samedi 23 septembre 2017

"Kein Licht": fiat lux ! Fukushima, mon amour !Objet musical non identifié: "le thinkspiel"


Philippe Manoury, l’un des grands compositeurs actuels, et le metteur en scène Nicolas Stemann ont créé Kein Licht à partir du texte d’Elfriede Jelinek écrit suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011.
Des voix qui chantent, qui monologuent, se répondent, des voix dont on ne sait pas ­réellement qui elles sont. Une tragédie a eu lieu, nous en sommes tous responsables, et il s’agit maintenant de survivre.
Technologies numériques, vidéo, musique électronique en temps réel, chanteurs, ­comédiens, musiciens sur scène : pour un spectacle fiévreusement ancré dans notre époque.



Quand alors que se déroule l'horrible catastrophe de Fukushima, un concert sur le même thème a lieu dans un théâtre, où est la fiction, où se niche la réalité?
L'opéra hybride signé Manoury et tout le staff de cette production décline à l'envie le thème du nucléaire, force énergétique et dévastatrice de notre temps, pourtant ici portée et adulée par deux héros de pacotille qui dirigent le monde: A et B sorte de cabarettistes scientifiques, irresponsables joueurs de leur vie, de nos vies sur terre, s'amusent et brossent un portrait affligeant des dirigeants de ce monde. Quoi de plus excitant que cette catastrophe, pré-texte à une mise en scène remarquable. Grandiose évocation visuelle et sonore de ce qui remue et questionne notre avenir. La scène est un vaste chantier fluorescent, containers d'eau de récupération en tête de gondole.Le séisme a eu lieu, les secouristes et hommes de labeur s'affairent en tenue de survie, un petit peuple s’agite fébrilement et se joue de la catastrophe.
En costume sombre de lumière noire,en paillettes de cabaret chacun y va de sa mélodie, de sa voix parlée ou chantée, de son "sprechgesang"....



 Ils racontent l'apocalypse, joyeuse, irresponsable narration du gaspillage, de la consommation à outrance de l'énergie nucléaire bien sûr.En trois actes, tout est dit sur le positionnement politique et écologique de nos contemporains. L’insouciance des uns et des autres ne semble pas troubler les hurlements des chiens errants, ici interprétés par les cantatrices agenouillées ou sur les quatre appuis. Un petit chien blanc, réel,  les accompagne.Les musiciens Les musiciens en fond de scène ponctuent les intrigues, les voix multiples qui se font actrices et personnages, en de multiples registres vocaux, du parler naturel, jusqu'au chant le plus stylisé.



"La voix parlée est une voix chantée chaotique" confie Manoury, passionné de recherches musicales à ce propos. La technologie aussi, invasive, nourrit son oeuvre de sa "musique en temps réel" qui transforme, pétrie et modèle les sons, en écho , variations savantes du non-dit.
Cette nouvelle "vocalité" nourrit l'oeuvre et en fait un itinéraire exhalant, une richesse inouïe, à découvrir, décrypter tout au long de cette écoute très "visuelle". Car la mise en scène accentue cet aspect inédit: un univers noir ou fluorescent, des nacelles suspendues au dessus du plateau qui font frémir, de l'eau qui éclabousse et jaillit comme ces vagues de tsunami qui déferlent sur les écrans. Des images vidéo de toute beauté signées Claudia Lehmann accentuent le côté science-fiction de l'oeuvre très graphique et plastique. Les corps des interprètes, immergés dans ce chaos, se déchaînent en osmose, bougent et se meuvent à l'envie.Sous la direction musicale de Julien Leroy, la musique coule et déferle savamment, les décors de Katrin Nottrodt fascinent , écrins idéal pour cette furieuse odyssée du nucléaire.
Au final, chanteurs et musiciens se retrouvent "dans le noir" sans énergie fondatrice, attendant que les feux de la rampe veuillent bien se rallumer: faute de nucléaire, pas de "licht" pour éclairer le monde!
Et la planète Mars prend le relais pour abriter cette population ivre de technique, de progrès sans limite.
Au risque de disparaître. Le discours est obscure!

Dans le cadre du festival Musica, à l'Opéra du Rhin le 22 Septembre et jusqu'au 25 Septembre à Strasbourg

vendredi 22 septembre 2017

Marionnettes !




"La passion selon Marc, une passion après Auschwitz": atout chœur !


