mercredi 14 mars 2018

"Au bois" : une faim de louve ! Claudine Galéa : un arbre qui cache sa forêt vierge !


Une création au TNS - Texte de Claudine Galea - Mise en scène de Benoît Bradel - Avec Raoul Fernandez, Émilie Incerti Formentini, Emmanuelle Lafon, Seb Martel, Séphora Pondi.
 Au Bois s’inspire très librement du Petit Chaperon rouge. Mais ici, la fille refuse d’aller voir la grand-mère parce qu’elle a mieux à faire. La mère rêve de rencontrer un loup charmant et se perd dans le bois. Le bois parle, craque, en a marre de la maltraitance humaine. Claudine Galea - auteure associée au TNS - part de la matière du conte pour nous questionner : de quel bois sommes-nous faits ? Quels fantasmes ? Quels cauchemars ? Quels désirs ? Le metteur en scène Benoît Bradel, associant acteurs et musiciens, s’empare avec appétit de cette matière d’insoumission, faite de colère, de chansons, d’humour, de révolte joyeuse.

http://genevieve-charras.blogspot.fr/2016/05/au-bois-nous-nirons-plus.html

Un décor qui fait songer à un petit square urbain, fait de planches de bois, de bac à sable: une forêt urbaine malmenée, désincarnée pour un conte non expurgé. Qui va donc se promener sur cette aire habitée d'un écran vidéo, d'un m^t chinois de bois, sinon des personnages bien campés par leurs rêves, leur soif de vivre et de jouir . C'est l'histoire d'une mère et d'une fille, bordée au tout début par une curieuse ambiance tissée par des vois off, des cris d'animaux: sommes-nous dans un univers qui va basculer dans le conte ou dans une réalité sociale crue et nue? Les rapports tendus et affectueux des deux femmes, l'une vêtue de paillettes, l'autre d'un kilt et d'un training rouge, collants noirs, bien coiffée d’extensions rousses.Jamais caricaturales les voilà jetées dans la gueule du loup, un rockeurs chancelants sous sa capuche d'hiver qui rythme leurs désirs les plus fous, leurs frustrations évidentes.La forêt, ce bois pollué, à la périphérie des villes (celui de Vincennes de Claire Denis et Deleuze ? ) Le bois dont les rêves sont faits !
On se souvient du roman graphique "Morphose" pour l'installation "Seule avec loup" de N+N Corsino....(lire turbulences 
vidéo n° 53)
La bête hante l'univers de Claudine Galea.....


seule avec loup galea corsino


Petit bois derrière chez soi qui va prendre corps et s'animer comme un "wilderman" à la Charles Freger
Revêtu de feuilles de chênes, tout vert, "itou", beau parleur et cachottier, séducteur et plage de jeu pour ce petit monde qui s'agite autour de lui.La mère s'affole dans un jeu malin et coquin avec lui, s'y frotte alors que sa fille très terre à terre vit sa vie de "chaperon rouge" sans motte de beurre. Les galettes seront pour la mère qui se lèche les babines dans des envies de nourriture. Les images de forêt en noir et blanc hantent la pièce, lumineuses, curieuses et menaçantes. Le bois n'est pas innocent qui cache aussi le chasseur qui traque et sillonne le territoire. La vie du bois c'est ce "velouté de loup qui fait velouter la mère", louvoyer ce petit monde lubrique, comique, burlesque et intimement humain Désirs, faim de loup garou, bêtes et belles font de ce conte à rebours, un pamphlet, un petit manifeste de vie dans les plis de l'amour, de l'envie; ces femmes qui hurlent avec le loup, le désire et le consomme avidement, en pensée, en actes. Claudine Galléa traque et chasse le verbe dans une écriture romanesque, griffée de bons mots, dévorant à pleines dents la vie agitée d'une humanité sauvage, friande d'érotisme. Les ogres veillent au grain au détour du chemin et chaque comédien jubile dans son rôle. La fille rebelle, Séphora Pondi, la mère coquette rutilante et dansante, Emilie Incerti Formentini, le bois magique incarné par le feuillage d'Emmanuelle Lafon, le loup, plutôt tendre musicien de Seb Martel, le chasseur grandiloquent de Raoul Fernandez: un "bestiaire" humain très proche de nos semblables petits monstres désopilants de conte de fées pas pour les enfants.
Même pas peur du loup, mais plutôt de la louve et sa petite qui vont à la conquête de leur être dans ce bois hanté par les forces masculines désuètes ! On plutôt envie d'y retourner dans "ce petit bois de Saint Amand" !
Femmes qui courent avec les loups! (Clarissa Pinkola Estés)

Au TNS jusqu'au 28 Mars

Travaux publics:Carmen: le dernier acte: celui de la mort: Olga Mesa et Francisco Ruiz de Infante: mourir par procuration, couleur Carmen !




