vendredi 16 mars 2018

"Sintese", invité d'honneur ! L'imaginaire, lusophone !


Photo Robert Becker

Un an après avoir donné deux concerts au Portugal à l’invitation de ’Síntese - Grupo de Música Contemporânea’, l’Imaginaire a le plaisir de les accueillir à son tour. Le concert s’inscrit dans le cadre de la saison de l’Imaginaire à Faubourg 12, avec un programme qui met la création portugaise à l’honneur. Le concert est suivi d’un moment convivial : une rencontre/échange avec les artistes autour d’un ’apéro’. 
Dans un "décor" pour le mieux adapté, une exposition photo des travaux de Pierre Ferrenbach "Retour Argentique", clin d’œil architectural au format de la diapositive paradoxalement traité en noir et blanc, nous voici au pays des contrastes, du "noir" comme la couleur privilégiée de la culture lusophone !
Un concert en "noir et blanc", touches suggestives des vêtements noirs des musiciens, de la blancheur du "white cube", des œuvres accrochées, photo-graphies très dynamiques de compositions rythmées.

Eduardo Luis Patriarca (n. 1970)
Auat VI (Memento) (2017)
pour voix soprano, saxophone alto, accordéon, alto et violoncelle
L'oeuvre en hommage à l'écrivain poète bouddhiste Eduardo Lourenço démarre vivace, allègre, riche de beaux vibratos d'instruments alanguis. La voix parlée dialogue avec le saxophoniste: la chanteuse raconte, chuchote dans sa langue chuintante et douce à l'oreille. Allegro des cordes qui bordent voix et saxophone en dialogue.En résonance l'environnement plastique de l'accrochage photos, vibre et renvoie du rythme et de la sobriété lumineuse: noir, "ultra noir" frémissant, vibrant.Tremblant, oscillant.

Cândido Lima (n. 1939) 
Salmodia da Noite e da Montanha (2018) 

pour voix soprano, saxophone alto, accordéon, alto et violoncelle
Inspirée par la ville de Guarda, les montagnes et un poème de Pessoa,l'oeuvre démarre dans une ambiance languissante de sirène, la voix en écho  chuchote et circule à travers les sons des instruments: en l'occurrence un accordéon résonnant, respirant.Présence sonore incongrue et bienvenue auprès des cordes du violon et violoncelle !Comme une prière qui pas à pas avance, la voix est vindicative, parlée comme un sprechgesang murmuré.Recueillement absolu devant un paysage urbain qui se dessine, se compose de touches musicales appuyées.Les secousses de l'accordéon remuent et touchent, ciblant un univers bigarré, tectonique.Les sons s'agitent dans de belles répercussions contagieuses. La voix s'impose, aiguë, percutante. Au final, la douceur ambiante s'allonge, se répand, s'étire, plane et se déploie en nappe de nuées volatiles.


Sara Carvalho (n. 1970) 
... when I walked, I cried to dream again (création mondiale) 
Pour saxophone alto solo 
C'est la "Tempête" de Shakespeare qui inspire ce solo inédit: graves et aigus s'y confrontent, en alternance, comme des sirènes de bateau, des vibrations, longues tenues dans l'espace, animent le fil de la musique, du souffle.Quelques soubresauts, envolées dans les graves, sont autant de marches ascensionnelles, comme des précipitations joyeuses. Voyage onirique dans le temps, un souffle final clôt la pièce, accalmie après la tempête!

Nuno Côrte-Real (n. 1971) 
Gacela del Niño Muerto (2018) 
pour voix soprano, saxophone alto, accordéon, alto et violoncelle 
La guerre en Syrie en est la source d'inspiration, les enfants disparus et sacrifiés, la quintessence. La gravité du propos, l'hommage en font une ambiance dramatique, puissante et recueillie. La lenteur, comme une marche solennelle progressive, chemine et conduit au respect et à la considération. L'accordéon en ressort puissant, dramatique et très présent. Comme dans un cortège, on chemine aux côtés des interprètes, dans les reprises, avancées en ascension: procession intuitive et sensible d'une communauté d'instruments au service d'une dramaturgie musicale intense et convaincante. Offrande juste et pertinente pour évoquer la douleur, la souffrance dans une belle amplitude.

Jorge Peixinho (1940-1995) 
Sine Nomine (1987) 
pour ensemble à géométrie variable
Dernière pièce du concert qui va réunir les deux ensemble, L'Imaginaire et Sintese: pour le meilleur d'une rencontre percutante, une écoute mutuelle intelligente et intuitive de deux "cultures" qui se rejoignent!
Après une attaque déferlante, le suspens s'installent entre les instruments: lutte, combat, osmose?
La voix s’immisce , instrument à part entière: dans cette savante composition, chacun s'installe, se répond, se succède l'un à l'autre. Très posée, l'oeuvre respire, se donne le temps de vibrer, de résonner: le violoncelle progresse, avance, note à note, tenu pour évoquer une belle rêverie.
Rêve dominical éveillé, ce concert riche de propositions multiples et variées, interroge l'écriture contemporaine, la renvoie à la plasticité de la scénographie très pertinente en noir et blanc, couleur lusophone!

