vendredi 28 septembre 2018

"Lonh" RN 7 : es lohnt sich ! A l'aune de la danse....le son, le texte, le corps-texte.


Depuis la civilisation mésopotamienne de Sumer au moins, l’amour a sa poésie. Il est l’un des plus grands pourvoyeurs de lyrisme de l’histoire de la civilisation humaine. Avec le passage de la poésie au chant, la musique prend corps, et il paraît tout naturel que les trois danseuses/chorégraphes et la scénographe de la compagnie RN7 aient souhaité prolonger le corps chantant de Françoise Kubler par des corps chorégraphiés pour investir l’espace scénique.
LONH est une pièce chorégraphique créée en étroite collaboration avec une artiste lyrique et une scénographe.
Elle propose un dialogue entre les matières des corps dansants, du chant et de l'écriture spatiale, à travers les oeuvres musicales contemporaines "Lonh" de Kaija SAARIAHO et "Kengir" de François-Bernard MÂCHE.

Voici pour les "notes d'intention" !
Sur le plateau, la chanteuse, de dos, de noir vêtue, trois femmes l'entourent et sa voix les anime de mouvements très lents, harmonieux: en silhouettes, noires, découpées par la lumière, leurs gestes sont sobres, nuques et corps cambrés, en alternance, les regards vers les cieux.i
Tandis que Françoise Kubler, un pupitre suspendu devant devant elle, incarne le son, la mélopée, les textes chantés, de la musique de François Bernard Mâche et Kaija Saariaho. Diction et jeu engagé, comme l'énergie douce qui sourd des corps des trois danseuses. Des cordes tombent sur la scène, liens et liaisons métaphoriques de la musique-danse, de la danse faite musicienne.
Déroulée comme un serpent ou par la suite, nid enroulé, chargé de loger la verticalité du chant ou la nidification du geste primitif. De beaux profils mesurés, posés, des courses ou des arrêts ponctuant les divagations des personnages, semés sur la scène, chevelure naturelle prolongeant l'énergie sauvage ou tendre de la gestuelle. Un trio à  l’unisson rassemble les corps dispersés dans l'espace, alors que la chanteuse , solitaire et belle, psalmodie de sa voix tonique et assurée, les sons et mots de sa partition, guide, qu'elle quittera pour se livrer seule, nus pieds dans l'espace. Alors plus indécise et chancelante, elle se meut sur le plateau, esquisse quelques gestes qui ne seront jamais de la danse à l'image de ses comparses.Du "poussez-tirez, du relâché dans la danse en font un exercice de style sobre et vécu de l'intérieur.De belles accélération dans les déplacements, à contre courant des accents ou des rythmes dictés par la ligne vocale. Puis plus de chant: souffle et respiration font corps, scansion des pas, audibles dans le silence, comme une prolongation des rythmes.
Directions, arrêts, immobilité....se succèdent. Elles ôtent lentement le haut de leur costume noir, étirent la matière du tissus en autant de sculptures plastiques, étirées, détirées comme un geste d'échauffement, lent. Des sculptures vivantes de Daniel Firman se dessinent en mémoire.


En position de coureur, en arrêt sur image, la danse ponctue la musique sans jamais la questionner ou l'importuner.
Libres, autonomes et pourtant "reliées" par ces cordes, métaphores de leurs liens, de leurs nœuds aussi qui semblent parfois entraver le mouvement, plutôt que de le servir.
Belles images plastiques mouvantes d'où vont surgir des chevelures hirsutes comme des figures africaines de danseurs fous. Le trio s'anime, en transe, les parures virevoltent tourbillonnent au final, alors que la chanteuse en quittant sa balancelle noire comme les cordes, se joint à cette mouvance étrange.En couleurs, rose, bleu, jaune, les figures s’effacent, le chant de la cantatrice, formidable émission de sons en langue étrangère qu'elle susurre ou éructe "par cœur", par "corps" , s'estompent.
Les nids, nœuds de cordes noires, flexibles et enrobantes, demeurent au sol, témoins et reliefs des péripéties dessinées en rémanence dans nos mémoires visuelles.
Il fallait oser creuser ce sujet cher à Françoise Kubler, les liens probables entre chant, voix, émission et gestes chorégraphiques.Sa voix guidant les incarnations futiles et vibratiles du geste dansé, la danse donnant du poids et de la gravité, de la densité au geste vocal: sur la corde enroulée, cordon ombilical entre les deux disciplines, si loin, si proches ! Plus que jamais, les textes chantés, habités magistralement par une artiste faite pour cela, incarnant matière sonore et corporéité avec brio et simplicité.

