samedi 1 octobre 2016

"ElectroA": eRikm récidive pour un concert électroacoustique puissant. La danse de l'établi. Félin pour l'autre.


Musicien improvisateur, compositeur et plasticien, inclassable, iconoclaste bâtisseur d'univers sonores incongrus, inouïs, le revoici sur la scène du festival Musica à la salle de la Bourse, encore bien pleine pour cette fin de soirée, cette ambiance quasi noctambule
A l'établi, seul, devant nous, un homme au travail, aux platines pour forger le son, du feu de ses matériaux sonores, des flammes de son inspiration
Alchimie au programme de cette soirée tardive, onirique et inventive.Un attirail de rêve: curseurs, boutons et autres accessoires indispensables pour habiller, revêtir la musique dans un costume haute couture, sur "mesure": fait main, fait maison! Pour coudre les sons entre eux et en découdre avec une image figée académique de l'électroacoustique. Du neuf, pas du prêt à porter standardisé.
Il triture le son, vrille, se torsionne: il danse sa musique tout en la créant, lui donnant vie
Son corps, a vue se donne et la dépense fait recette à la vue de ce labeur , cet artiste infatigable qui choisit ses sons et bruitages enregistrés sur CD tout blancs, en rangée à ses côtés
Ses complices qu'il va mettre en boite et laisser expulser sons et rumeurs pour jouer des ambiances, des atmosphères multiples.Joli compagnonage en direct, complicité entre musique préparée et sonorités induites en improvisation par l'inspiration du moment
Atmosphère de tarmak, bruissements et décolage d'avion seraient identifiables, voix parsemées sur le fil de l'audition, menée à l'aveugle par celui qui écoute et regarde fasciné: le spectateur-auditeur!
Il y a bien un pilote dans l'avion, aux commandes: le tableau de bord comme pupitre; derrière il parcours un chemin en circulant, gracieux ou brusque, animé de mouvements singuliers, coupés courts, hachés, cinglants, vifs argent
Félin pour l'autre!
Chorégraphe et danseur de l'électroacoustique eRikm n'en fait qu'à sa tête, mains doigts et poignets en extrême tension pour mieux distordre et malaxer le son de ses membres pas fantômes!
Sur son clavier, il touche, dénote, percute et catapulte les sons, s'étire simultanément, se recroqueville, s'élance, ramassé, prêt à bondir comme un félin
De ses pelotes, comme un chat il frôle son instrument acoustique et sur la brèche invente et crée des ambiances ludiques, étranges ou oniriques
On y plonge allègrement dans ce bouillon cette "bouillabaisse" (on baisse le feu quand il bout), cette "ratatouille" (on rate sa touille) divine, emportée par les saveurs du quotidien transcendé par l'alchimie de "ElectroA": oui, on "m", on "adore" eRikm!
Un maître queux aux fourneaux, un forgeron à sa console, un fabricant dans sa toute petite entreprise de grande envergure sonore.Un danseur allumé, illuminé et radieux, enfant pas sage, funambule distingué comme Rimbaud: "j'ai tendu des cordes de clocher à clocher; des guirlandes de fenêtre à fenêtre; des chaines d'or d'étoile à étoile et je danse (les illuminations)
Un indisciplinaire en diable.

vendredi 30 septembre 2016

"Foxtrot Delirium" ciné concert en humour noir et blanc


La Princesse aux Huîtres" 1919 de Ernst Lubitsch, orchestré par Martin Matalon, voilà le programme de ce ciné concert décapant à la Cité de la Musique et de la danse. Aux côtés de Ars Nova ensemble Instrumental, dirigé par Philippe Nahon. Belle initiative que ce temps plus "divertisant", ce film court en quatre parties dont l'histoire truculente, charme et emballe dès la première image
Galerie de portraits des protagonistes, sotte en diable, caricaturale un brin et saugrenue comme le ton  général de cette comédie qui gigote, frénétique et enjouée tout du long
L'intrigue est conduite d'un rythme hystérique, rehaussé par les saccades de la projection des images
Histoire débridée de mariage forcé, satire d'une société industrielle ruinée aux Etats Unis; les héros sont ceux d'une comédie satirique débridée où une scène d'épidémie de fox trott lors du mariage, est un sommet visionnaire: dans les cuisines, tout le monde s’agite frénétiquement, en plongée: un paysage surréaliste de société en délire! Et pour renforcer ces tonalités de montage, découpage, ses plans larges ou serrés, la musique de Matalon, légère, de petites touches ravissantes, la harpe brodant des ornements subtils à cette cavalcade festive, drôle et pleine d'humour!
Soirée décontractée à l'auditorium où les places se font rare tant la popularité du ciné concert devient chose acquise au festival Musica


"My Rock" de Jean Claude Gallotta: rock in chaire,pour tous!