Ouverture ce 12 Septembre au PMC de la nouvelle édition du festival Musica: un oratorio pour débuter ce programme "passionnant", Babel de la Foi, creuset d'une démarche noble et sensible du fameux Michael Lévinas, orchestrée par "L'Orchestre de Chambre de Lausanne"
Une "révélation" mystique et musicale, à fleur de peau, sertie par un chœur hors pair dans une partition fine et nuancée.
On frémit à l'écoute d'un petit chef d'oeuvre qui vous fait dresser l'épiderme, effleurant le sensible et le beau, pour cette "Babel" en hébreu, araméen, allemand et français ancien.Entre musique profane et musique sacrée, méditation revisitée ou relecture de la Passion du Christ, cet opus questionne  "le douloureux caractère irréconciliable entre la Passion et la Shoah
Ceci est mon choeur
Un chœur hurlant d'hommes, des percussions, un chahut, charivari, comme une tourmente, un tumulte grandissant: l'atmosphère est brossée et le rôle éminent de ce groupe vocal aiguisé et performant sera prépondérant durant tout le déroulement de l'oeuvre, ponctuant la tragédie, le drame au fur et à mesure.Retour au calme cor et piano en résonance, harpe subtile accompagnant les percussions des lèvres des choristes qui susurrent ou murmurent leur indignation.Les solistes se dévoilent et occupent l'espace sonore, le xylophone vibre, des lamentations se font jour; l'évangéliste, Jésus, la Mère et Marie Madeleine, sujets de cette pièce nous content le récit: implorations, prières, litanies se succèdent dans une dramaturgie pertinente, envoûtante. Les instruments à vent vibrent, tremblent, la tension monte, brouhaha du chœur, bruissement: l'atmosphère très "sensuelle" touche et imprime chez l'auditeur-spectateur des touches de "e-motion" ce qui émeut, fait bouger et se mouvoir les émotions. L'osmose des instruments, les cordes en cascade, stridentes qui pleurent et se lamentent, en glissades vertigineuses, timbres des cloches menaçantes, foule qui se soulève et envahit de ses vagues déferlantes....Un paysage menaçant se dessine, Jésus déclame, se défend, Marie Madeleine se lamente dans de profondes plaintes troublantes, comme un chant doux, imperceptible: le jeu de la chanteuse, fille prodigue et prodige de cette oeuvre, Marion Grange est sidérante de clarté, de conviction, sans flatterie ni exagération.Douleurs éplorées, renforcée par le chœur des femmes dans des aigus percutants, tristesse des harmonicas: le piano épouse le chant de la soprano, fluide et tendre atmosphère de méditation.Quasi mélodique.La foule hargneuse reprend le dessus, harpe et piano préparé en contrepoint: le chœur vibre, tremble, tectonique du drame, fil conducteur du récit, entremets délectable de cette ode , moteur rebondissant par sa présence, actif.
Après ce déchaînement haineux et vindicatif, revient le silence, pause salvatrice non anodine avant le drame final.Les cordes percutent annonçant la fin, amplifient le son?crescendo, le glas va sonner, vrombissement et tremblement de terre annoncés comme une nouvelle déflagration volcanique.
Pour clore cet oratorio, le chant délicat et passionné de la Mère, interprété de façon inouïe et sensible, subtile et nuancé auprès de la harpe et du piano: les contrastes des émotions filent dans la voix ténue, retenue puis qui s'élance dans les pleurs et les plaintes Dans une langue allemande parfaite, vécue de façon troublante, incarnée dans un solo de toute beauté, dans le silence de l'orchestre qui se tait , respect de ce cri de souffrance et de douleur très présent: deux poèmes de Paul Celan étourdissants d'amour et de sentiment.
On frissonne et songe à la beauté de la Passion.
Sous la direction de Marc Kissoczy, on retient la prestation fameuse le l'Ensemble Vocal Lausanne, virtuose du tumulte, funambule des difficultés et des embûches d'une partition multi- directionnelle, : bordé par un "gigantesque" Orchestre de Chambre impressionnant.

« Peut-on composer de la musique sans pleurer et sans trembler après la Shoah ? », s’interroge Michaël Levinas.
Le ton n’est donc pas à l’irénisme ou à l’angélisme. La forme et l’écriture éminemment complexes de cette Passion, en raison des polyphonies subtiles du chœur, des voix et de l’orchestre, en raison également de la manière dont les langues se signifient entre elles (araméen, hébreu, français médiéval, allemand), répond à une exigence bien précise : mettre côte à côte des traditions musicales occidentales avec le tragique de l’histoire du xxe siècle, au point de faire « trembler », au cœur de la création artistique, le devenir de la langue Sainte et des Évangiles après Auschwitz. 
Aussi, ce qui sépare le récit de l’Évangile de Marc, de la prière juive pour les morts (le Kaddish), ou encore du El Maleh Rachamim, de la lecture des noms et des deux poèmes de Paul Celan qui clôturent la Passion, n’est-il pas tant de représenter le tragique, que de le faire entendre dans sa nudité même, sans filet et sans salut, par-delà le clivage entre musique profane et musique sacrée.