dimanche 23 septembre 2018

"Marquis de Sade": expressionnistes en diable!


Invités par Musica, L’Ososphère et l’Opéra national du Rhin pour une soirée exceptionnelle, on retrouve Marquis de Sade à Strasbourg où leur présence prend une résonance européenne particulière.
"Marquis de Sade", concert rock: une surprise de plus de la part du festival Musica !
A l'Opéra du Rhin, ce bel écrin, théâtre aux fauteuils de velours, un concert rock, ça se fête !
Le parterre est "populaire" mais ne peut se tenir debout pour bouger à sa guise!
Peu importe à 20H pile, heure syndicale, le concert démarre et les "Marquis" endossent leurs rôles de stars ressuscitées Des morceaux mythiques, des images et une scénographie très soignée en font un spectacle total, entraînant, scotchant autant par l'énergie déployée que par la rythmique endiablée.Philippe Pascal en figure de proue, encore excellent danseur aux gestes tétaniques, robotiques très stylés, longue silhouette distinguée.Ses compères et complices de l'époque s'emparant de la scène avec puissance et engagement.
Des clips superbes, à la construction savante étayent ce show, très expressionniste comme cette évocation de "Métropolis" et d'autres extraits de Murnau, qui soulignent leur ligne éditoriale. Éclairages et graphisme très recherchés balayent les parois du théâtre et un font un écrin lumineux et chaleureux. Les lumières stroboscopiques surenchérissent cette volonté d'ambiance et d'atmosphère griffée "Marquis de Sade", une signature très vivante, inspirée des grands du rock et pourtant si originale. Un concert kiné-tique, mouvementé, mis en scène pour une boite noire luxueuse, du velours rouge, caressé par les sons tonitruants d'une musique "nouvelle" revécue passionnément par sept grands artistes!

A l'Opéra du Rhin, ce Dimanche 23 Septembre


Tabéa Zimmermann: récital, alto : funambule, sur la corde raide !


En s’emparant de la Suite n° 4 BWV 1010 destinée au violoncelle, l’altiste allemande place ce programme sous les auspices d’une polyphonie qui se manifeste dans la virtuosité des doubles cordes et dans une écriture mélodique condensant plusieurs voix.

Bach en ouverture de ce concert exceptionnel, dominical à la Salle de Bourse, histoire d'évoquer allemande, courante, sarabande, bourrée, danses savantes et populaires, jouées avec dextérité et engagement par l'artiste de renommée internationale, Tabéa Zimmermann ! Danses baroques ou populaires, comme un collier de perles enfilées !

Au tour de Bernd Alois Zimmermann avec "Sonate fur Viola sol" de 1955 pour passer entre les doigts et l'archet de cette artiste hors pair, plantureuse femme au bâtit solide et rassurant.De longues phrases glissées, des contrastes saisissants, quelques piqués, lenteur ou vivacité, pertinence d'une douceur très en ressenti, infime délivrance du son: un violon pour une femme, pour un seul corps qui engendre de la musique, faite pour épouser les cordes Ils font "un" en fusion, en osmose.
Corps à cordes, corps-accords, corps raccords fascinants.
Des très beaux gestes l'animent, balancements, oscillations ; elle tangue et cherche les sons si complexes à saisir.

De sa sonate de Ligeti "Sonate" de 1991 elle tire des sonorités incroyables, la matière même de cette musique créée pour l'instrument. Une plainte, lente, sourde, comme une voix, puis un rythme plus alerte façonnent l'introduction du premier mouvement.
La virtuosité de cette exécution prestigieuse, ces sonorités à la frontière du "faux", de l'incorrect son fabriqué, méduse, trouble et sème une confusion sensorielle inédite. Pièce en double cordes, danse modérée, pseudo-tonale, avec des modulations folles, faussées !
L'instrument nu et cru. De l'inconfort pour l'interprète prodige,  qui plonge dans ce bain voluptueux de l'incertain, de l'interdit.Une danse "sauvage", turbulente, une chaconne au sens originel du mot.
 Prouesse qui nous fait réagir, en empathie avec cette prise de risques qui la fait transpirer, attendre, vivre les frontières du possible maîtrisable. Pas "rassurant" du tout, cet opus de Ligeti, grammaire savante de ses expériences sonores, glossaire de ses expériences . Position inconfortable aussi pour l'auditoire, écoutant ce phénomène, "monstre" de savoir faire , performeuse en diable, inhumaine.
Elle révélera tous ses talents lors des deux bis, généreusement offerts au public, l'un ravageur et plein de rage sur son instrument consentant, l'autre très lyrique, baroque, installée dans la quiétude du classicisme!
La musique EST son double, la musique ET son double, théâtre de la création, tout bonnement!*

A la salle de la Bourse ce dimanche 23 Septembre

" Counter Phrases": quand la danse devient toile, écran, film musical !