Jean Claude Gallotta, l'arpenteur des territoires nouveaux de la danse depuis belle lurette, revient avec son "My rock" chorégraphie de 2004, revue et corrigée en 2015: pour d'autres corps, d'autres danseurs et lui_même
Hitchcock de la scène, faisant de courtes apparitions à la Jacques Tati pour voir si tout va bien dans l'ordre et le désordre de ses petits bougés tétaniques ou ses grandes envolées, dévoreuses d'espace!
Mathilde Altaraz à ses côtés, compagne de vie et de scène, membre du Groupe Emile Dubois, cet étrange personnage inconnu au bataillon qui parle kreul, ou susurre des onomatopées, éructe ou sautille de joie: comme il vous plaira!
Souvenirs, souvenirs, radio nostalgie et c'est parti!


Le rock, c'est quoi, ça veut dire quoi? "Faire l'amour" nous confie la voix enregistrée du chorégraphe, suspendue aux cimaises
Plateau nu, noir réverbérant la lumière des danseurs, sculptures vivantes et animées pour cet architecte du plateau, cet alchimiste des espaces jamais vides, habités par des énergies, ici galvanisées par le phénomène Rock'n'roll!
"Son rock" pas celui de n"importe quel fan, auditeur adict ou survolté
Celui de son compagnon Yves P. auquel il rend hommage: ce rocker local de Grenoble, disparu trop tôt et qui lui a transmis l'envie de découvrir et de vivre l'aventure du rock, tout court.
Celle des prêtres qui dansaient dans les églises sur l'autel au son des gospels noirs; Elvis, le mythe va en surgir, blanc de peau pour ne pas avouer que l'art aux USA est noir, "niger"!
Gallotta trie, sélectionne et choisit certains morceaux, ceux que l'expérience du plateau n'a pas rejetés Car l'offre esr pléthorique pour cet enfant du rock qui travaille paradoxalement sans musique avec ses danseurs à la manière de Cunningham Regarder le son, écouter la danse:vivre en visionnaire les propositions du démiurge Gallotta sera la tache de ses douze danseurs
Stylés, bondissants, dévoreurs d'espace, se donnant à fond sur chaque morceau choisi de Elvis à Nirvana, des Beatles muets à Patti Smith
Les duos sont sa marque de fabrique, à fleurs de prise comme des bergers qui s'attrapent, jouent, s'étreignent, s'enlacent sans se lasser.
Animaux sauvages, "Lézards" pour  Iggy Pop, jeans pour Dylan, duo toublant pour Lou Reed...
De l'énergie à l'état pue, une abstraction dans la construction ou chacun est électron libre et contraint, interprète virtuose de mouvements simples mais enchaînés à perdre haleine
Erotisme des chemises ouvertes , baillant au vent, dévoilant peau, souffles et respiration
Noir et blanc pour évoquer des univers où la mort rode, plane dans les excès de tout genre d'une génération de musiciens survoltés, émus par le trop plein de vie à expérimenter
Ils ont presque tous perdu la vie en se la retirant, alors que Gallotta et sa tribu prouverait le contraire: ne pas "perdre sa danse", son corps, véhicule, passeur et vecteur d'énergie vitale
Un manifeste à suivre de près pour de prochaines aventures: le rock au féminin?
Pour celles qui vivent encore, plus en douceur et profondeur les accidents et expériences extrêmes de la vie: Patti Smith et autre Nina Hagen, Guesch Patti....

A bon entendeur, salut, Festival Musica: le message est passé et le public du  Point d'Eau, ce soir là à Illkirch ne le démentira pas envahissant le plateau pour un dernier rock collectif, Gallotta au micro, ce Godard de la danse, pas près de nous quitter pour partager cet "être ensemble" qu'est la danse, sa danse! Et mouillez, déchirez votre chemise! La chair est joyeuse, abstraite aussi malgré l'extrême présence charnelle de ceux qui la fabriquent devant nous, au travail: comme le rock, passionné, entier, abrupt, féroce et sans indulgence!
Une autobiographie chorégraphique politique et poétique de belle envergure.