lundi 3 octobre 2016

"Trio Catch: ça va boxer sur le ring de Musica.: musique à catch cache!


Musique de chambre, matinale ce dimanche à l'heure de la messe ou du brunch collectif musical, salutaire habitude du Festival
Cinq œuvres au menu, des entrelacs entre classique et contemporain, pour ce fameux trio féminin, suisse-hongrois et coréen, nouveau venu au festival
Bienvenue donc sur la planète ou le ring, pour un match, une confrontation public, œuvres du répertoire ou fraîchement émoulues.

"Chrysanthemum" de Vito Zuraj de 2014, oeuvre discrète, en collier de perles fines, pincements furtifs, où la clarinette basse répond au piano percutant. Chiquenaudes et chatouillis, frappements, toquades, claquement du piano, mobilier convoqué pour l'occasion en percussion délicates. C'est surprenant, instantané, en suspension, en alerte. Sons de "bois" de l'instrument devenu insolite émetteur de piqués, frappés, comme des avancées successives, par petits bons, rapides, nets, précis puis qui se meurent imperceptibles dans l'espace qui se tait
"Vertical Time Study1 " de Toshio Hosokawa de 1992, suivra, pièce où l'on plonge subitement, dans la sirène de la clarinette, la fluidité des sons, leur érection qui éveille, amplifie et fait grandir, pousser la musique comme une plante en devenir. L'espace s'y étire, longiligne, la rapidité, dextérité de l'exécution, en sautillés, rebonds lui confère un caractère fougueux, un tempérament de feu comme dans un match, combat entre trois instruments, sans arbitrage sur le ring!
 Forte présence de la clarinettiste virtuose, résonance du piano en langueur qui s'avance. Mouvements et tracés se répondent. Du punch, du tonus pour ce trio féminin qui n'a rien de dentelles ni falbalas.
"Assonance III " Michael Jarrell de 1989 succède, surprenante, enveloppante: on s'y projette et propulse d'emblée, puis l'aspect solennel et soupesé progresse comme une marée: il pose l'ambiance, campe l'atmosphère, recueillie, respectueuse.La musique se déroule, sourde, grave, résonante,hésitante, en suspension, pétrie de suspens puis de secousses animées, troubles semés dans cette quiétude installée.Des accélérations virtuoses pour s'emballer, s'enflammer, une course poursuite, haletante: une riche épopée du rythme et du son!
"Sahn" de Christophe Bertrand de 2006: lente balade, déambulation qui progresse dans l'espace, limpide, lumineux. Ça fuse, éclabousse, en alerte, allègre, la clarinette dans le grave, le piano, déferlant.La délicatesse de la musique de Christophe Bertrand apaise, repose, raffinée, légère en lents decrescendos puissants.Un univers aquatique s'en délivre, en perles de pluie, en reflets d'eau, réfléchissantes, gouttes de musique: calme, repos et méditation à l'appui, envol vers un ailleurs, d'autres galaxies.....La chute finale du piano met fin, définitivement à la rêverie.....
"Wasserzeichen" de Johannes Maria Staud de 2015 délivre des sons en alternance, puis la musique envahit l'espace, le comble.Alerte, tonique, puissant galop, clarinette base en avant!Pleins et déliés de nuances et modulations, bouleversements et ruptures, glissés et passation du son d'un instrument à l'autre: la pièce propage les sonorités, diffuse le son et bouleverse.
Le trio Catch a fait mouche et sans arbitrage on lui donne le trophée des Trois Grâces du Ring
Belle prestation matinale qui propulse et opercute pour la suite du programme de la journée du Festival Musica


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"Donnerstag aus Licht": Stockhausen opére à Bâle: la semaine des quatre jeudis lumineux, démesurés de l'opéra fleuve: Donnerwetter!.

Voici le Sinfonieorchester Basel aux prises avec un opéra en trois actes, un salut et un adieu, sous la direction de Titus Engel
"Musique, livret, danse, actions et gestes" du très grand compositeur!
Un Stockhausen visionnaire, démiurge de l'avant garde européenne pour une oeuvre de 1981