"Les Travaux Publics sont des étapes de travail ouvertes au public à la fin d'une période d'accueil studio. Entre extraits de pièce et discussion avec le public, ces échanges sont l'occasion d'interroger la création, ses procédés et ses enjeux, d'approcher les intentions de l'artiste, sa démarche. Le projet de la chorégraphe et du plasticien initié il y a trois ans – librement inspiré de l’opéra Carmen de Georges Bizet et des Sonnets de William Shakespeare – se rapproche de l’acte final. Les deux artistes dont POLE-SUD a déjà accueilli des étapes – expérimentations alliant performance et arts visuels – réinvestissent le studio. A la façon d’une écriture autonome qui se propage par clignotements, ils font évoluer leur travail dans un espace hybride, ou l’image, le son déstructurent les processus narratifs au sein de paysages autofictionnels entrecoupés." I.F.


POUR MEMORE....
http://genevieve-charras.blogspot.fr/2014/05/olga-mesa-sur-le-tarmak-les-crash-tests.html

Un chantier ouvert ça se visite avec un casque et quelques précautions de sécurité, des consignes d'écoute et de visibilité.
Alors c'est Francisco qui s'y colle, tableau paperboard au poing pour exposer le déroulement de ce work in progress, les fondamentaux de la création de ce quatrième chapitre de "Carmen Shakespeare"!
Couleur Carmen, rouge carmin.
Une étape du travail, un début à tout, une émergence de la matière, un "corps-dispositif" va naître devant nous: nous en serons les témoins, les passeurs d'idées.Francisco plonge dans l'étymologie, expose ce qu'est le "jaléo", ce grand bazar, "bordel" bouillonnant de la création: "encourager", avancer ! La fiction et la construction de cette fiction sont indispensables au récit, au mouvement. Si de la séduction au conflit, de l'errance à la mort, les faits s’enchaînent dans ce double diptyque sur Carmen, la légende de Bizet, des éléments nouveaux rentrent en jeu: le matamore et ses multiples clones pour incarner ou fustiger la Mort: car la Camarde sera bien là, et contrairement à certaines rumeurs dans le monde de l'Opéra (version de Léo Muscatto où Carmen tue Don José), Carmen est visée.
On démarre: Olga Mesa, au sol, lance les objets du délits: lampe tempête, et autres accessoires, en rampant, en reptations langoureuses et furieuses.Elle joue avec la couleur rouge à travers des gélatines qu'elle brandit: obstacles, menaces, couleur "carmin" comme le sang ou la couleur de sa robe rouge qu'elle va bientôt enfiler à l'apparition de Francisco sur scène ?
Des respirations régulières ponctuent l'action: le souffle, la vie veillent sur son sort: comme un flux et reflux d'une marée montante....La chute de Carmen sur une musique des Beatels, des citations qui défilent sur l'écran de fonds de scène: "l'amour c'est tout, la mort, c'est toi". La métrique du flamenco surgit, frappements réguliers et festifs du rassemblement dans l'arène, de l'encouragement et de la stimulation. Le suspens opère avec ses percussions régulières, évocatrices de l'empathie et de la catharsis de la tauromachie.On interrompt la séquence: voilà le travail en cours!
Et c'est à Vidal Blini, artiste associé au projet dans "le circuit court de proximité" d'exposer le pourquoi de sa présence: il y aura Sept Matadors pour mettre à mort Carmen ou Don José ou lui même: tueur à gage qui va s'interroger sur sa destinée et sa mission, une "commande" des protagonistes, une "procuration" pour tuer, dans ce "mètre carré" sacré de l'arène: Purcel et son "Roi Arthur" veille à l'ambiance glaciale....Et pourtant tout cet humour décalé opère et séduit dans cette narration drôle et singulière, surprenante! Coup de théâtre et revirements!
Qui seront ces Matadors invités, comment vont-ils travailler à distance et immiscer dans le processus de création et le dispositif scénique, si important dans le travail de "Hors Champs" ?
La Ribot, Loic Touzé et d'autres complices de toujours...Affaire à suivre dans ces strates, millefeuilles de la création, multicouches de la gestation d'une oeuvre protéiforme passionnante aux rebondissements constants.Y assister est un "privilège", l’excitation de la curiosité face au "résultat" escompté.
Ce rituel où l'on parlera de la mort, en groupe, en se questionnant dans le collectif, intrigue: quel sera le protocole pour l'ensemble des Matadors: qui va mourir le mieux dans cette corrida, rivalité affichée face à la faucheuse, hors champs où l'on se murmure à l'oreille tout ce que l'on ne pourra voir: voix off et danse, mouvements et dramaturgie à peaufiner: encore quelques mois avant la première à Vandoeuvre les Nancy!
En attendant, ça "chauffe" à Pôle Sud, berceau de bien des travaux de la compagnie "hors champ", celle qui voyage dans le monde sans cesse remettant son travail sur le métier à tisser!
Encore un chantier ouvert ce vendredi 16 Mars 19 H, studio de Pôle Sud si vous voulez mener l'enquête sur "la mort" annoncée de ....??? De qui ?




