samedi 13 mai 2017

"Rocco" :Quatre boules de cuir pour l'Or du Ring


Emio Greco et Pieter C. Scholten au zénith de leur imagination pour cette évocation transgressive d'un chef d'oeuvre du cinémla "physique", engagé, fort et sans concession!Avec Rocco, les danseurs deviennent des boxeurs et les boxeurs, des danseurs. La scène se transforme en ring sur lequel ils se défient à coups de poing, de jeux de jambes rapides et de tactiques virtuoses. Ils représentent l’amour fraternel sous toutes ses facettes : le bon et le méchant, l’ange et le démon, l’androgyne et l’incestueux, Caïn et Abel, Romulus et Rémus, Laurel et Hardy... Librement inspiré par leur souvenir du film de Luchino Visconti, Rocco et ses frères (1960), la pièce donne également à voir des comportements physiques et psychologiques extrêmes. Dans ce combat au corps à corps, les rapports sont exacerbés et les interprètes partent en quête de leurs limites physiques et mentales.



Ils sont déjà sur le ring, sur le plateau de Pôle Sud pour continuer la soirée "cinématographe" du jour!
Deux boxeurs, mains nues, torse nu et short bleu et rouge.
Un faiseau de lumière, comme une douche pour les sculpter dans un petit espace réduit qui les manifie. Corps célestes d'anges de l'anatomie, colonne de sculptures qui vont s'animer, galvanisées par des percussions et une écriture chorégraphique au plus près des corps, des muscles, de la peau, des regards
Deux Mickey, de noir vêtus seront les arbitres engagés de ce singulier combat, à fleur de prises. Jeu démoniaque que celui de ces deux diables, satans du ring qui orchestrent et maîtrisent les faits et gestes des boxeurs dans leur arène carrée, vus de tous côtés, cibles fragiles, talons d'Achille précieux et vulnérables proies du ring et du public.
Danse glissée, frottée, demi-pointes, moulinets graciles,inspirée du vocabulaire classique, des pauses emblématiques, de la grâce inhérente à des mouvements lovés, vrillés, Corps glorieux durant les esquives, sensibles, sensuelles du nouveau couple qui va prendre le relais des deux boxeurs après une pause dantesque sur le "Paroles, paroles" de Dalida! Un moment croustillant d'entracte de cinéma pour les bonbons, esquimaux et chocolats généreusement lancés sur les spectateurs! Sans "relâche" et sans faille.

De libres arbitres
C'est beau à en être ému, en empathie constante avec ces deux héros du ring qui se dévêtissent peu à peu, de la cagoule noire menaçante, au collant juste au corps seyant, offrant au regard les corps glorieux du sport magnifié par la danse.Bestiaire fantastique, chimères de cathédrale et anges de pilier quand les quatre protagonistes se rejoignent dans un faisceau de lumière divin. Venus du ciel, ces héros du ring évoquent un univers hors du commun entre dramaturgie fine et tonique et énergie débordante, muselée par les cordes du ring, parfois transgressées, franchies pour mieux y retourner, fatalisme et règles du jeu à l'appui
Dans "un libre arbitre" assouvi, assumé, revendiqué, dans une gestuelle feutrée, éprise de liberté dans des étreintes fabuleuses, charnelles, sensuelles à souhait.Les esquives, enroulées, déroulées dans des souffles et halètements contagieux, sur des musiques autant baroques que disco, sur une bande son riche d'émotions, d'e-motions qui touchent et font se dérober nos repères..Celle signée de  Pieter C. Scholten.....
Un moment rare et unique partagé avec un public enthousiaste, transportant nos quatre héros au zénith du succès sportif, performance athlétique menée au sommet du divin, là où tout semble se métamorphoser en art vivant.
De chair et de sang, de force et de raffinement.
Difficile de quitter le ring sans autographe!

A Pôle Sud les 11 et 12 Mai dans le cadre de EXTRA DANSE

"Bienheureux sont ceux qui rêvent debout sans marcher sur leur vie": bienvenue à Nanarland !


