vendredi 6 octobre 2017

L'Orchestre d'hommes orchestres joue à Tom Waits: bazar de bric et de broc !


Panique au poulailler!
Spectacle , bric à brac, boutique à la Ben Vautier, joyeux chantier, coloré, chatoyant, chamarré: voici pour le paysage planté sur le plateau du Point d'Eau à Ostwald pour ce show spécial festival Musica!
L’homme-orchestre n’a qu’un talent : celui de les avoir tous – un peu. Fondé à Québec en 2002, L’orchestre d’hommes-orchestres (LODHO) en réunit six qui, tous, touchent à tout, en assumant de ne le faire qu’à moitié. Car la limite devient opportunité: n’être qu’un virtuose moyen de chaque instrument contraint et justifie la recherche de «solutions hors-pistes» radicalement indisciplinées. Leurs reprises de chansons de Tom Waits, présentées conjointement par Musica et L’Arsenal / Cité musicale-Metz, se révèlent alors être bien plus qu’un concert : un cirque musical réjouissant, foutraque et délirant – beaucoup. 
Sur fond sonore country, le public est accueilli; deux femmes en "uniforme" très américain défraîchi, daté , petits sacs à mains sur les genoux: potiches ou pots de fleurs, tapisserie sexiste..Elles sont touchantes, style actualité cinématographique américaine de la Libération! Arrivent les quatre escogriffes, quatre garçons dans le vent, s'emparant du "matériel" existant à leurs pieds pour transformer ou inventer du son: cagette de fruits et tuyaux de pôle masquent une guitare, des chaussures percutent sur une planche de bois: tout est prétexte sonore et visuel pour restituer l'univers déjanté de Tom Waits: les voix rauques et éraillées, les sons grimaçants, grinçants, déraillements progressifs du plaisir....Joyeuse sarabande, mêlée d'humour et de distanciation, chacun s'adonne à en rajouter, un peu de trop cependant pour être vraiment "crédibles" pour cet hommage burlesque à Tom Waits.
Paysage dadaïste, très hétéroclite, bienfaisant cependant!
Un accordéon y sème la panique spatiale avec bonheur, un gospel à quatre visages dans un cadre illuminé....Un petit piano mécanique, objet adorable et enfantin, résonne et fait de cette fin de parcours, une touche virevoltante et humaine très réussie. Les "filles"  entonnent des yodels à la tyrolienne: c'est "ringard" à souhait, jamais caricatural, heureusement, car la bascule dans le trivial et vernaculaire gronde et menace cette agora fertile mais pas toujours très efficace de "l'humour des notes" qui dénote parfois et dérape allègrement la pente savonneuse!
Glin glin, le folklore américain, amérindien !Les explorateurs de son font du bien...

Ensemble Linéa à Musica: la fabrique du son


Un concert particulier, dédié à la mémoire de Klaus Hubert, décédé très recement, maître et inspirateur de tant de musiciens dont le chef de Linea qui lui rend hommage en préambule: émouvant!
Fondé par Jean-Philippe Wurtz en 1998, l’Ensemble Linea est un habitué du festival. Le concert qu’il propose cette année entretient des liens profonds avec l’Académie de composition Philippe Manoury – Festival Musica, dont il fut en 2015 l’ensemble associé. Son programme réunit en effet les deux professeurs de composition de l’Académie 2017, Philippe Hurel et Daniel D’Adamo (qui en est par ailleurs le coordinateur artistique et pédagogique), à Amadeus Regucera, lauréat de l’Académie 2015. Le festival lui avait alors passé commande... l’heure est venue de la découvrir en création.....mondiale!