Au Theater Basel, l'ambiance est à la curiosité, à l'impatience de découvrir ce long opus, oeuvre fleuve avec ses 7 jours de la semaine, comme motif et livret.
Mais quelle mouche a piqué Lydia Steier, metteur en scène,quel démon s'en est emparé pour en faire une oeuvre quasi grotesque, fantastique et bariolée? D'emblée la position du spectateur est inconfortable:lors des "saluts", comme entrée à ce plat de résistance, cinq heures environ,  nous serons dans le hall du théâtre, bien serrés les uns les autres, solidaires de l'histoire étrange qui nous sera contée. musiciens affublés de perruques fluorescentes, chef d'orchestre relax et quelque peu dérouté: l'ambiance est soft, relâchée, très cosy. Musique introductive pour amuse bouche; on passe aux choses sérieuses dans la grande salle: sur la scène tournante tout s'anime: protagonistes dans des costumes de Ursula Kudrna qui seront tout du long des objets visuels à part entière, décor et accessoires très présents
Le dispositif scénique, sorte de grand contenant circulaire, bâti en hauteur, délivre trois personnages, marionnettes aux têtes de papier, convoitant un gâteau d'anniversaire; leurs doubles vont chanter tandis qu'ils dansent et miment le récit
Histoire rocambolesque, pleine de coups de théâtre durant les trois actes: la vidéo de Chris Kondek poursuit le travail d'orfèvre de la scénographie: portraits surdimensionnés, projetés sur les bords du dispositif volumineux, effets de graphisme mouvant, très cinétique qui rappellent la touche de Paul Klee qui lui aussi se passionna pour les Anges. Car il s'agit bien de  Michael, de Lucifer et de la tendre et dépossédée Eva qui seront les piliers de l'action théâtrale, campés par de solides chanteurs aguerris à une partition gymnique et gymnopédique pour ces voix entre chant et sprechgesang!
Le voyage de Michael , archange mythique, le mènera à travers le monde vers la semaine des quatre s "jeudis", lumineux, révélateurs.
Trois actes, trois décors, trois ambiances quelque peu fantasques, absurdes, kafkaïennes en diable pour évoquer un univers bizarre où les destins avancent à coup de cravache, de feu, à coup d'étrier sur un cheval de bois, à coup de camisole de force, pour l'atmosphère d’hôpital psychiatrique du second acte
Tout fait ici office de bombe à retardement, chacun s'exhibe, s'expose, cible fragile d'une destinée préconçue. Le monde, le cosmos dictent leur sort et ils se débattent en vain dans une liesse, une ambiance tonitruante qui dépote.
Très cinématographiques aussi ces tableaux à la Griffith, la "Naissance d'une Nation"création du monde, référence affirmée lors du lever de rideau de l'acte trois. Costumes gris métallisés, personnages grotesques manipulés, scène tournante à l'envi pour un manège enchanté, vecteur et révélateur de curiosités comme une lanterne magique ou quelques scènes à la Mélies
La vidéo" immobilier" à la Name June Paik pour clore le chapitre très arts visuels de cette mise en espace est révélatrice des sources et influences de cette oeuvre, sorte de déus ex machina
Mais est-ce bien l'esprit de Stockhausen qui plane là?
Visionnaire, loufoque, endiblée, cette version indisciplinaire, séduit hors réflexion sur le genre de musique savante, triturée par la vision rocambolesque, abracadabrantesque qu'en livre Lydia Steier
Revue et corrigée comme un show rutilant quand un défilé de costumes somptueux, galerie de mode, défilé d'une collection à la Fellini Roma, amuse, détend, divertit
Plumes et strass, cygnes noirs et blancs, gigantesque gâteau d'ou surgit un tromboniste travesti...Folies Bergères ou cabaret Voltaire,entremets médiéval ou tout délire est possible....Multi genres, multimédia très compact et cohérent, ce spectacle visuel est matière, lumière cinétique
Fait d'entrelacs de styles pour déranger, déplacer, déstabiliser le genre "opéra" moderne ou contemporain; une danseuse y dissémine de petits gestes des bras et mains, chorégraphie discrète de Emmanuelle Grach et vient ponctuer l'opéra, réminiscence légère d'envols angéliques.
Stockhausen eut été séduit dans cette déroute sempiternelle qui nous le fait appréhender, côté mystique, côté secte ou rosicruciens: ses héros sont de pacotille ou de paille malgré leur symbole: berger, anges sataniques, bonnes fées ou diablotins, chérubins rebondis, suspendus dans les airs: on est presque dans "le congrès des chérubins" de Juliette: on y proteste, on y revendique, on y subit son sort dans un délire libérateur comme une journée de carnaval ébouriffant
L'essoreuse magistrale , machine circulaire, tambour  à laver et broyer les hommes qui fait office d'architecture au second acte en atteste: on passe à la lessive les destinées, on les blanchit , ou l'on évite de les décolorer
En ressort un joyeux bazar de luxe, grosse production aux nombreux collaborateurs
Aux saluts sur la scène, se presse ce petit monde qui nous a enchantés cinq heures durant
Une fin sur le parvis du théâtre, un salut, des "Adieux" et aurevoirs des musiciens disséminés dans l'espace urbain, nous bordent de leurs résonances cuivrées, de vent et de langueur
"Le Saut de l'ange de Pascal Dusapin" en mémoire, me hante.....

dimanche 2 octobre 2016

"Jeunes talents, percussion et électroacoustique": atelier-concert à Musica.La baguette magique de Percustra!