"Construire « à vue » un spectacle burlesque et onirique, donner à voir la machinerie d’un spectacle sans rien perdre de sa magie, tel est le pari fou de Boris Gibé et Florent Hamon, danseurs et circassiens faiseurs d’illusions.
Bienheureux… est un projet singulier dans lequel arts chorégraphiques, cirque et arts visuels se croisent de manière ingénieuse et innovante. Les deux protagonistes de ce spectacle poursuivent une idée folle : transposer l’écriture filmique sur un plateau de théâtre, sans aucun recours à la vidéo ou à la caméra. Ici tout repose sur les mille et une astuces qu’ils trouvent pour retranscrire le concept du montage à travers le corps, la lumière et le son.
Entre glissements inconscients, vertiges, pertes de repères, changements d’identité, les deux interprètes inventent un récit poétique fait de danse, de cirque et de cinéma. Se jouant de nos perceptions, ils nous entraînent dans la mise en abîme d’un rêve dont ils donnent à voir les rouages de fabrication."

Et voici donc pour la note d'intention!
Papiers gâchés!
On nous promet le Studio 28, La Pagode, Le Lucernaire ou la Metro Goldwyn Meyer, et nous voici sur "Le Radeau de la Méduse" à naviguer à la dérive,à vue, à perte dans une débâcle sans fin, sans queue ni tête! Consternante métaphore du "cinématographe" Septième art à respecter et sans doute pas "malmener" surtout en cette veille de Festival de Cannes... Deux escogriffes, costumes gris clair, pieds nus vont simuler une heure durant, qui semble une éternité, leurs rapports à l'art du mouvement et de la lumière. On nous montre un dispositif complexe de machineries qui vont et viennent, un cyclo blanc ou un écran tendu en toile de fond pour écrin à ce qui ressemblera à de la simulation sans cesse remise sur le tapis comme un mauvais comique de répétition ou de faux gags ratés. Volontairement bien sûr, on est pas dupes, mais pas des imbéciles pour autant. Mer de papiers journaux en tempête dans un verre d'eau, outillage et manipulation à vue par de petits bonshommes verts (tiens, des intermittents du spectacle!) Le cinéma peut être aussi un "nanar" et que voici un bel exemple: la danse y est absente et se métamorphose en gymnastique contact aérienne de basse gamme, les corps dialoguent par hasard ou à coup de clin d’œils faussement complices...La couleur vert fluo pour "porter malheur" à cette production vaseuse, qui mélange tout en salmigondis indigeste et agaçant: abrège, a-t-on envie de dire devant cette intervention de pause, ratage ou rattrapage de "faux semblant".Du papier mâché, qui tente d'être un partenaire, qui se froisse et s'insurge contre vents et marées....Laissez passer les p'tits papiers, ces poètes là, n'en ont pas !!!Papiers gâchés, mâchés, mouillés à essorer en machine d'urgence!
La pire scène , celle d'un micro qui chante face à un projecteur, et pas n'importe quoi s'il vous plait: L'air de la Casta Diva de La Norma de Bellini! On en remet une couche avec Dalida qui ne parvient pas à prendre son "envol": la réalité dépasse la fiction quand ils veulent nous parler du "processus de création"! Distanciation, humour, ironie, grotesque ou caricature? Rien même de toutes ces valeurs nobles du spectacle vivant et du cinéma! Tout y est pesant, redondant, bavard, prétentieux dans une indigence qui questionne: que fait ce nanar déconnecté dans l'audacieuse et courageuse programmation du festival EXTRA DANSE ?¨Parachutage? Dommage car la soirée "cinéma" populaire s'annonçait fertile et joyeuse! L'enfer du décor pour l'entrée, l'hécatombe et le ridicule pour mieux rebondir sur le spectacle suivant! S'il existait un "nanarland", ce mauvais film là, aurait bien la palme d'or ...Loin de la Quinzaine des Réalisateurs.....
Dans le cadre du Festival EXTRA DANSE au théâtre de Hautepierr les 11 et 12 MAI

mercredi 10 mai 2017

"FOLK-S, will you still love me tomorrow?": Sciarroni au Tyrol ! Haut les mains!