Au lieu d’élaborer un ballet à partir d’une matière sonore, Anne Teresa De Keersmaeker et Thierry De Mey ont demandé en 2003 à dix compositeurs d’écrire la musique de dix chorégraphies déjà filmées. Musica présente cette année la troisième version de ce fascinant work in progress.

Nouveauté au tableau de cette oeuvre si souvent revisitée tant elle contient en elle de multiples façons de la mettre en espace...sonore !Un compositeur malien Ballaké Sissoko !
Retrouver Thierry de Mey, depuis sa résidence si fertile au Conservatoire de musique de Strasbourg, est un événement
Pour les amateurs d'expériences liées au rapport étroit danse-image-musique, pour la découverte de nouveaux espaces tangibles pour la danse d'Anne Teresa de Keersmaeker.
Plaisir de voir et revoir certaines pièces en présence de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse et de nouveaux invités: les trois musiciens percussionnistes de Ballaké Sissoko sous la direction musicale de Laurent Cuniot,
Convoqués ici pour la même expérience: interpréter, prolonger l'énergie de la danse mise en scène dans des espaces singuliers, détecter les phrases, la syntaxe de la danse, du montage pour fabriquer une oeuvre hybride, inouïe, jamais vue, jamais perçue! Une musique de film, en résumé!
Des jardins extraordinaires sont ainsi révélés par le passage des danseurs: soliste, duettiste ou groupe animé de courses fulgurantes, dessinant dans les espaces, des lignes de fuite, des fugues, inscrites dans le mouvement
La griffe, la signature intacte de la chorégraphe, respectée, soutenue par cadrages, prises de vue, travellings ou simple plan fixe, signés Thierry de Mey, compositeur, réalisateur, chorégraphe de l'image.
Les images séquencées, plein cadre ou divisées en trois parties distinctes perturbent joyeusement le rythme de la lecture, vision de l'oeuvre filmique.



Les corps passent d'une image à l'autre, passe-murailles magnétiques, simples spectres bien vivants, habitants de ses jardins colorés, bleutés, rougeoyants, aux escaliers en plateaux horizontaux, aux haies cachottières
Du mystère décelé par le réalisateur, découvreur d'espaces végétaux: tapis verts de pelouse, perspectives fuyantes de jardins à la françaises, bosquets, allées ou jardinières de verdure.
Les vêtements singuliers, fleuris, colorés , signés de Dries Van Noten participent à cette allégorie picturale et sonore de ses êtres dansants, lutins des clairières, tribu ou ensemble vivant se déplaçant, nomades, à l'envi ! Mimétisme de ces caméléons qui se lovent dans une mouvance très repérable: pieds au carré, spirales enrobantes, directions multiples interrompues...Toute la grammaire de Keersmaeker rehaussée par le montage "magique" de Thierry de Mey
Et la composition musicale très inspirée de Sissoko fait mouche: percussions traditionnelles viennent modifier le sens, le poids et les impacts des images en mouvement, de la danse en fugue incessante. A deux reprises, les mêmes séquences sont projetées avec leur musique d'origine, puis avec la nouvelle composition. Ca fonctionne au quart de tour, modifiant l'énergie de la danse, le déroulement du film: "un autre film" avoue Thierry de Mey qui ce soir là, découvre comme le public, quatre morceaux choisis!
Les espaces, de végétaux, passent au minéral, la floraison s'amenuise, les rhododendrons disparaissent au profit d'un épilogue sur la musique de Steve Reich: architectures urbaines visitées par un trio de danseurs, lyriques, révélant lignes de fuite, verticalité des constructions en autant de partitions visuelles, de champs d'action vibrants, multidirectionnels comme la danse de Teresa. 

"Counter Phrases" n'aura jamais de cesse de nous intriguer, de nous faire passer de l'autre côté du miroir, sans compter son énergie, en contant des histoires de corps Sans plaquer de la musique sur de la danse, sans l'évacuar dans le silence, en respectant sa respiration, ses bruissements, son souffle

Au Point d'Eau à Ostwald samedi 22 Septembre