jeudi 29 septembre 2016

Quatuor Diotima: "Sombras": suite de la Monographie d'Alberto Posadas: quand sonne leurre.


C'est "Le livre des leurres" de Cioran qui inspire en 2010, le compositeur espagnol dont le festival Musica présente une rétrospective, introspective.Tentation des ombres, ce spectacle convoque mise en scène et musique pour dévoiler littéralement le sens de l'oeuvre, donnée ici dans son intégralité.
Avec la soprano Sarah Maria Sun et le clarinettiste Carl Rosman
Ombres portée, en portées, emportées
Contrastes, modulations, repli, retenue: le démarrage de la pièce, en trombe, toute de fougue et de glissements progressif du son sur les quatre instruments à cordes.Musique vibrante, en vagues successives. Ceci demande une dextérité, fille de virtuosité étonnante: la musique fait rare, envahit, d'une extrême virulence, obstinée, entêtée, pugnace dans ces retours et rythmes redondants.
Soudain, une voix se fait entendre de derrière les 7 panneaux blanc, agrémentés de lampes de chevet très cosy;voix en écho aux cordes: irruption, intrusion délicate et discrète avec une multitude de variation de son très aigus
La silhouette gracile de la chanteuse, gainée d'une robe à fourreau noire en fait un pilier des anges, support et soutien de la musique, maintien fort et assuré de cet édifice architectonique impénétrable.
Comme un chapiteau, au chœur du quatuor, sa voix, ses "cordes vocales" ajoutent au registre de celles des instruments: cristalline, angevine, pleine de finesse, de délicatesse.
Les graves reprennent le dessus et sa voix avant de s'effacer, de disparaître, tisse de longues tenues suraiguës.
Un solo de violoncelle en contrepoint.La voix se perd, se meurt au profit de la clarinette qui fait une entrée remarquée.Elle lui tient tête encore, la double, ils respirent et jouent ensemble: dialogue, duo; les cordes cessent de pleuvoir; deux anges musiciens troublants, s'exposent: pilier et chapiteau d'une musique savante et virtuose.Saxophone quasi free pour la laisser sortir de scène, telle la muse Echo qui se désincarne
Souffle, vent rugissant, cordes à nouveaux en osmose Et la pièce de se clore sur un univers d'ombres discrètement quittant la scène comme une tribu d'ectoplasmes silencieux, apaisés.
La salle de la Bourse résonne encore quand le public nombreux, ovationne le compositeur, présent, attentif et reconnaissant au groupe Diotima pour cette prestation virtuose: performance qui tient en haleine plus d'une heure durant.


mercredi 28 septembre 2016

Lutherie, instrument préparé pour grand dentelé

photo olivier lelong

Perle séchée, baroque, pliée, plissée: la vie dans les micro-plis
Asséché, le canal, effilés les fuseaux, fibres musculaires tendues
Sirène à queue de poisson à la Léonard de Vinci
Arrêtes de poisson, écorchures d'épine dorsale en saillie, en spirale
Épinglé, le canal inguinal, creusée, la carcasse en caverne, le creux poplité ou l'astragale dévoilée
Tensions bien alignées, ceinture scapulaire bien attachée!
Cordes pincées, veines en confluences comme des lits de fleuves, mineur ou majeur
Le clavecin résonne, sec et métallique
Le "grand droit" se raidit, les clavicules font de petits berceaux comme des coupes qui attendraient le vin ecclésiastique
Dédale ou labyrinthe de tissus tendus, éclairés comme une peau en éventail
Les paupière annelées, le poil ébouriffé,la machoire réceptacle d'oracles
Animal sternocléidomastodien, ange de l'anatomie
Scarabée à la chitine reluisante, corps d'insecte piqué aux cimaises d'un jardin d'entomologue, petites géologies en strates, archéologie du corps vulnérable, petites faiblesses en recoin,
Démesure  subliminale, régence et noblesse de la surface, superficie du monde, lisse et fragile
La peau est un paysage, ourlé de joie et les fils animent la chair offerte de tous leur rebond

Ensemble Linéa à Musica: hommage à Alberto Posadas: noir c'est noir.


