Jeunes pousses et valeurs sures, ce mixte s'avère juste et pertinent: le quatuor à cordes de la HEAR, se frotte aux œuvres de maîtres et se joue des embûches et difficultés, avec maestro.
La valeur n'attend pas le nombre des années.
Cinq pièces pour affirmer maîtrise et savoir faire, talent et virtuosité.
Démarrage du concert avec l'oeuvre de Diana Soh, "Rojob(ta)ject(tion)"de 2009
Des cordes pincées, en écho et ricochet, des contrastes glissés, frottés sur les cordes en pizzicato et étirements.En cascades, pleines d'éclats, de silences et de ruptures.En glissades allant crescendo, en piqués et pointés, la musique se dessine, s'inscrit dans l'espace.En spirales, emplies de frottements, avec une intensité grandissante. Grincements secs et cassants, les ruptures se succèdent, les archets caressent les cordes.Des sirènes languissantes surgissent et tout se termine en gestes suspendus, en haleine, en souffle interrompu.
Cordes, pas "raides" pour un "premier de cordée", remarqué.
"Hommage à Andras Mihaly opus 13 de 1977/78 de Gyorgy Kurtag
Ces douze microludes pour quatuor à cordes délivrent des bribes de mélodie, à répétition, avec bref arrêt; comme des fragments, des retenues en douceur, en étirement dans la durée.Petites ascensions interrompues, frustrantes à souhait dans le rythme. Un mouvement planant, aérien s'en dégage, en suspension; les instruments prennent le relais les uns des autres et sèment l'intrigue.Le mystère en lente montée ascendante. Le grave du violoncelle, comme base et soutien; comme des marches que l'on gravit une à une. Frissons, tremblements en crescendo, petites coupures de son et le tour est joué.
Avec son "Quatuor à cordes opus 1" de 1959, c'est encore Kurtag qui résonne en glissades, frappements et choc sur les instruments à cordes.Percussions sur celles du violoncelle, en répétition, enjambées audacieuses de rythmes. Le son se propage, s'amplifie, prend de la densité.Se transmet, contagieux, tout en raffinement et subtilité. Sur la corde raide, fragile, en finesse.Succèdent des tonalités stridentes, des envolées en reprise, des frôlements très délicats, infimes.Longues trajectoires du son.
Les "Six bagatelles opus 9" de Anton Webern de 1911 se ressentent toniques et contrastées, le son se perd dans la virtuosité de l'interprétation. Frémissements, calme et retenue à peine effleurée toute en discrétion mesurée.De la distance, du recul, de la légèreté pour cette oeuvre toute de tintements, en gouttes de pluie.A fleurs de cordes, sous les archets des quatre musiciens, de bleu et noir vêtus sur fond de chœur blanc, gris bleu. Belle ambiance dans cette église du Bouclier, intime, chaleureuse, lumineuse
La danse de Dusapin
Et pour clore cette matinée étincelante, le "Quatuor à cordes" de Pascal Dusapin de 1993
Cette pièce ajoute au panel de l'ensemble un soupçon de litanie, enjouée, radieuse, endiablée et dansante. Stimulante et galvanisante à coup sur. Des contrastes lumineux, colorés déclenchent une dramaturgie, les gestes musicaux dessinant une fresque, un dessin dans l'espace respiré. Mouvementé, alerte cet opus vivifie et ravigote comme un transport musical ourlé d' emportées ascensionnelles chorégraphiées.Retour au calme après une entrée toute en verve.Recueillement puis reprise du flux et reflux, comme des phrases prononcées, ponctuées dans une prosodie, une narration suggérée.Le son s'allonge, s'étire, devise, discute.
S'y mêlent des accents forts, calmes, des élans et projections sonores grandissants.Tonicité, allant, vivacité et fugacité de l'écriture de Dusapin: appuis, soutiens, effort et dépense nécessaires pour l'exécution de cet opus magnétique. C'est de la danse dans ses fondamentaux: tension, crescendo, tumulte maîtrisé, détente; y président les décisions, intentions et directions volontaires du son. Un intermède pour respirer en picotements, pulsations distillées goutte à goutte De la nonchalance feinte dans le rythme pour se décontracter, des tours détours et retours pour se perdre.
Dusapin écrit sa musique comme s'il dansait, en tour et détour, en retour, en allez et venues .Le son se répand, fond, fluide comme une lente progression vers le zénith Le lâcher prise fait volte face, en retenue maîtrisée. Langoureuse mélancolie finale, nostalgie, apaisement et vivacité permanente maintiennent les musiciens en alerte, en état de corps éperdument empathique avec le public
La dépense est cathartique et une fois de plus notre grand Dusapin trône rayonnant, tronc, socle fondateur d'une musique savante et accessible, exigeante et implacable avancée, mouvement ascendant et libérateur de la pensée chorégraphique et musicale.
On en pince pour le quatuor Adastra décidément et l'on s'éveille cette matinée là avec un "pince moi, je rêve" dédié aux cordes dans tous leurs états acoustiques!
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