samedi 30 septembre 2017

"Jeunes talents, clarinet counterpoints" :Anatomie d'un instrument, jamais "à bout de souffle" !



Un instrument "dans le vent" pour ce concert ,le second, que Musica réserve aux «Jeunes talents » qui souhaite mettre  en avant les élèves clarinettistes de Jean-Marc Foltz à l’Académie supérieure de musique de Strasbourg / HEAR. Il conjugue cette carrière d’enseignant à une intense activité d’interprète et d’improvisateur, empreinte de son goût pour le jazz, les musiques traditionnelles et les musiques d’aujourd’hui.
 "Cette classe cultive une pluralité des esthétiques et des genres. Encouragés dans leur exploration jubilatoire des langages, ces jeunes talents sont autant d’arpenteurs mus par le désir d’inventer à leur tour un monde de la musique qui leur ressemble. Ils se font ainsi éloge de l’aventure artistique et promesse de vitalité pour la création. ": préambule sympathique qui met en éveil et en appétit les auditeurs du samedi, matinaux et fidèles du festival.
Démarrage du concert par "Régénération" de Jean-Louis Agobet, pour un trio de clarinettes, complice, à l'écoute les unes des autres en autant d'avancées sonores, en éclats, elles se donnent la réplique, en écho.Bien "calées" comme en autant de vocalises de souffle. Un beau solo de clarinette basse, vibrant gyrophare tournoyant et ascendant.Comme dans une poursuite, elles se rattrapent, se devancent, ensemble ou à part. Des très beaux instruments sur pieds, comme des sculptures épousant les corps, debout: elles font "corps" et graphie avec ces exo-squelettes argentés, majestueuses formes dressées.
"Plus 1" de Jukka Tiensuu pour clarinette et accordéon s'avère un véritable bijou, dialogue languissant, interrompu, avec des sons étirés qui avancent à petits pas, sans qu'on les voit se déplacer comme dans le jeu "1.2.3.Soleil!
Mugissements, petites touches en clin d’œil, écho subitement en réponse, simultanément: elles dansent un duo alangui autant que tonique, entrelacs de sons très proches: les sources d'émission se confondent comme dans un confluent: l'estuaire les réunit
Encore quelques secousses d'accordéon et la fluidité de la clarinette se perd dans le silence.
"By the way" de Pascal Dusapin pour clarinette et piano s'installe dans la lenteur et la concentration: c'est comme une voix, un chant accompagné par la pianiste. Calme, pesanteur de chaque note; puis le mouvement s'anime, alerte, aux aguets, à l’ affût. De fières envolées, joyeuses et ça court et virevolte allègrement, dans les aigus.Encore une ponctuation grave du piano en finale et le rêve est éteint.
"Last" de Philippe Manoury pour clarinette basset et marimba, démarre par un solo grinçant de l'instrument: il sera bordé par l'intrusion des marimbas jouées par une très gracieuse interprète, bras et jeu d'amplitude déployée, gestes précis à l'établi: un soupçon de condiments ou d'épices sonores pour cette alchimie de cuisine savante: les ingrédients de cette musique, comme les précipités moléculaires gazeux, font effet de fragrances, tous sens réunis et convoqués: regardez la musique pour apprécier cette vélocité tactile, cette dextérité futile En résonance la clarinette donne la réplique, solide et sûr d'elle, en cascades, fugues et fuites, dérobades et feintes. Les mailloches glissent, frôlent les touches: quelle grâce dans la suspension finale!
"Face à face"de Bruno Montovani met en scène quatre clarinettes, introduites par un clin d’œil à Bach de Lachenmann :
spirales de sons, clarinettes enjouées, mutines, éclatantes, magnifiées; des envolées périlleuses, risquées pour cette voltige virtuose, osée!
On croit voir s'édifier devant nous une cathédrale gothique infinie, inachevée, qui se construit, se dresse: elle oscille en déséquilibre permanent sur ses fondations: une architecture de sons, sensible,instable.
Quatre souffles dans le vent à l'unisson,quatre interprètes comme des éclats de crescendos renouvelés dans des aigus suprêmes et fameux.Fuites, fugues, escapades buissonnières pour cet opus où vibrent encore dans les tympans, les oscillations des dissonances suraiguës!
C'est à Steve Reich avec "New York Counterpoint" de clore le concert matinal.
Onze musiciens pour cette oeuvre sont ici réunis , formation étonnante de clarinettes, en ricochet, ondes et échos, en ajout progressif, en canon.
Le "style" Reich en majesté, hypnose garantie par la tension sourde en contrepoint des basses.
C'est très "dansant", mouvant, entrées et sorties très complexes toujours Le voyage va bon "train", lumineux, pétillant, joyeux, enivrant
Quels talents ces "jeunes" interprètes, florissants et prometteurs: ils pensent et sentent la musique avec toute l'intelligence des sens et du corps, par tout un travail méticuleux qui porte aux nues les oeuvres des musiciens de notre temps.












"La passion selon Marie": Zad Moultaka et sa "madre mia": "dés-Orienté" et plein de grâce!


