mercredi 5 avril 2017

Anne Théron:"Celles qui me traversent": Aqua rêvent les méduses?

Dire un sentiment fugace, bref, intense, inexpliqué, affronter sa part d’ombre. Auteure, metteure en scène et réalisatrice Anne Théron, s’est prise au jeu dans Celles qui me traversent. Une pièce organique qui met en scène la parole et le féminin dans un croisement inédit entre le mouvement dansé et la chair des mots.
Suite à son précédent spectacle, Ne me touchez pas, présenté au TNS en 2015, une passionnante revisitation des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos du point de vue des femmes – Anne Théron s’aventure dans un autre espace. Celles qui me traversent poursuit un double motif de réflexion autour de la voix et des mondes du féminin. Après avoir interrogé les statuts de la femme, politique, social, religieux, la metteure en scène aborde aux rives de son identité multiple, et cherche à travers corps et mots, les phénomènes invisibles de sa logique émotionnelle.
Issue de la littérature, du cinéma et des arts plastiques, Anne Théron pense d’abord le plateau en termes d’images et de sons. Pour cette création, elle a filmé quatre femmes et leurs mots naissants à partir d’attrapes-fiction et s’est elle-même immergée dans l’écriture. Elle a aussi confié à deux danseuses aux qualités singulières, Akiko Hasegawa et Julie Coutant, la part des corps et son imaginaire. Celles qui me traversent se présente comme un objet visuel et sonore aux images et textes fragmentaires où vient se fondre le duo dansant traversé de multiples visages. 

Un rideau de fils éclairé, comme une cascade de perles de pluie qui glisse doucement au fil de la chaîne d'un métier à tisser surdimentionné.Des mains en surgissent, défient les failles et se jouent des fibres vivantes de cet organisme géant, sorti des mers .Des bribes de corps se dessinent dans ces entrelacs arachnéens: il pleut des cordes et sur celles d'une contrebasse, se déchirent des sons alanguis, résonnants. Deux danseuses se glissent et traversent les flux aquatiques, telles deux passe-murailles entre les interstices de cette toile de soie scintillante.
Au sol, sur fond de tapis blanc se dessinent des zébrures de lumière. Sur demies-pointes, comme des araignées de mer, brachidées hybrides, elles dansent, elles avancent ou se meuvent de côté.Tentacules, méduses gracieuses, rêveuses, elles ondulent ou tranchent l'espace multidirectionnel. Crabes, à quatre bras, à quatre pattes, animal fantastique.
Complices, consœurs dans cette aventure spatiale très aquatique, renforcée par des sonorités off, savamment recherchées, évoquant le monde de l'eau, feutré, silencieux aussi.Enlacées, furtives les deux femmes, sobrement vêtues, dévoilant deux corps lisses et athlétiques, se lovent, fondent  dans des bercements fusionnels: repos langoureux sur la plage, sable chaud, matières à se laisser aller à la jouissance du lieu: échouées près de la mer, de l'onirique vision d'un tableau à la Salvador Dali: luxe, calme et volupté.

Elles jouent avec la chevelure grandiose de cette fresque lumineuse, colorisée comme un film de Loie Fuller, plasticienne de la lumière et de l'air. Un aspect ethnique que ces immenses franges échevelées qui laissent les corps les caresser, les ouvrir, les entrebâiller. Érotisme de ce qui se cache, se laisse à peine entrevoir, dissimulé dans cet entre deux, cet ob-scène espace du désir.Comme de logs cils qui s'ouvriraient pour dévoiler l'iris d'un oeil tout droit sorti du "Chien Andalou" de Bunuel. Reflets dans un œil d'or, la chorégraphie de Anne Théron voyage dans l'intime surréalisme d'une toile de Dali. Quand comme dans un rituel, les deux femmes traversent les tentacules de cette méduse gigantesque, la femme qui danse, c'est celle de Paul Valérie avec ses longs cils translucides, vaporeux, érotiques en diable qui se soulèvent et baillent à l'envi. Les corps solaires, extatiques, offerts de ces deux femmes fascinent et entraînent au plus profond d'un inconscient aqueux, fébriles, versatiles, futiles, vibrants comme les électrons libres de l'image vidéo: lèvres et mains en graphique dessiné sur les fils d'un tissu sans chaîne où tout se trame et s’enchaîne à loisir. Quelle félicité dans ces évolutions ludiques, sereines: une offrande à la beauté sur l'autel de la chair joyeuse et retrouvée.Les sons chuintent, murmurent comme chez Varda, glaneuse furtive d'images.....Le kiné-ma s'émeut , réjouissant et lumineux!