Une "matinée" animée et conclue par un apéritif festif, plein de saveurs portugaises épicées, vivaces, cuisine "note à note" pour boucler une partition conviviale: un "imaginaire" tissé et bien réel, parcouru de découvertes et surprises
Les deux ensembles s'assemblent et se ressemblent dans toute leur altérité et singularité
Et si la musique contait de sa voix les plus belles histoires poétiques portugaises ?
C'est chose faite et prouvée, assumée par Sintese, un groupe idéal et unique, passeur de la création musicale contemporaine du Portugal.

Exposition galerie Jean François Kaiser (hors les murs), commissaire Karin Graff

jeudi 15 mars 2018

"Live at home" n° 11 : faire bon ménage à trois ou "cosy fan tutte"...


Pour cette onzième édition, les Percussions de Strasbourg invitent l’ensemble vocal contemporain Voix de Stras' - Catherine Bolzinger dans un programme hétéroclite autour de trois compositeurs. 
L’espace scénique aménagé tel un grand appartement représente le terrain de jeu de quatre percussionnistes et de quatre chanteuses dirigées par Catherine Bolzinger. Ils s’approprient l’univers débridé et plein d’humour de John Cage, dans un décor saugrenu en faisant appel à des outils technologiques du quotidien. Tout au long de cette fête, l’électronique de Tom Mays et ses œuvres nous accompagnent et ponctuent la poésie subtile, envoûtante et puissante de Nikolet Burzyńska.

Sur le plateau règne une ambiance cosy, on tricote, époussette, on fait des pompes, on papote, on bouquine, on brique les colonnes doriques...On s'affaire...En tenue décontractée pour les quatre hommes, plus classe pour les quatre femmes...Et c'est l'ouverture officielle: on nous promet les noces des voix-l'art de la ligne- avec les percussions-l'art de l'impact- et l'on y joint l'électroacoustique!
Et une bonne loupe pour transformer notre vision du son!
La mise en scène s'annonce ludique et joyeuse: on est chez soi avec ses ustensiles du quotidien.

PROGRAMME DU CONCERT, en coproduction avec Voix de Stras':

Tom Mays / Intro / 3’54 (2016)
Tom Mays / Outro / 1’27 (2016) Extraits de Notes de Voyages démarre le concert.

Des sons lancinants, envoûtants qui se prolongent à l'infini. 

Nikolet Burzyńska / La Féminité / 7’ (2013)

Les voix se fondent, psalmodie en "A", voyelles en-tuilées, beaux aigus profonds des chanteuses, suspensions, prières et rebonds, cris.D'infimes tenues, vibrations subtiles: que des bonnes ondes électroacoustiques et vocales ! Un travail fin et distingué, tendre et retenu.

Tom Mays / Unvoiced / 5’ (2018) - Création mondiale
Sur des objets hétéroclites, l'atmosphère naît de rencontres sonores inédites, inouïes et ordonne une ambiance surprenante.

John Cage / Credo in US / 12’ (1942)


Sur des objets hétéroclites, l'ambiance naît de sons incongrus, comme pour une petite cuisine "note à note" inventive, suggestive: des clapotis et résonances sur un îlot de cuisine avec bruits de robots; sur l'établi, en tablier, les casseroles et boite de conserves résonnent et s'amusent! On entend sourire la musique de Cage, ce malin compositeur décoiffant. 


Tom Mays / Nonsense / 14’ (2018) - Work in progress

De longues tenues dissonantes au micro pour les quatre chanteuses, envoûtantes et hypnotiques, des répercussions dans l'espace qui flotte, quelques montées en puissance des aigus et ce chant des voyelles et consonnes retentit savamment.Point virgule, point d'interrogation, pour une ponctuation joyeuse, fébrile sur le mode grammatical et syntaxique!Bel inventaire des termes pour un point de vue et de croix musicaux fabuleux. Point. Com !
Comme une poésie sonore, étirée dans le temps, livre ses sons et meurt petit à petit.

John Cage / Living Room Music / 6’ (1940)

Voix et percussions pour un ralliement, un rassemblement festifs de sons du quotidien: feu de tout bois, les matériaux du quotidien résonnent "Il était une fois", une bien belle histoire de sons et une chef, balayeuse qui joue au bâton et à la majorette. Catherine Bolzinger s'amuse et le tableau des quatre garçons et filles dans le vent est irrésistible!


Nikolet Burzyńska / Altered States of consciousness / 10’ (2017) - Création mondiale 

Une tribu de quatre percussionnistes dans une structure plus classique: frénésie, agitation, volume sonore puissant pour une transe musicale proche du rituel africain; puis c'est l'accalmie d'une boite à musique qui berce le final.

Le concert décoiffant  offre la visibilité d'un mariage réussi et audacieux où les partenaires se croisent, s'évitent, se rencontrent pour inventer de nouveaux espaces de création. La mise en scène où masculin et féminin déborde d'humour et d'énergie nous rendre très "cosy" une musique d'aujourd'hui qui n'a d'égale nulle part ailleurs que dans cette expérience unique, fantaisie débridée pour musiciens déjantés Cage fut ravi de ceci et sa voix, son rire qui sourd de la bande son nous font "vivre" dans cet appartement, comme il l'aurait fait, en peignoir, buvant son thé ave Cunningham, hilare et observateur à sa fenêtre des déplacements et circulations du monde.
Un petit rappel, et on se quitte enchanté,sur des tonalités , à louer les vertus d'un appartement peuplé de colocataires qui se sont trouvés!

Butho !