mercredi 21 mars 2018

"Man anam ke rostam bovad pahlavan": Ali Moini, garçon boucher !




"Avec son titre en farsi issu d’un proverbe populaire iranien, la démarche artistique d'Ali Moini oscille entre rituels et mondes urbains. Tels deux insectes pris dans une toile d’araignée, le performer et sa marionnette métallique se livrent à un étrange dialogue de corps en suspens dans l’espace. Relié par un système de poulies mécaniques à un squelette métallique à taille humaine, Ali Moini entre en conversation. Troublants sont ses gestes comme ses mots. Il est question de volonté, de violence, de colère, d’affection, de fidélité, d’acceptation. Entre la marionnette et lui tout se trouble, on ne sait plus bien qui impulse le mouvement, qui est le sujet ou l’objet. Cette indistinction des rôles inquiète, dérange et réjouit à la fois. Entre avatar et identification le performer interroge la notion de double.I.F.

Un décor de bouteilles plastiques en contrepoids, comme autant de pampilles suspendues.Un homme en tenue d'escalade ou de parachutiste est suspendu par sa combinaison bleue , par un savant dispositif de fils entremêlés, accrochés aux cintres.Tel un sportif prêt à la performance. Quelques oscillations infimes font bouger simultanément une étrange créature, face à lui, en étroite relation de suspension. Une sorte de squelette de métal, articulé: la structure se meut, s'émeut de ses mouvements, tend un bras, en salutations ou gestes répétés. Aux inclinations de l'un, l'autre répond en miroir, tel un clone, un avatar singulier et étrange. Ils volent tous les deux, bras en croix tels des crucifix suspendus à des cimaises.Squelette désincarné imitant l'autre dans ses schémas ostéopathiques, cliniques, exosquelette de laboratoire.Tandis que le ballet de bouteilles fait chorus, les enveloppe, ils gravitent dans l'apesanteur à cœur joie.
Gestes décortiqués, analysés, ondulations raidies des segments pour la "marionnette"mécanisée.Homme sans tête, créature fascinante, instrument accordé à son manipulateur chevronné. Quelques petites secousses tétaniques les rassemblent, comme deux demi-dieux accrochés aux cieux.Telle une mante religieuse, le monstre mécanique, insecte hybride va se métamorphose, prendre corps.


Écorché perdu dans une salle de musée d'anatomie comparée, la "créature" va s'incarner, prendre corps et vie. De la viande contenue dans un petit bac va servir de muscles, de chair que le démiurge manipulateur va lui coller aux articulations. Comme autant d'ornements baroques, de dentelles roses, de morceaux de chair en lambeaux.Costumier, habilleur, chirurgien, cette nouvelle vocation engendre chez l'homme un rapport intime et très clinique avec son partenaire ludique du début De duo, on passe à un duel, rituel singulier de mort ou de résurrection. Cadavre exquis suspendu comme un épouvantail dans un charnier pour oiseaux de proie, vautour déchiqueteur de viande. Les images sont fortes et très plastiques.La bestiole, mutant inquiétant, créature défaite, décharnée, déstructurée semble mourir une seconde fois, déchiquetée. Découpée dans une ambiance oppressante crée par la musique sourde et ascendante.
Déchirure, souffrance de carcasse sectionnée: le boucher débite et rompt la chose qui se défait, s'étiole, se détruit: horreur et fascination comme dans un film de science fiction très gore!Tueur, criminel de la Grande Boucherie, devant la dépouille, les oripeaux de chair, comme à l'abattoir, dans un instinct de vengeance, l'homme tue sa créature dans un beau carnage final. Le choc est fort et l'on ressort de ce spectacle très engagé, bouleversé, remué.
A Pole Sud dans le cadre du festival Les Giboulées, en coréalisation avec le TJP


ud



"Maibaum": un arbre qui ne cache pas de forêt!