A propos du projet:
"Avec Le Dernier Acte (Celui de la Mort) de Carmen // Shakespeare se poursuit la réécriture improbable du mythe de Carmen à l’aune du langage des images et selon Shakespeare. Le présage de mort, qui traverse souterrainement les trois premiers actes, devient ici tangible. Comme dans l’opéra de Bizet, Le dernier acte est celui du face à face avec à la mort (face à face avec l’amour ?). Il y est question de la mort comme dénouement de l’amour, et du cheminement qui y conduit, qui est l’expérience de chacun des protagonistes.

Toute la dramaturgie est celle d’une fête, celle de la corrida, qui est littéralement la fiesta de la mort. Le plateau est pensé comme une arène. Dans la tension entre fiction et réalité qui traverse tout Carmen //Shakespeare, le rôle du matador est démultiplié.

Le Dernier Acte (Celui de la Mort) est conçu comme une suite de solos chorégraphiques nés des dialogues engagés entre Olga Mesa, Francisco Ruiz de Infante et plusieurs artistes invités. Chacun d’entre eux est, d’une certaine manière, invité à une reprise du rôle du matador : il se voit commander une réécriture du scénario de la mort de Carmen.
La mort de Carmen est-elle une hypothèse plus qu’une fatalité ? Peut-elle disparaître ?  
A partir d’un solo écrit par Olga Mesa sur l’amour et dans les tourbillons de la fête, chaque nouveau matador aura loisir d’envisager à sa manière le dénouement fatal. Cet acte est imaginé comme un terrain participatif, avec des chorégraphes et des interprètes qui construiront des éléments du puzzle.
Dans le souci de correspondance entre l’œuvre et l’époque contemporaine, de nouveaux sens seront donnés à des termes très précis de la tauromachie : sorteo (tirage au sort déterminant la répartition des taureaux entre les matadors), paseo (défilé mené par les matadors et leur cuadrilla en ouverture d'une corrida), la lidia (séquences que le torero réalise pour mener son combat en mettant en valeur les qualités de l'animal et en réduisant ses défauts), le desplante (attitude de bravade du torero face à l’animal), mise à mort.
Comme dans une corrida dans laquelle se rejoindraient plusieurs matadors, diverses formes d’écriture et d’interprétation seront mises à l’épreuve pour parler de la présence, de l’absence et de la solitude, une solitude au pluriel, pour des histoires à partager."