Trois œuvres pour ce concert du compositeur, inspirées par d'autres disciplines: peinture en hommage à Soulages pour "La lumière du noir" ou par des événements graves et perturbants.
Une soirée consacrée à l'Ensemble Linéa sous la direction de Jean Philippe Wurtz, renforcé par les étudiants de l'Académie supérieure de musique de Strasbourg/HEAR.
A l'Auditorium de France 3, l'ambiance est recueillie: Posadas est présent, son oeuvre devant lui va prendre corps.
"la lumière du noir" de 2010, conçue comme une évocation de l'oeuvre du peintre Soulges, de son "outrenoir", réverbération de la couleur dans les ténèbres de l'obscurité de la matière noire.
Quelles seront les connivences, complicités entre la musique et la toile tendue accrochée aux cimaises, qui réfléchit cette lumière d'outre monde, ce noir si riche et multiple, délivré par le plus "jeune" des peintres d'aujourd'hui! Cette "oeuvre au noir" démarre par des sons secs, bruissants, des vents languissants: dense, riche, la matière sonore vibre dans ses compositions, partitions de couleurs noircies par les tumultes étourdissants joués par toute la formation musicale, en bloc, soudée, compacte. Puissance éruptive, plissés d'une tectonique volcanique, la lave éclate en salves et projette sons et résonances: à la manière d'un scintillement de matière éclatée. Un attirail de percussions étonnant, impressionnant à l'appui pour rendre les profondeurs du noir, plus denses, plus sombres. Jaillissements, éclats, tem^pete, flambée et chaos s'installent , volumineux flux de musique.
Par touche, par couche de matière en relief, avec ombres portée et rayons lumineux, tracés sur des jachères , paysages éprouvés, abstraits Des envolées telles celles décrites dans ce" petit livre des couleurs" de Michel Pastoureau et Dominique Simonnet:le noir "mat", inquiétant,peu brillante du "niger", le noir d'origine. Couleur "sérieuse" grave et savante comme la musique de Posadas. Et Goethe de souligner dans son "Traité des couleurs" la polarité entre clair et foncé, les contrastes et les intensifications liées au noir qui génère des dominantes dans une démarche très intérieure.
Musique, peinture, une couche de son, des coups de pinceaux, une gestuelle très organique, des corps qui vibrent devant nous pour interpréter cette "composition" haute en couleurs!

"Anamorfosis" dans la foulée, une pièce de 2006, fait résonner le piano, les vents, graves et intenses.
Pièce solennelle et pesée où se révèle la finesse des cordes et le très beau dispositif des percussions niché au chœur du cyclo blanc.Peuplée de chants d'oiseaux, d'affolements et divagations musicales, de trombes de sons diversifiés qui envahissent, submergent, recouvrent l'espace.
Un coup fatal, des spirales virulentes, des tornades ascensionnelles: l'univers est perturbé , chaotique, tumultueux, ébouriffant!
Impénétrable univers, affolant que cette oeuvre, disloquée, renversante.Musique à l'écriture savante mais pas impénétrable, manifeste architectonique des sons comme les réalisations de Frank O Gehry:
tout bascule, se rattrape, tient à un fil cependant solidement ancré qui construire un édifice insolite et géométrique!
Dernière oeuvre de la soirée"Oscuro abismo de llanto y de ternura" de 2005 démarre par un coup de canon, des sons languissants de gisants, de mourants. La guerre est déclarée: roulements de tambour, cymbales, hautbois en fureur: le son s'étire, se répand, fond. Ca fuse, en fusion continuelle,, chatoyante: vols d'oiseaux, criquets, éphémères prennent possession de l'espace en envolées: stridences des cordes, crescendo étouffant, asphyxiant pour celui qui assiste à ce déferlement de bruits et de fureurs condensés. Comme un monument qui s'ébranle sous la pression d'un tremblement de terre, d'un séisme inattendu: tectonique, équilibre instable s'installent cependant Alors que des avalanches chutent et déversement leurs scories: musique sismique, archéologie d'un futur musical qui remue et évoque le mur du son. Aérodynamique qui étreint , rapte et capture l'auditeur, dépossédé de toute référence: subjugué!La guerre en Irak, ainsi évoquée est bien sombre et abyssale....Le Noir en figure de proue...