"Frontières/Alliages" de Daniel d'Adamo démarre le session, cor, percussions, marimbas en petites touches pour préambule. Ca fuse, ça vrombit en coups de tonnerre,puis selon des volumes sonores changeants: des sons métalliques, de longues tenues étranges et les discrètes percussions, minutieuses, sons de boite à musique, clochettes et grelots, tintinnabulent.Des gouttelettes d'eau suspendues comme dans un conte de fées!Enchantement énigmatique, très subtil à la clef.L'alliance de tous les instruments, vents et cordes en poupe, réactivent le mouvement agité de ses eaux dormantes.Un univers puissant, scintillant en gazouillis vif argent et volubiles. Ca étincelle , miroite et réfléchit le son en turbulences animées, mouvementées Des sonorités plurielles et multiples, les vents embouchés par les sourdines, des baguettes de bois pour évoquer une atmosphère de travail, métallique et terrestres.
"Torso of Air/Flesh" de Amadéus Regucera sera la surprise, bienvenue et fait judicieusement suite .
Tel un atelier de ferrailleurs, une forge en effervescence, des frappements ordonnent et scandent un rythme infernal: celui du feu qui transforme et métamorphose la matière.Des sons inédits se façonnent , entremêlés ou en "solitaires" Une véritable usine, paysage industriel, se dessine, fabrique de sons, grinçants, tranchants: le monde du travail, du labeur s'y installe: c'est visionnaire et très palpable et perceptible. Le travail puise et épuise les forces des interprètes, eux aussi galvanisés par ces triturations et modelages de matière: charnelles, sensuelles et "érotiques" selon l'auteur compositeur.On se croirait sur un port fluvial ou maritime, en partance, sur un chantier en effervescence. D'où proviennent les sons? Il suffit de regarder la musique pour identifier chacun et s'en émerveiller. Corps et graphie, tracés, phrasés sonores forment une syntaxe éloquente, calligraphie qui secoue, remue, le  prolongement des instruments, rivés au corps des musiciens, en fait des sculptures vivantes résonantes. On invente, crée du son à foison vers un onirisme très matérialiste, une mise en valeur par le regard et l'écoute de cet opus singulier, indisciplinaire!
Des claquements de cordes comme des flagellations, des détonations de pétard, des salves lancées au loin, des éclaboussures, ratures et autres"gribouillages" savants en feraient une toile de Cy Trombly!
C'est géant et gargantuesque; des voix, des souffles insufflent vie et chaleur, sensualité et respirations vitales, des murmures sourdent des poumons-vents des musiciens. Les cordes rugissent et cette machinerie des temps modernes, ce mécanique grippé, rouillé éclate en tension-détente comme chez Martha Graham.L'intime/ Extime s'y révèle, rivé au corps dans une véritable énergie Un univers industriel , dynamique de moteurs, de ralentis en compose une atmosphère quasi futuriste, aérodynamique!
 Le corps impliqué dans des postures qui génèrent la facture des sons, en érection,, sons de tôles, d'acier, dignes de Iron Man, poulies et ressorts...
"Pour l'image" de Philippe Hurel, clot ce chapitre et s'inscrit dans ces œuvres "lumineuses" et bouillonnantes comme des eaux qui scintillent et impose un style agité, bruissant, vivant.Les amplitudes et l'envergure sonore, les graves soulignent la présence des cordes et des vents, puissants moteurs de la dynamique. De lents va et vient, avancent, bouillons, émulsion et cuisson exacte et précise des sons, comme en cuisine moléculaire, inventive et inspirée. Deux marimbas, claires et discrètes parsèment les sons, fabriquent des contrastes saisissants.Et couvrent le tout, en éclats et jets de sonorités inédites.Les espaces s'entrouvrent et l'on y pénètre dans cette masse sonore comme dans un laboratoire en ébullition;comme dans une clairière aérée, ouverte d'une forêt de fut et taillis, dense à défricher. Paysage animé, impressionniste, imposant, martial aussi par son architecture soulignée de fondamentaux. Glissades, vagues et remous pour se laisser conduire dans ces avancées, marées montantes et déferlement submergeants.
L'ensemble Linea, toujours performant et "sensible" espace musical ouvert et fraternel réussit une performance toute de ferveur, audace et engagement.

jeudi 5 octobre 2017

Combattimenti, Moultaka, Monteverdi : l'osmose!


Un concert tant attendu à Sainte Aurélie, écrin rêvé pour cette nosturne de pleine lune, pour un voyage en baroque et contemporain, passerelle magnétique entre Monteverdi et Moultaka!- 
Comme les deux premières, cette troisième soirée que Musica consacre au compositeur franco-libanais Zad Moultaka jette des ponts entre répertoire ancien et création contemporaine. Reprenant le livret et l’effectif du Combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi, Moultaka a conçu sa propre version du Combattimento, en même temps qu’une transition électronique (Il Sorgere) vers l’interprétation de l’œuvre du maître de Crémone: le spectacle, à penser comme un tout, se présente ainsi comme un «double drame pour soprano, ténor, baryton et ensemble instrumental». Ce projet profondément original, conçu pour célébrer le 450e anniversaire de Monteverdi, est repris dans le cadre de la résidence de Zad Moultaka à l’Arsenal / Cité musicale-Metz; il est défendu par Le Parlement de Musique, l’ensemble strasbourgeois de Martin Gester toujours prêt à faire dialoguer esthétiques et cultures.
Un solo du récitant pour ouvrir l'écoute sur des tonalités très orientales de l'orchestre de chambre: le voyage dans le temps peut commencer: les cordes, la harpe, délicieusement explorée dans des dissonances, et timbres très "chauds", veloutés et profond pour la voix semi chantée, semi parlée.Les cordes frappées, pincées, le clavecin léger, tout concourt à une fragilité émouvante, fine, raffinée et précieuse.Les deux personnages, interprété par Francesca Sorteni et Jean Gabriel Saint Martin, vivent intensément les destins des personnages, Clorinde et Tancrède. Le narrateur, Fernando Guimaraes, borde l'intrigue de sa voix prenante, suave et colorée.Les voix prennent appui sur les cordes, s'y glissent dans les entrelacs des sonorités hispanisantes, orientales, en  un singulier "combat", esquives et tierces fendues.Combat d'épées, escrime de la musique, subtile mélange et insertion voix-instruments, cette oeuvre inspirée des "anciens" est emplie de précipités, de vibratos virtuoses: diction hachée, théâtralité et jeu des acteurs-chanteurs s'y imbriquent savamment.La voix céleste et charnelle de Tancrède, beau solo enrobé d'un instrumental, ornement recherché et précis.
Au loin, dans l'obscurité, sourdent les voix enregistrées, amplifiées d'un chœur spectre, charnellement absent, mais brillant par sa présence virtuelle, sonore sous la voûte céleste de Saint Aurélie: moment de grand recueillement que cet opus électronique....Immergé dans le son, le public, captif, attentif, renvoie une empathie singulière.Sons tournoyants, du tréfonds des abysses, en grondements menaçants....Abîmes intrigants, échos déroutants....
Au tour de Monteverdi, dans un doux glissement de lumières, pour continuer ce voyage à rebours, dans le temps: on y trouve toute la flamboyance, la verve du baroque, lumineux, loquace, futile et miraculeuse.
Perle baroque, ambiance sacrée garantie pour ces deux opus si proches, si loin mais si galvanisants!
En un "combattimenti" singulier!