vendredi 30 septembre 2016

Accroche Note: musique de Chambre: En corps, encore, la note sera salée-sucrée!


On les attendait, les voilà avec un programme dense et fourni, varié, éclectique et ambitieux.pour évoquer les univers de Posadas, Essyad, Bertrand et Matalon!Sous la direction du fidèle Emmanuel Séjourné.
"Sinolon" de Posadas 2000 est une oeuvre mathématique, inspirée de l'univers d'Aristote.
Solo pour clarinette, voici Armand Angster traversé de tremblements, d'oscillations, de vibrations Montée vertigineuse dans les aigus, redescente chromatique, les pieds bien ancrés au sol, jambes fléchies en pliés, demi-pliés pour supporter le son, maintenir la note: performance physique bien visible devant nous, en empathie avec l'artiste Des aspirations, de savants dérapages pour accéder au summum des aigus, sommet au zénith d'une montée en gamme suraiguë. Possédé par Posadas, habité, troublant de porosité, de perméabilité par rapport à cette musique savante, virtuose.

"Lettre d'amour" de Essyad de 2016 avec harpe, voix et violoncelles, pour "Françoise et Armand": c'est dire la complicité qui unit cette formation au compositeur qui "accroche" ses notes en chacun des protagonistes comme une preuve, emblème de fidélité!La création du monde, l'avènement de l'amour comme thématique pour la chanteuse qui s'empare de ce beau texte de Jalal Eddine Rumi, traduit en français. Un récitatif très audible dont on suit aisément le contenu des paroles dans une excellente élocution malgré les difficultés et audaces de ce "sprechgesang"; la musique lui offre un écrin pour assurer avec beaucoup de poids, la densité des mots, les couleurs et surfaces du texte.Le son scintille, sa voix module et sculpte les tonalités, leur donne corps et existence. Des ondes se propagent entre musiciens; la conteuse-chanteuse, à la tessiture claire et profonde, au timbre lumineux et grave s'emploie à largement déployer cette musique, riche et foisonnante. Vindictes, affirmations en litanies, voix au poing, Françoise Kubler offre toute sa maturité, son ancrage dans le sol pour mieux faire vibrer son instrument, : belles attaques guerrières, jolis graves séducteurs au service du texte.Magnifier la voix en lui offrant un creuset instrumental à habiter, corps à cordes, alternance voix instrument, voici du bel ouvrage, ponctué de pincement ou glissés de harpe, de touchers de violoncelles, de galipettes de clarinette.

Suit "La chute du rouge " de Christophe Bertrand,d'après une toile de Philippe Cognée de 2000
Un opus à découvrir, une atmosphère riche, colorée, formellement organisée comme les toiles du peintre.Piano et percussions à l'appui, naît une longue portée commune, révélation de chacun des instruments, à leur place: chacun respire, s'agite, s'imbrique naturellement pour exister ensemble.
Sans prendre le dessus ni s'effacer au profit des autres. Mouvements vifs et très spatiaux, spacieux aussi; délicatesse des motifs qui se répètent, s'amplifient, jusqu'au grondement évoquant un univers très minéral. Fractures, géologie des plaques tectoniques: on songe aux moraines, langue glacière, et bassin de réception d'un paysage glaciaire: fonte des neiges et des sons, recul du glacier en sérac et autres crevasses périlleuses à franchir mais attestant de la vie du glacier. Dans la vallée en auge, les sons se rassemblent, scintillent, très lumineux. Musique largement offerte aux instruments, aux tympans de ceux qui écoutent et regardent se construire et se dérouler devant eux, la magie de la composition musicale: incarner matières et visions pour offrir des espaces de liberté.
Au final, un decrescendo en lucioles vibrantes, en reflets qui frémissent. Sur l'adret, sur l'ubac des peintures de Cognée, petites géographies architectoniques en diable. En rouge!

"La carta" de Matalon pour clore cette soirée en beauté: s'ajoute au groupe, un accordéon, alors que percussions et piano, voix et violoncelle habitent le territoire en majesté.
Étincelles de sonorités légères, amplifiées en cascade, tétanies vibrantes, ricochets, échos réverbérés en cascades par l'électronique et le ton est donné.Petites percussions discrètes sur cailloux qui crissent, grondements caverneux, petites incursions brèves, avortées par touche de l'accordéon. Chacun se glisse dans cet édifice sonore pour faire tenir ensemble poutres et piliers, charpente et ossature fragile.
Anatomie du son à décrypter sur place, on est en alerte, attentif à chaque source d'émission qui se recouvre pour un son sourd, feutré.La voix de la chanteuse, saccadée, vrillée, en osmose avec les autres instruments, eux aussi aux sons hachés, segmentés, secoués, interrompus. Petites touches, perles ou gouttes de sons frappés, c'est un régal pour l'écoute Un enchantement à la Matalon maître de ses percussions précises, nettes ou effleurées. Des émissions de sons très organiques qui se mêlent à la clarinette, épine dorsale parfois de la construction en marche, alors que craque l'univers, se fend la matière en ébullition.La voix devient quasi animale, percute, comme un matériau trituré à part entière, développant les infinies possibilités techniques de Françoise Kubler.
Et toute son ingéniosité à s'approprier la virtuosité comme poésie sonore et vocale!
Proche des sons d'objets qui grincent et soupirent, dans un univers d'ovni, de science fiction fantastique Ascension, chutes et retombées pour que le son s'élargisse, se répande, se fonde, comme un corps instrumental. Inventaire à la Prévert des métamorphoses vocales, glossaire Matalon, dictionnaire vertueux des variations et autres élucubrations subtiles et performantes des cordes vocales. Hybride en diable.
Car si la chanteuse dissimule en elle son instrument, les autres cordes, à vue s’enorgueillissent aussi de pouvoir générer autant de trouvailles, organisées! Encore quelques avalanches de sons qui s'émiettent, une petite minuterie malicieuse qui se glisse subrepticement comme tempo , quelques réverbérations acoustiques pour nous rappeler à l'ordre, pour sonner l'heure de quitter le groupe "Accroche Note": de petites touches de musique accrochées, dessinées dans notre mémoire
Ce soir là la Salle de la Bourse, le public ovationne ses "enfants" de Musica, ces  compères et compagnons de l'existence de la musique d'aujourd'hui



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