Un oratorio entre profane et sacré au Temple Neuf, bel écrin pour cette évocation d'un "ave maria" quelque peu singulier!
Ne plus appréhender les derniers instants de la vie de Jésus à travers le récit qu’en livrent les évangiles, mais en les imaginant à travers les yeux de sa mère : tel est l’objectif inédit de la Passion selon Marie, de Zad Moultaka (2011). Cette œuvre pour soliste, chœur mixte et ensemble instrumental baroque, engage à cet effet des artistes plus familiers des répertoires anciens que des pages contemporaines : la soprano María Cristina Kiehr, qui prête ici sa voix suave et chaude au personnage de Marie, est accompagnée du Concerto Soave de Jean-Marc Aymes et du chœur Les éléments de Joël Suhubiette, interprète fidèle de la musique de Moultaka
Un voyage exceptionnel dans la voix parlée, chantée, dans le chœur vocal à cappella et l'univers baroque d'instruments d'époque, revisités pour l'occasion: un moment plein de grâce et d'humanité où la virtuoisité se mêle à l'intelligence des sons, des mélodies susurrées, murmurées comme un poème, ode à la mère.
Une pluie de petites percussions légères pour évoquer la délicatesse des sentiments, la matière sonore de ce qui émeut, ébranle et touche l'auditeur d'aujourd'hui à propos d'un récit biblique dans une langue lointaine, syriaque délicat, délicieux.
Entre Orient et Occident, cette oeuvre si parlante, fait "office" de catéchèse intelligente et rend vivante, une phase cruciale de la vie et de la mort du Christ à travers les principaux personnages, devenus simples acteurs de leurs souffrances, joies ou désespoir
C'est beau comme un office païen, profane qui se glisse à l'heure du soleil couchant dans ce temple Neuf, bruissant d'autres ferveurs œcuméniques.
Zad Moultaka au meilleur de son inspiration!

Minguet Quartett et Hans Peter Maintz à Musica


Un concert de musique de chambre d'une rare virtuosité.
Empruntant son nom au philosophe espagnol Pablo Minguet y Yrol, auteur au xviiie siècle de nombreux traités de magie, de cuisine, de danse ou de musique, le Quatuor Minguet est invité pour la première fois à Musica. Il fait entendre trois quatuors de Wolfgang Rihm, de Toshio Hosokawa (qui fut comme Rihm élève de Klaus Huber) et de Jörg Widmann (élève de Rihm).
"Geste zu Vedova" de Rihm nous précipite dans une verve musicale, allègre, furieuse, dans une virulence ascensionnelle décoiffante. Vibrations, frottements des cordes, tension extrême sourdent, en alerte, sur le qui-vive, en haleine,toujours.Du suspens aussi, des hachures brèves, dissonantes sur un ton sec en répétition dans des scansions asphyxiantes: c'est de la haute voltige technique : des juxtapositions et additions de sections musicales s'empilent en couches et strates et l'on dévoile ce palimpseste avec admiration. Un long silence final, comme retour au calme....
"Blossoming" de Toshio Hosokawa, se révèle ensuite comme une pause, lent mouvement ,tenues en ricochets comme des ondes qui se répandent, vagues légères d'une marée montante.Les archets glissent, bruissent dans d'infimes touches musicales: une agitation fébrile s'empare d'eux, volatile, volutes et contrastes futiles, envolées légères et diaphanes, bordées des graves du violoncelle: au final, le son meurt et sommeille, réparateur et salvateur.
"Jagdquartett" de Jörg Widmann vient perturber l'ambiance sereine du concert:Cris alertes des musiciens et tonalités folkloriques de références pour démarrer en trombe une chevauchée fantastique pleine d'humour et de recul.Rythmes sous-jacents de cavalerie endiablée, dansante, tournoyante, très tonique en sarabande échevelée.Sautillants, alertes relevés, cette redoute, effrénée, chevauchée très spatiale et visuelle, enchante, entraînante et vive évocation de galops.
Cocher furieux aux commandes, emballé par le rythme, extrêmement virtuose, tel une performance: le pincé des cordes, monte en ascension, jusqu'à l'épuisement!Les percussions des archets sur le bois, corps des instruments que l'on cravache, rappent, ça crisse, gronde et grince: un cri de tuerie au final après ces salves met fin, hallali de cette curée sans merci!
" Interprète des "Trois Strophes sur le nom de Sacher" de Dutilleux, le violoncelliste Jens Peter Maintz  rejoint le quatuor à cordes pour l’exécution d’un quintette de Rihm. Un solo brillant, bref avec un jeu d'archet pincé, frotté, glissé très subtil.Des graves voluptueux, lyriques comme sortis d'une harpe, s'envolent, en infime envolées et tenues périlleuses: sombre univers qui se conclut en piqués légers, suspendus.
"Epilog" de Rihm pour épilogue du récital, pour clore cette prestation virtuose.
Un mouvement lent, langoureux, savoureux, des étirements de sons très doux, feutrés: la richesses de retenues des sons qui s'étirent, et s'éveille, fait son effet singulier de détente, de recueillement.
Pas à pas, cette lente montée, crescendo dionysiaque, monte au zénith, en catharsis, solide et surprenante oeuvre architecturée.la fulgurance des cordes en contrepoint, lancinantes sirènes, alarmes, dans une fouge déchaînée, se retient puis déferle. Libérée.l'ambiance, l'univers, l'atmosphère narrative, jouée par les instruments en font autant de personnages bien vivants: corps résonnants de toute leur caisse de bois, cage thoracique, poumons charnels édifiants.
A la Salle de la Bourse, écrin des petites formes, l'émotion bat son plein devant tant de virtuosité d'interprétation et d'engagement physique de la part de ce quatuor à cinq feuilles: que du bonheur!

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