CHOEUR :
Une place vide sous le soleil. Un écran éteint. Plus de trace de la machine. Les barrières font le tour de la scène, comme une arène, tous se préparent et s’échauffent pour la fête finale… the last show !
ELLE :    Donc la phrase...
LUI :       On avait celle de Shakespeare, n’est-ce pas ? « Il s’agit de créer un présage de mort »
ELLE :    « Il s’agit de créer un présage de mort »
LUI :       Je ne sais pas.
ELLE :    Non, la phrase était : « I will be ready when the great day comes »
LUI :       Prêt à quoi ? Tu comprends ?
ELLE :    Oui, « Je serai prêt quand le grand jour arrivera », « Le jour merveilleux ».
LUI :       « Je serai prête ». OK ?
ELLE :    Mais on est en train de parler de la Mort, n’est-ce pas ?
LUI :       Non, on est en train de parler de l’Amour."


mardi 13 mars 2018

"inaudible" de Thomas Hauert : la mélodie du bonheur, la gaieté lyrique !


"Mais qu’est-ce donc qui ne peut s’entendre ? Les remarquables complices artistiques de Thomas Hauert nous invitent à découvrir cet « Inaudible » sur scène. Une chorégraphie tonique qui fait la part belle aux couleurs et à la jubilation de l’interprétation, qu’elle soit musicale ou dansée. 
Passés maîtres dans la relation musique et danse, les interprètes de la compagnie ZOO n’ont jamais cessé d’investir gestes, mouvements et partitions musicales avec ce talentueux besoin d’inventer et de partager la jubilation du corps dansant. Quant aux chorégraphies de Thomas Hauert, composées entre écriture et imprévu, elles s’ajustent à une écoute subtile des musiques pressenties pour chaque création. Spécialement créée pour six danseurs et deux partitions musicales, le Concerto en fa de George Gershwin et Ludus de Morte Regis du compositeur contemporain Mauro Lanza, Inaudible, se confronte à une nouvelle approche : renverser le principe cinématographique du mickeymousing – cette manière de surligner par la musique chaque mouvement physique de l'action à grands renforts d'effets de bruitages – afin de laisser les corps suivre la musique au plus près." I.F.
En prologue, une sculpture de corps, mouvante s'offre au regard. La musique plutôt comique et enjouée donne le ton: la mêlée est belle et promet le meilleur. Fondu au noir comme au cinéma et c'est Greshwin qui prend le relais et ne cédera plus sa place avec le "Piano Concerto en Fa Allegro": par extrais, on en suit les aventures, les tectoniques et la jovialité comme dans une bonne comédie musicale: gaieté lyrique et mélodie du bonheur pour ces six danseurs qui modèlent l'espace, chacun dans sa gestuelle, sa morphologie, son âge. Interruptions, reprises, petites démonstrations de savoir faire pour chacun: gestuelle enroulée, segmentée: chacun semble y incarner un bout de phrase pour une syntaxe syncopée, ponctuée curieusement de multiples signes: interrogation, parenthèse, exclamation...
C'est aussi la parade carnavalesque, costumes seyants de cirque, de présentation ludique des corps dans une danse, tout style confondu.Quelques arrêts sur image et tout reprend. Un beau solo burlesque d'un homme en costume de parade sur une musique de film, avec aisance, désinvolture et nonchalance. On est dans des univers familiers de comédie musicale, de cartoons et ça fait du bien !
Le danseur se cherche dans une mécanique incroyable dans sa combinaison de fête et ça fonctionne bien.Comédie de la vie de groupe, gaieté contagieuse, jovialité d'une musique "gonflée" à bloc, emphatique et parfois grandiloquente. Mais n'est pas GershWin qui veut.Les images défilent comme au cinéma, les corps jubilent et se perdent dans la dépense, l'effort, la danse endiablée.Le souffle est repris après cette performance, dans le silence, le calme revient: les entrelacs savants de corps en fusion, jambes dressées, enlacées, enchevêtrées.Donner à voir la musique de façon débridée, en tous sens, lasse cependant et fait place à des répétitions et reprises parfois inutiles. Au final, encore une belle sculpture mouvante sur les sons inouis de Mauro Lanza, sorte de zoo musical fabuleux, comique et évocateur de joie.Maillage des membres de chacun, jeu de légo en pièces détachées comme des jouets savants qui bougent, roulent, s'exposent.
"inaudible": symphonie jubilatoire pour danseurs épris de musicalité, partageux, désireux de plaire et heureux de composer avec une partition joyeuse, simple, "populaire".

A Pôle Sud le 13 MARS