Dans une forêt, au bord d’une fosse fraîchement creusée, un petit groupe raconte l’histoire d’une famille sur une plage d’Allemagne : un père se réveille d’un cauchemar où il tuait sa femme et ses enfants. Son fils se retrouve seul en mer dans un canot, cherchant du regard son frère. Un jeune homme mystérieux - est-il dangereux ? - apparaît dans le récit. Qui sont ces narrateurs ? Leurs récits sont-ils souvenirs ou pure fiction ? Et qu’y a-t-il dans la fosse ? Le metteur en scène Marc Lainé nous plonge dans le procédé immersif imaginé par l’auteur contemporain Simon Diard, interrogeant notre rapport intime à la violence.
"Cette pièce est un piège, un labyrinthe d'histoires à traverser": donner à voir le texte, planter une scénographie de l'urgence (dix jours de travail), minimale avec des moyens du "bord" et voici le "Théâtre ouvert" en phase avec le texte de Simon Diard mis en espace, mis en chair par Marc Lainé.
Ils sont cinq personnages qui nous attendent sur le plateau, fixes, médusés, impassibles, immobiles avant la tempête.
Feux éteints, tout s'anime sur fond de décor vidéo: une forêt de pins près de la plage, et les protagonistes autour d'une tombe, trou béant, excavation contenant on ne sait quoi encore. Concentrés, ils semblent prier, se recueillir. On peut tout extrapoler...L'atmosphère est tendue, chacun pose son micro-récit, quatre hommes, une femme, jeunes, décontractés en habit banalisé. Rien à soupçonner, pas de doute, sur cette plage fictive dont on entendra que le souffle d'un vent inquiétant et persistant. En bord de plateau, les comédiens se rapprochent, nous touchent du regard, nous interpellent par cette proximité de la parole qui se déverse: tantôt violente, tantôt infime. Alors que plus tard, des images d'une caméra filmées en direct nous rendent encore plus prégnant le récit de chacun, à travers les expressions des visages grossis, surdimensionnés; mystère de la situation, énigme des propos, on est dans une fusillade, une narration ténue des faits, sans excès de salves, de bruits ou de fureur guerrière, vindicative ou assassine.
Et pourtant, la tombe est bien là, réceptacle des corps, fosse commune d'où sortira le tireur.Guerres, attentats, massacres au poing, le récit de la première partie interroge la violence, le terrorisme en de multiples pistes où l'on s'égare.Personne ici n'est antipathique ni repoussant et ne porte la responsabilité des crimes. Récit lisse et parfois fade, sans passion débordante. Indifférence, nonchalance...Désinvolture du metteur en espace qui ne souhaite pas trahir une certaine distanciation....Tout bascule dans la seconde partie, où les images projetées seraient butin d'une caméra de surveillance ou tout simplement l'effet loupe sur les situations. Ca bouge au creux du tombeau, ça "tombe" bien pour nous impliquer au cœur de la terre, de la chair.Un trou, une béance, une faille ou brèche d'où vont émerger corps et textes pour évoquer le pire, enfouir ou exhumer la terreur. Cimetière en réduction, cérémonie de deuil ?
Alors que tout se clôt toujours dans l'interrogation: on se représente le tueur, ou le corps du jeune homme sans savoir, on reste dans le questionnement des événements sur cette plage, lieu improbable, incongru du massacre. Trouble, menace, épée de Damoclès suspendue au dessus de nos destins, cette pièce, courte et "coup de poing", interprétée finement, avec justesse et équilibre par les cinq comédiens, sur le fil de la déraison, se révèle poignante.
Quand ce monticule de terre battue, évoque la mort, l'enfouissement, l'enterrement à ciel ouvert, tout est permis au "Théâtre Ouvert" qui nous livre ici un récit touchant: celui de ces "balles perdues" d'un attentat où les victimes sont visées et malgré elles embarquées dans un processus de mort, de destruction, de chantier ouvert.
Tombe, chute, horizontalité des vies détruites, décimées..?
Et on devance l'actualité la rendant urgente, à traiter d'une façon originale et déstabilisante. Une réalisation singulière dont la caractère dérangeant soulève moulte questions sur la mise en forme de la violence et du politique.
Au TNS jusqu'au 23 Février
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