samedi 17 février 2018
"Clarinet Story": quel souffle ! Fille de l'Air, Femme des Bois!
"Si la clarinette a séduit les grands compositeurs – Beethoven, Mozart, Schumann, Brahms, Weber, Rossini, Stravinsky, Debussy, Gershwin, Copland, Messiaen… et inspiré autant la création contemporaine, c’est parce qu’elle a su nourrir son goût de l’aventure.
Au détour de traditions et de répertoires diversifés, aux quatre coins de la planète, les “sonneurs” de clarinette en tous genres en ont fait un instrument populaire.
Le jazz, musique de rencontre et d’invention, lui offre depuis plus d’un siècle un champ d’expression libre; Sidney Bechet, Jimmy Noone, Benny Goodman, Artie Shaw, Buddy de Franco, Eric Dolphy, Jimmy Giuffre… se sont succédé en maîtres incontestés du “blackstick”, soufflant leurs langages outre-atlantique jusqu’à nos oreilles en passant par celles de Louis Sclavis et de quelques autres… précédés de l’élégant Michel Portal, pionnier de la création et de la synthèse entre les styles.
Entre pratiques amateurs et mélomanes fondées sur le plaisir et pratiques professionnelles mûes par un désir d’explorer et d’approfondir sans cesse, nous encourageons les jeunes générations à poursuivre le périple. C’est là le sens véritable de la dynamique de projets portée depuis vingt cinq ans au Conservatoire de Strasbourg par l’équipe des professeurs de clarinette.
Après avoir déjà interprété en grande formation Ketchak de Sylvain Kassap et organisé deux Marathons dans le cadre du Téléthon, la classe de clarinette du Conservatoire et de l’Académie supérieure de musique / HEAR de Strasbourg convie Laurent Dehors à une nouvelle création d’envergure* célèbrant le plaisir des retrouvailles et le goût de toutes les musiques vivantes en scène. L’aventure continue…"
Un grand concert de clôture, vendredi 16 février à 20h, a accueilli, en première partie, le célèbre trio Angster, Kassap et Foltz en compagnie de Laurent Dehors qui ont proposé une exploration-expérimentation des différentes facettes de la clarinette, confrontant musiques savantes aux musiques populaires avec le sens du spectacle propre à ces instrumentistes hors norme. La seconde partie a rassemblé élèves et enseignants pour donner à entendre la variété des styles, instruments et compositions de l’instrument dans le cadre d’une Petite histoire de la clarinette, composition commandée à Laurent Dehors, proposée en première mondiale à cette occasion par une soixantaine de clarinettistes.
Un public dense, nombreux pour ce concert de "clôture" qui va s'ouvrir par une prestation des "grands", instrumentistes et enseignants de cette "clarinette" aux formes multiples: de la plus "petite" à la plus "basse", au squelette de colonne vertébrale argentée, truffée de samares, ces petites capsules-arrêtes volantes, graines du hêtre, qui tourbillonnent au vent à l'automne....C'est "Multiples" de Armand Angster qui ouvre la session: sirènes en canon, graves, douceur et fermeté du rythme en cascades contagieuses, étirement du souffle, vrombissement des instruments en écho, vibrations... Du bel ouvrage pour ce tapis sonore bigarré, petite démonstration s'il fallait, que l'instrument est riche et capable de tout si l'inventivité du compositeur veut bien faire vibrer et articuler son exosquelette aux épines argentées.... Dans un joyeux capharnaüm, chaos dissonant, coloré, vivant avec pour acmé, un charivari florissant! De noir, blanc, rouge vêtus nos quatre Daltons, à l'origine trio de Pieds nickelés transformés en "quatre garçons dans le vent" se rient des difficultés et font preuve de distanciation et modestie!
Suit une composition de Kassap pour quatre crinières, musiciens perruqués, carnavalesque prestation comme un chant tenu dans le vent, charmeurs de serpents, enjôleurs renvoyant à des mélodies lointaines: souffle des vents, brise légère, un solo bordé par les autres, des sons stridents, dérangeants, le tout bien contrasté pour rester en alerte, en éveil.Un "rentre dedans" salvateur!