."Celles qui me traversent" à Pôle Sud les 4 et 5 Avril

La frite en dansant, léger !




"Baal": à blanc !


A propos de :"Baal est la première pièce du dramaturge et metteur en scène Bertolt Brecht (1898-1956). Elle décrit l’errance existentielle d’un poète qui ne se soumet à aucune règle sociale, s’enivre de schnaps, de sexe et de poésie. Christine Letailleur a choisi de monter la toute première version de la pièce, écrite en 1919, avec toute la fougue et la révolte du jeune Brecht alors âgé de vingt ans, au sortir de son expérience de la guerre. 

Après avoir présenté Les Liaisons dangereuses au TNS en janvier 2016, Christine Letailleur crée Baal avec, dans le rôle-titre, Stanislas Nordey. Elle l’avait déjà mis en scène dans plusieurs pièces : La Philosophie dans le boudoir de Sade (2008) et des œuvres d’auteurs allemands du XXe siècle dont la dramaturgie la passionne : Pasteur Ephraïm Magnus de Hans Henny Jahnn (2006-2007) et Hinkemann de Ernst Toller (2014). Pour cette création, elle retrouve de fidèles compagnons de scène ainsi que de jeunes acteurs issus des écoles du TNS, du Théâtre National de Bretagne et du Conservatoire de Liège. "



Fougue, verve, déferlement de luxure, débauche et plaisirs de toute sorte, ce "Baal" est une résurrection païenne du spectacle d'origine, celui de Brecht, perdu, égaré dans une jungle dont il aimerait bien être le maître, le tyran, le bourreau des cœurs meurtris par une condition sociale amère et cruelle: celle des bas-fonds, celle où le corps des femmes est objet, trituré, violenté, irrespecté, manipulé.
Dans cet enfer, un décor sobre aux éclairages savants, les hommes naviguent tous pétris de désolation et sans espoir aucun: même la chair y est triste: est- ce la volonté de la metteure en scène que de rendre une atmosphère lugubre, alors que Brecht dans sa volonté de magnifier le désir et le plaisir souhaitait sans doute délivrer un message de distanciation moins fade, plus violent, rageur et animal, voire bestial en diable.
Stanislas Nordey incarne ce personnage cynique, trompeur et meurtrier, avec conviction, mais sans grande envergure dramatique: il faut croire en Baal comme en un être sans remords ni regret, compulsif et ravageur, à fleur de peau et de chair fraîche!
Oser l'insoutenable surtout de cette diatribe sociale qui contient en son sein toute l'oeuvre de Brecht, excepté la musique! Pas de divertissement, ni de pause pour cette course folle à la mort, à la destruction irrévocable d'un héros déchu qui va brûler sa vie sur l’échafaud d'une mezzanine enflammée: très belle vision plastique finale pour clore cette odyssée du désastre humain, de la décomposition d'un ivrogne, alcoolique qui brûle sa vie dans la douleur, pas le plaisir!
A mon souvenir Baal n'est pas beau physiquement mais sublime séducteur qui détourne les femmes, les aime et les initie à la jouissance ,la sublimation totale de l'amour non pas transcendé mais charnel et la maman n'est qu'un rabat joie ! Anti bourgeois ,il transgresse les lois ,une pièce de jeunesse de Brecht qui annonce Mutter Courage ,la femme forte indépendante qui traverse monts et marrées  il y a quelque chose de Fassbinder ,ce sont des hommes qui divinisent la femme ...
De la bouteille en plus et de l'audace encore pour affirmer sans rester désabusé, le destin d'un humain criblé de tares qui parfois émeut et parvient à nous séduire dans des repoussements salvateurs: on voudrait s'échapper par ce trou, emballé par la faute diluvienne qui frappe et habite ce personnage, monstre hors norme, généré par une société sans appel ni rémission possible.Assailli par le démon charnel, la vanité et l'impuissance de s'en démettre! Ce bal de la danse macabre reste vain et sans la terreur requise pour brosser le portrait d'un enfant de la balle.
"Baal" au TNS jusqu'au 12 Avril