"Cinq constructeurs-danseurs manipulent des bobines de fils sorties de caisses en bois pour bâtir une nef, tressant patiemment un cordage autour d’un immense mat. Cette partition millimétrée s’effectue dans un silence hypnotique. 
Le public est happé par la contemplation des gestes ciselés de la communauté à l’œuvre. Le chorégraphe espagnol poursuit ici son exploration de la relation du corps à l’objet à travers la mise en scène de constructions d’architectures improbables. Leur forme n’apparaît qu’à la fin de la performance, dévoilant à rebours le sens et la nécessité de chaque mouvement. Né en 1980, Jordi Galí se forme en danse contemporaine à l’Institut del Teatre de Barcelone et devient interprète pour des chorégraphes. Il crée la Cie Arrangement Provisoire en 2007, se centre sur le dialogue entre geste et objet à travers la mise en scène d’installations, de fictions architecturales éphémères et poétiques qui se révélent au fil de chaque performance. Jordi Galí est, avec Vania Vaneau, artiste associé au Pacifique CDCN de Grenoble."I.F.

Comme une ode à la construction, l'érection d'un arbre de Mai est une construction symbolique d'un monde utopique, à partager le temps d'une cérémonie
C'est à cet acte de "bâtisseur d'empire" que s'adonnent nos cinq performeurs se jouant des entrelacs des fils qui tissent, enroulent et forment nattes et mailles de filet.Des paysages se dessinent: un port où des pêcheurs tirent des filets, un dos de baleine échouée dont le squelette gît sur le sol, avec ses immenses arêtes autour d'une colonne vertébrale. On est dans la Galerie de l'évolution au Jardin des Plantes à s'interroger sur la mémoire de l'humanité. Les danseurs s'affairent dans le froid, sur la pelouse face à l'Esplanade de la Faculté de Droit de Strasbourg.Un campus où cette tribu trouvera ses repères, son fief, son campement d'un jour. Son bivouac.La sculpture finale est une spirale ascendante, faite de fils qui s'entrelacent et donnent lieu à une passerelle ajourée qui monterait au ciel pour sa félicité, au zénith d'un ciel étoilé.
Les spectateurs sont assis sur des transats et observent la montée de l'édifice, comme un petit chantier en ébullition, une fourmilière qui bâtirait à vue son habitacle pour venir s'y loger, le temps de la performance.Poétique du lieu, magie de l'éphémère, tout opère pour amarrer nos rêves d'architecture utopique, de monde rêvé, de topos improbable.

Une initiative du TJP et du service universitaire de l'Action Culturelle dans le cadre du festival "Les Giboulées"
les 21 et 22 Mars sur le campus (15H /18 H)

s

"La loi de la gravité": Actuelles 20 aux TAPS: Olivier Sylvestre: question de "genre"


La loi de la gravité, c’est l’histoire de Dom et de Fred, de l’année de leurs 14 ans, de leur rencontre en haut de la falaise et surtout d’une amitié qui sera profonde comme le fleuveà Presque-La-Ville. Dom et Fred trouvent en l’autre un refuge contre le monde où la norme tue. Au travers des trahisons que subit Fred et d’une histoire d’amour qui ravage Dom, se profile la quête d’un genre à soi, unique, qu’on doit imaginer, pour mieux vivre.


Faire entendre et faire circuler les textes de théâtre actuels, les confronter au public, inviter leurs auteurs-es à être à la fois les témoins et les parties prenantes de ce moment si particulier, favoriser les échanges et partager des émotions : tel est le principe d’ACTUELLES, ce temps fort de la saison du TAPS dédié aux écritures dramatiques