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| Picasso:mandoline et clarinette |
C'est au tour de J.M. Foltz de livrer sa partition spéciale "clarinette", un quatuor "For quatre jobs": caresses suaves, grondements, gestuelle des bras annonciateurs du rythme.
Claquements de doigts, cris, percussions , parlophones, tout y est passé au crible en ce qui concerne les possibilités acoustiques, extra-ordinaires des clarinettes. Comme une causerie, un chahut ou charivari acoustique, générateur d'humour des notes, burlesque jeu ludique , disputes et rabibochage pour deux couples en garde alternée!
Quelques grondements menaçants, et tout rentre dans le désordre organisé
Encore un petit "Dehors" pour rentrer dedans, c'est "Abop" ou "Bon courage ou encore merci", composition pour quatuor et huit étudiants, gaie, relevée, colorée: claquements de mains en sus pour palier à la carence de percussions: un "unsquare dance" jazzy et fort réjouissant. Notre homme orchestre, compositeur et Monsieur Loyal de la soirée, s'en donne à coeur joie et cabotine, communicatif animateur: on y fait des fausses ovations, on "pêche" par défaut pour donner la banane ou la frite à cette soirée festive et inventive.
Et Mozart de faire son apparition, lumineux, joyeux, inspiré et si bien vécu par nos musiciens, bien dans leurs baskets colorées, bigarrées pour l'occasion.Quasi "piu non si trovano" aux accents libres et réjouissants.
Steve Reich ne pouvait se soustraire à ce bel inventaire à la Prévert avec "New York Conterpoint", pour clarinettes seules.Musique sautillante, à cloche pieds, multidirectionnelle qui eut enchantée A.T. De Keersmaeker, virevoltante chorégraphe, hypnotisée par la transe de cette musique fascinante, médusante, aux entrelacs si complexes...
Clou du spectacle, tant attendu, "Petite histoire de la clarinette" de Laurent Dehors: un must , une "histoire de la danse à ma façon" de Dominique Boivin, ou "Histoire spirituelle de la danse" de David Wahl...Un genre nouveau, entre démonstration, causerie, digression sur l'art et la manière de traiter les corps, les instruments. Pédagogie active et innovante, participative et ludique, aux accents graves et profonds au delà de la surface, superficie de la peau du monde.Un petit "bis", "Disco" pour abreuver la "fièvre du samedi soir" et la boucle est bouclée!
Chapeau, les artistes pour cet exercice périlleux, pas toujours abouti, mais dense et généreux! "Instrument à vent de la famille des bois" et ramène ta fraise, fille de l'air, femme des bois, clarinette longue et esthétiquement parfaite, intrigante dame noble et belle, en habits étincelant.
Un instrument à honorer en citations, reprises, inventions multiples, sonorités inédites et inouïes pour un "ensemble" gigantesque à la démesure de ce beau projet fédérateur.Petits et grands confondus, enseignants, virtuoses ou néophytes, tous en habit de "clarinette" pour fêter l'avènement , la consécration de cette belle architecture sonore, anatomiquement parlant si digne d'une sculpture de Jan Fabre, vertébrée, disséquée ici pour l'occasion en instrument chirurgical étonnant!
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| Jan Fabre |
Une soirée mémorable, orchestrée par Jazzdor et la HEAR, le Conservatoire et toutes ses forces vives!
"Dehors, la danse" disait Jean Luc Nancy, (à propos de Mathilde Monnier et "Allitérations") mais surtout ne lui rentrer pas dedans!
Joli hommage à la Reine des Vents !
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| Franck Tordjmann à la César ! |
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| Arlequin à la clarinette Lipchitz |
jeudi 15 février 2018
"La Fusillade sur une plage d'Allemagne": la fosse, boite de Pandore, faille de l'existence.
