiques d'une musique visuelle, sensuelle qui touche, caresse ou horripile: sensations garanties au pays du vampire légendaire: Dracula et Wagner, pas morts et nous "même pas peur"!