Les maquettes des cinq lectures sont exposées dans le hall: seule celle de la lecture de ce soir est dissimulée sous un tissu noir...On découvre alors la scénographie en pénétrant dans la salle de spectacle, entièrement reconfigurée, transformée pour l'occasion.Un exercice scénographie in situ et en temps réels des Quatre étudiants de la HEAR; le "décor" est planté et sera argumenté par les deux protagonistes: il y a en face d'eux, "la ville" avec ses grandes lettres blanches à la police radicale, droite et angulaire. Et, eux, sur des praticables tectoniques, à l'architecture bouleversée, fracturée, installe ou incertaine. Perchée sur cette structure, éclairée sur un fond bleu, se sera leur territoire, " presque la ville". Un pont reste à franchir qui fera l'objet des préoccupations de ce "couple" improbables, d'amis amoureux, d'amants : c'est "pas mal trop loin de la ville".
La métaphore est tissée, le dialogue qui s'installe entre Dom et Fred est bouleversant: faire connaissance, se faire des amis, se respecter, se disputer sera la marche à suivre tout au long de la lecture. Les deux comédiens Logan Persan et Stéphanie Félix sont l'incarnation de ses adolescents en quête d'identité: deux portraits saisissants d'êtres qui bouillonnent, qui hors de la norme, pas "pareils" gravitent dans la grâce, la tendresse. Vérité, authenticité, simplicité des personnages émeuvent Aux dires de Catherine Javaloyès, metteur en espace et partenaire, conteuse de la pièce, envisager l'être peut se placer dans l'amitié amoureuse,  ou l'amour amical. C'est cela qui l'a touchée dans le choix du texte d'Olivier Sylvestre.Un texte qui ose traiter du "genre" de l'identité qui oscille à l'âge où on cherche qui on est. Homme, femme, désir d'être un autre , défier les normes et assumer sa différence. Dom se veut homme, Fred se découvrirait bien femme et leurs prénoms, doublement sexués porte à la confusion, au trouble. Un "entre-deux" obscur et lumineux, drôle aussi parfois, histoire de "détendre" une ambiance tendue.Passer, franchir le pont pour aller vers la grande ville ou simplement là où l'on sera reconnu et considéré, respecté: c'est l'objet de leur quête. Le texte porte cet enthousiasme, ce rêve, cette foi en la vie et sa propre identité. On ne perd pas pied ni espoir dans cette urgence d'abolir les frontières.
Au Québec explique l'auteur qui se dévoile au final au public, le genre est aussi tabou: la rage contre les catégories figées s'exprime. Son désir d'écrire pour les adolescents dépasse de loin les limites d'âge et "La loi de la gravité" est universelle !
 Cette pièce "refuge", sur la falaise reculée où se réfugient nos deux anti-héros exclut dans la mise en scène l'apparition des autres personnages évoqués. A bon escient, on se concentre sur les vivants, ces deux tendres personnes qui se cherchent. La guérison du malaise, des blessures aura bien lieu, de l'autre côté du pont à franchir dans l'allégresse, pas la démission ni soumission aux lois de la conformité !
On rit aussi sur un sujet grave dans une narration fluide et suggestive. Quelques chuchoteurs en salle en profitent pour murmurer dans l'oreille des spectateurs assis au sol ou sur de petits praticables, quelques mots d'anniversaire pour les 20 ans des Actuelles Car quand on aime on a toujours 20 ans et l'on déguste, durant le temps de la discussion conclusive, le salé-sucré des souvenirs de jeunesse du chef Oivier Meyer...Et la musique de se faire écho à cette recherche:celle très inventive de Nicolas Beck, ponctuant au "tarhu" un instrument hybride ancestral, la narration truculente de nos deux personnages si attachants et émouvants
Histoire de genres, histoire de franchir les obstacles et assumer ses qualités!
Belle leçon de vie !
Pour mieux voyager encore après spectacle, une "fiche de salle" circule, comme un guide pour aller plus loin dans les univers musicaux et performatifs.r



CINQ SOIRÉES UNIQUES,CINQ TEXTES À DÉCOUVRIR…
La saison 2017-2018 accueille la vingtième édition d'ACTUELLES. 91 textes auront été lus depuis la première édition de ce temps fort débuté en 2005.
Le principe est toujours le même : cinq pièces sont sélectionnées par les artistes associés (Aude Koegler et Yann Siptrott cette saison) en collaboration avec le comité de lecture du TAPS.
Ils les confient ensuite à des directeurs-trices de lecture qui constituent leur équipe d’interprètes pour assurer la mise en voix, et de musiciens-nes pour composer la partition sonore.

Chaque soir, un texte est ainsi présenté au public, dans une forme simple privilégiant le rapport direct entre les artistes et les spectateurs. Cinq équipes d’étudiants-es de la section scénographie de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR), accompagnés par leurs enseignants et l’équipe technique du TAPS, prennent en charge la mise en espace de chaque lecture, tandis que le cuisinier Olivier Meyer (Kuirado) concocte des mises en bouches inspirées par les textes et dégustées au fil de la soirée. Des étudiants en dramaturgie de la section Arts du spectacle de l’Université de Strasbourg composent les feuilles de salle et proposent, pour chacun des textes, des pistes de réflexion singulières.