Dans une forêt, au bord d’une fosse fraîchement creusée, un petit groupe raconte l’histoire d’une famille sur une plage d’Allemagne : un père se réveille d’un cauchemar où il tuait sa femme et ses enfants. Son fils se retrouve seul en mer dans un canot, cherchant du regard son frère. Un jeune homme mystérieux - est-il dangereux ? - apparaît dans le récit. Qui sont ces narrateurs ? Leurs récits sont-ils souvenirs ou pure fiction ? Et qu’y a-t-il dans la fosse ? Le metteur en scène Marc Lainé nous plonge dans le procédé immersif imaginé par l’auteur contemporain Simon Diard, interrogeant notre rapport intime à la violence.
"Cette pièce est un piège, un labyrinthe d'histoires à traverser": donner à voir le texte, planter une scénographie de l'urgence (dix jours de travail), minimale avec des moyens du "bord" et voici le "Théâtre ouvert" en phase avec le texte de Simon Diard mis en espace, mis en chair par Marc Lainé.
Ils sont cinq personnages qui nous attendent sur le plateau, fixes, médusés, impassibles, immobiles avant la tempête.
Feux éteints, tout s'anime sur fond de décor vidéo: une forêt de pins près de la plage, et les protagonistes autour d'une tombe, trou béant, excavation contenant on ne sait quoi encore. Concentrés, ils semblent prier, se recueillir. On peut tout extrapoler...L'atmosphère est tendue, chacun pose son micro-récit, quatre hommes, une femme, jeunes, décontractés en habit banalisé. Rien à soupçonner, pas de doute, sur cette plage fictive dont on entendra que le souffle d'un vent inquiétant et persistant. En bord de plateau, les comédiens se rapprochent, nous touchent du regard, nous interpellent par cette proximité de la parole qui se déverse: tantôt violente, tantôt infime. Alors que plus tard, des images d'une caméra filmées en direct nous rendent encore plus prégnant le récit de chacun, à travers les expressions des visages grossis, surdimensionnés; mystère de la situation, énigme des propos, on est dans une fusillade, une narration ténue des faits, sans excès de salves, de bruits ou de fureur guerrière, vindicative ou assassine.
Et pourtant, la tombe est bien là, réceptacle des corps, fosse commune d'où sortira le tireur.Guerres, attentats, massacres au poing, le récit de la première partie interroge la violence, le terrorisme en de multiples pistes où l'on s'égare.Personne ici n'est antipathique ni repoussant et ne porte la responsabilité des crimes. Récit lisse et parfois fade, sans passion débordante. Indifférence, nonchalance...Désinvolture du metteur en espace qui ne souhaite pas trahir une certaine distanciation....Tout bascule dans la seconde partie, où les images projetées seraient butin d'une caméra de surveillance ou tout simplement l'effet loupe sur les situations. Ca bouge au creux du tombeau, ça "tombe" bien pour nous impliquer au cœur de la terre, de la chair.Un trou, une béance, une faille ou brèche d'où vont émerger corps et textes pour évoquer le pire, enfouir ou exhumer la terreur. Cimetière en réduction, cérémonie de deuil ?
Alors que tout se clôt toujours dans l'interrogation: on se représente le tueur, ou le corps du jeune homme sans savoir, on reste dans le questionnement des événements sur cette plage, lieu improbable, incongru du massacre. Trouble, menace, épée de Damoclès suspendue au dessus de nos destins, cette pièce, courte et "coup de poing", interprétée finement, avec justesse et équilibre par les cinq comédiens, sur le fil de la déraison, se révèle poignante.
Quand ce monticule de terre battue, évoque la mort, l'enfouissement, l'enterrement à ciel ouvert, tout est permis au "Théâtre Ouvert" qui nous livre ici un récit touchant: celui de ces "balles perdues" d'un attentat où les victimes sont visées et malgré elles embarquées dans un processus de mort, de destruction, de chantier ouvert.
Tombe, chute, horizontalité des vies détruites, décimées..?
Et on devance l'actualité la rendant urgente, à traiter d'une façon originale et déstabilisante. Une réalisation singulière dont la caractère dérangeant soulève moulte questions sur la mise en forme de la violence et du politique.
Au TNS jusqu'au 23 Février
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