Hybrider une danse traditionnelle bavaroise avec un marathon, ça donne quoi ? Un spectacle étonnant, chorégraphié par Alessandro Sciarroni et intitulé Folk-s. Présentée en 2013 dans le cadre des Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis, cette pièce pour six danseurs remontés s'enracine dans le Schuhplattler, cette incroyable danse exécutée en short de cuir durant laquelle l'interprète se claque les cuisses, les mollets, les pieds en sautant d'une jambe sur l'autre. Ce qui était à l'origine, au milieu du XIXe siècle, une parade de séduction, devient ici un moteur de transe douce qui emporte les danseurs dans une ronde hypnotique. Tout à fait en adéquation avec la tendance actuelle « rituel et transe » qui agite la danse contemporaine, une expérience qui tatoue la mémoire.
Quand on entre dans la vaste salle du Maillon Wacken, ils sont déjà présents sur le plateau entièrement dénudé.Dans un rond de lumière blanche, un cercle d'hommes, une femme parmi eux, shorts, bermudas, bretelles, chaussettes très vintage,dans le silence, avec pour unique musique corporelle , la sanction des mains, des pieds frappant au sol en rythme agencé.Policé.Quelques cris pour rassembler, fédérer le petit groupe constitué pour l'occasion: le chef d'orchestre pour le "la", couvre chef pour chapeauter cette communauté rendus aveugle par un bandage des yeux.Contretemps, levées, mouvements carrés pourtant gracieux quand ils s'agenouillent, en chorus, à l'unisson ou en décalage, comme des pantins articulés, corps puissants, charpentés, athlétiques, quasi canoniques , musclés, colossaux. Un petit solo du chef qui tient la chandelle, gymnique mais aussi très sexy!En guise de consigne, un danseur annonce au micro que si l'on quitte la salle par épuisement, on y retourne plus! Danse savante, virtuose, codée, réglée et policée, on y frappe des gestes hachés, abruptes, saccadés en cadence.Les pieds freinent, crissent, martèlent inlassablement: irait on droit vers l'épuisement, la perte, la dépense sans compter?Sérieux, imperturbables, pince sans rire, comme une équipe de sportifs à l'entrainement en bataillon, brigade ou chefs de rang...Puis en ordre dispersé, par empilement successif, les voici qui déploient de petits sauts, de profil en file indienne. C'est savoureux et fascinant comme un paysage de petits moulins à vent qui s'agitent dans l'air sur une musique répétitive. Mécanique bien rodée, bien huilée, machinerie corporelle infernale en action.Comme un son de karcher sous pression ou de sablière, la musique prend le dessus sur les frappés. Stoboscopes pour réhausser l'aspect sysmique et tectonique de la gestuelle. Un petit questionnement entre les protagonistes avant de reprendre: pas de révolte ni de révolution, d'insurrection : pas de faille nid'erreur, on répète sans cesse, on remet le travail sur l'établi, la tache sur le plateau.Ni rupture ni rébellion après une courte pause agrémentée par le souffle d'un accordéon: respiration salutaire et salvatrice pour tous, mais pas de rémission, de fantaisie malgré quelques sourires complices échangés.Le chef assure la passation, beau perdant; après la consternation, on reprend de plus belle, la valse des pantins mécaniques. La sueur et la transpiration imprime les vêtements, trace de l'effort, de la dépense. Même schéma chorégraphique avec de longs sauts en diagonale: on imagine l'énergie du désespoir pour exécuter ces performances physiques. On achève bien les chevaux... Musique lancinante comme toile de fond, invasive pour porter les corps au zénith, à l'épiphanie de l'épuisement Mais on épuise plus vite un auditoire qu'un sujet: les danseurs capitulent un à un, les spectateurs ne fuient pas par hémorragie. On tient le suspens en empathie totale avec les derniers qui s'effacent peu à peu du plateau. Ils deviennent abordables, face à la désuétude de ce rétrécissement, cette désaffection. Vulnérabilité du petit nombre qui perd la force de l'union.Jamais pourtant  plus d'une heure durant ne gagne l'ennui ni la lassitude tant la dramaturgie, fine et impalpable se joue des écueils de la répétition: une empathie cathartique s'instaure entre danseurs et public rassemblé pour cette cérémonie initiatique trad, tyrolienne en diable!La scène se dépeuple, l'abandon gagne en un solo qui devient rap ou hip hop plein d'humour et de distanciation. On crie au génie face à ce comique de répétition, quasi grotesque ou kitsch si on le prend au "pied" de la lettre.Le danseur semble s'y débattre comme un petit papillon pris dans le piège de lumière. Seul le chapeau demeure sur le plateau: chapeau, les artistes pour cette performance de choix.On va relire "Encore et jamais" de Camille Laurens sur le pouvoir de la répétition dans nos vies, on songe à "Umwelt" de Maguy Marin et l'on revoit le clip hilarant de Klaus Blume "Kniespiel" sur youtube
Un régal ! Refaire, défaire, à remettre sur le métier du corps.

Au Maillon dans le cadre du festival EXTRA DANSE piloté par Pôle Sud.