Passionnante expérience participative et interactive de terrain que cet atelier, avec la participation d'élèves du collège des Septs Arpents de Souffelweyersheim, du collège Erasme de Hautepierre, suivi par François Papirer. Que des amateurs éclairés, arpenteurs d'aventure  non professionnelle, catapultés dans le monde ultra exigeant de la musique d'aujourd'hui!
Challenge, pari audacieux, expérience salutaire pour se confronter à l'excellence qui n'est pas réservée qu'à l'élite bien pensante Quartiers libres pour public et interprètes inoxydés!
Une création mondiale de Thierry Blondeau "temps libre" ouvre le bal
Un jeune homme rentre en scène, il dessine sur le mur du cyclo, sa musique, balaye du maillet la surface qui résonne, sonore, curieusement: Faire de la musique avec le "mobilier", l'"immobilier", à la recherche de sons nouveaux que chacun peut créer, reproduire et noter dans une écriture que l'école Percustra privilégie
Deux autre protagonistes dissimulés dans la salle se prêtent au même jeu: contagieuse, la découverte !
Puis comme autant de dessins , de calligraphie sonore, se tissent dans l'espace une vaste fresque visuelle et sonore. Dialogue entre grosse caisse, devenue toile tendue et tapis chantant: tout est prétexte à musique, tout est musique.Un petit groupe d'enfants se joint à ces magiciens du son, pour un cercle chamanique, bruissant: merlin l'enchanteur est passé par là. Rituel de percussions élémentaires mais très "proprement" et justement utilisées: ici, on ne triche pas: on fait ce que l'on a apri et surtout ce que l'on sent, qui vient de soi . Belle pédagogie, ouverte et partageuse que cette "école"pour tous.
Sons en cascade, qui s'écroulent comme un château de cartes, hyper synchronisé, instruments touchés du bout des doigts Une bonne écoute collective fait de l'exécution de cette pièce, un petit manifeste de "bonne conduite" inspirée, vécue sans trac apparent par ces jeunes amateurs.Très concentrés, sourires aux lèvres parfois, même lors du très beau crescendo, scansion finale avec intrusion de rythme répétitif. Du bel ouvrage.

Percussions et nouvelles technologies;de l'Atelier et réalisation sonore de  Minh-Tam Nguyen, et Olivier Pfeiffer, nait "H1", une pièce qui démarre par des déplacements dans l'espace d'un quatuor: petite géographie, circuit résonant des pas qui prennent des options musicales: direction, décision, intention: très chorégraphique cette "démarche" solidement accompagnée par un solo de percussion, exécuté par un non moins solide, imposant et charpenté interprète massif qui semble s'éclater littéralement dans ce jeu de corps, de main, frappant sur la peau du monde!
Métamorphose et sublimation du musicien qui transcende son "moi" pour servir la musique.
Introiduction et perturbation d'une bande son enregistrée pour semer le trouble, inventer un jeu gestuel; les cinq interprètes sont convaincants, à l'aise dans leurs évolutions dansantes et percutantes
Après un bref interlude, entremet où les professeurs enseignants et compositeurs exposent la philosophie de Percustra, on termine avec une ouvre de Aurélien Marlon-Gallois "F.A.T.E.2", en création mondiale s'il vous plait!
Quoi de plus valorisant pour tous ceux qui participent à cette expérience pédagogiqie, façonnée dans la durée, la confiance et l'apprivoisement de la musique et de ses "anti-codes"
Electroacoustique au poing pour se familiariser avec les tendances actuelles de la musique en temps réel, plonger dans le concret, se coltiner la création, ses phases d'apprentissage, ses instants bénis du partage en concert, en vrai prestation de haut niveau dans un festival prestigieux
L'ordinateur comme compagnon de console, de table de mixage, ou le simple corps de chacun mis à contribution pour faire sonner et résonner sons et merveilles
Cet après-midi là à l'Auditorium de France 3 le public découvrait l'aisance et la pertinence d'un enseignement fructueux, humain et ouvert à ce siècle nouveau de musique ébouriffante de technicité et autres artefacts.