mercredi 10 mai 2017

"FOLK-S, will you still love me tomorrow?": Sciarroni au Tyrol ! Haut les mains!




Hybrider une danse traditionnelle bavaroise avec un marathon, ça donne quoi ? Un spectacle étonnant, chorégraphié par Alessandro Sciarroni et intitulé Folk-s. Présentée en 2013 dans le cadre des Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis, cette pièce pour six danseurs remontés s'enracine dans le Schuhplattler, cette incroyable danse exécutée en short de cuir durant laquelle l'interprète se claque les cuisses, les mollets, les pieds en sautant d'une jambe sur l'autre. Ce qui était à l'origine, au milieu du XIXe siècle, une parade de séduction, devient ici un moteur de transe douce qui emporte les danseurs dans une ronde hypnotique. Tout à fait en adéquation avec la tendance actuelle « rituel et transe » qui agite la danse contemporaine, une expérience qui tatoue la mémoire.
Quand on entre dans la vaste salle du Maillon Wacken, ils sont déjà présents sur le plateau entièrement dénudé.Dans un rond de lumière blanche, un cercle d'hommes, une femme parmi eux, shorts, bermudas, bretelles, chaussettes très vintage,dans le silence, avec pour unique musique corporelle , la sanction des mains, des pieds frappant au sol en rythme agencé.Policé.Quelques cris pour rassembler, fédérer le petit groupe constitué pour l'occasion: le chef d'orchestre pour le "la", couvre chef pour chapeauter cette communauté rendus aveugle par un bandage des yeux.Contretemps, levées, mouvements carrés pourtant gracieux quand ils s'agenouillent, en chorus, à l'unisson ou en décalage, comme des pantins articulés, corps puissants, charpentés, athlétiques, quasi canoniques , musclés, colossaux. Un petit solo du chef qui tient la chandelle, gymnique mais aussi très sexy!En guise de consigne, un danseur annonce au micro que si l'on quitte la salle par épuisement, on y retourne plus! Danse savante, virtuose, codée, réglée et policée, on y frappe des gestes hachés, abruptes, saccadés en cadence.Les pieds freinent, crissent, martèlent inlassablement: irait on droit vers l'épuisement, la perte, la dépense sans compter?Sérieux, imperturbables, pince sans rire, comme une équipe de sportifs à l'entrainement en bataillon, brigade ou chefs de rang...Puis en ordre dispersé, par empilement successif, les voici qui déploient de petits sauts, de profil en file indienne. C'est savoureux et fascinant comme un paysage de petits moulins à vent qui s'agitent dans l'air sur une musique répétitive. Mécanique bien rodée, bien huilée, machinerie corporelle infernale en action.Comme un son de karcher sous pression ou de sablière, la musique prend le dessus sur les frappés. Stoboscopes pour réhausser l'aspect sysmique et tectonique de la gestuelle. Un petit questionnement entre les protagonistes avant de reprendre: pas de révolte ni de révolution, d'insurrection : pas de faille nid'erreur, on répète sans cesse, on remet le travail sur l'établi, la tache sur le plateau.Ni rupture ni rébellion après une courte pause agrémentée par le souffle d'un accordéon: respiration salutaire et salvatrice pour tous, mais pas de rémission, de fantaisie malgré quelques sourires complices échangés.Le chef assure la passation, beau perdant; après la consternation, on reprend de plus belle, la valse des pantins mécaniques. La sueur et la transpiration imprime les vêtements, trace de l'effort, de la dépense. Même schéma chorégraphique avec de longs sauts en diagonale: on imagine l'énergie du désespoir pour exécuter ces performances physiques. On achève bien les chevaux... Musique lancinante comme toile de fond, invasive pour porter les corps au zénith, à l'épiphanie de l'épuisement Mais on épuise plus vite un auditoire qu'un sujet: les danseurs capitulent un à un, les spectateurs ne fuient pas par hémorragie. On tient le suspens en empathie totale avec les derniers qui s'effacent peu à peu du plateau. Ils deviennent abordables, face à la désuétude de ce rétrécissement, cette désaffection. Vulnérabilité du petit nombre qui perd la force de l'union.Jamais pourtant  plus d'une heure durant ne gagne l'ennui ni la lassitude tant la dramaturgie, fine et impalpable se joue des écueils de la répétition: une empathie cathartique s'instaure entre danseurs et public rassemblé pour cette cérémonie initiatique trad, tyrolienne en diable!La scène se dépeuple, l'abandon gagne en un solo qui devient rap ou hip hop plein d'humour et de distanciation. On crie au génie face à ce comique de répétition, quasi grotesque ou kitsch si on le prend au "pied" de la lettre.Le danseur semble s'y débattre comme un petit papillon pris dans le piège de lumière. Seul le chapeau demeure sur le plateau: chapeau, les artistes pour cette performance de choix.On va relire "Encore et jamais" de Camille Laurens sur le pouvoir de la répétition dans nos vies, on songe à "Umwelt" de Maguy Marin et l'on revoit le clip hilarant de Klaus Blume "Kniespiel" sur youtube
Un régal ! Refaire, défaire, à remettre sur le métier du corps.

Au Maillon dans le cadre du festival EXTRA DANSE piloté par Pôle Sud.

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