Au TJP ce jeudi 27 Septembre.

Chorégraphes : Lena ANGSTER, Marine CARO, Jessie-Lou LAMY-CHAPPUIS
Chant : Françoise KUBLER
Scénographie : Mathilde MELERO
Création lumière : Suzon MICHAT
Pièces musicales : "Lonh" de Kaija SAARIAHO
"Kengir" de François-Bernard MÂCHE

jeudi 27 septembre 2018

"Cosmos 1969" :fil d'Ariane, fusée en décollage immédiat !


À quoi pourrait ressembler la bande son de la mission Apollo 11, vers laquelle les yeux de centaines de millions de spectateurs étaient rivés en cet été 1969, et au cours de laquelle ce «petit pas pour l’homme» allait représenter «un grand pas pour l’humanité». Croisant les souvenirs lointains du garçonnet qu’il était alors avec sa sensibilité d’adulte, Thierry Balasse nous en propose une version très personnelle et nous embarque pour un voyage musical en neuf stations, entre musique électroacoustique et rock progressif, avec une escale en terre élisabéthaine.

Un spectacle fusionnel, dit "total" pour ce show évoquant la conquête de l'espace, la quête de l'apesanteur: échappatoire salvateur à l'humaine condition et à la banalité du terre à terre, du commun des mortels.
Thierry Balasse, cravate et costume noir, chemise blanche au commandes du vaisseau spatial pour une odyssée de l'espace incongrue, drôle, saisissante, ravissante!
Ils sont cinq musiciens, en "bleu" de travail, combinaisons bleu ciel oblige, pour évoquer cette épopée mondiale: le premier pas sur la lune, le défi du pouvoir de l'homme sur les planètes!
Rien que ça, pour convoquer Pink Floyd, Beatels et autres "canons" de la musique "nouvelle"planante, King Crimson ou Bowie!
Un fond de scène lumineux qui bouge et oscille à foison et une funambule improbable, Fanny Austry qui à elle seule occupe l'espace, l'air et l'éther couchée sur sa spirale ascendante, agré de fer, planté en milieu de scène.
Elle hypnotise, capter et rapte les esprits, les yeux et les oreilles de sa présence discrète, quasi continue de l'oeuvre spectaculaire en diable!
Emouvant et beau, sur le fil, l'opus va bon train, très "vintage" sur ce fil conducteur, fil à plomb ancrant corps et musique.
 Le vent, le souffle en introduction, prologue à ce voyage au long cour du sol luisant à la stratosphère évanescente.
On rêve, on plane à l'envi.
Lévitation sur tige grimpante en spirale pour boussole, tel un chat perché ou une Fantômette sur les toits, dans l'espace, celle qui veille à l'équilibre et aux dangers de cette aventure, est référente, rassurante malgré sa position périlleuse.
Allongée, incertaine, irréelle vision à bascule, madame rêve et dans les fonds sous-marins de l’amerrissage, on se pose en épilogue, on reprend pied et souffle, on quitte le navire de l'espace et l'on chemine, léger, laissant la Nasa faire le reste...Aux consoles, tout s’éteint, la magie est terminée, le songe fera son chemin.

Au Point d'Eau à Ostwald ce mercredi 26 Septembre


Le Quatuor Tana saute à la corde !


Grâce à son engagement auprès des compositeurs désireux d’explorer avec eux les contrées acoustiques encore vierges, le Quatuor Tana est devenu une référence en matière de création musicale.

Le songe d'une nuit d'été
François Meimoun ouvre le bal de ce concert avec "Le livre des songes" en création mondiale pour Musica!
Après une courte présentation, très pédagogique d'un des musiciens Antoine Maisonhaute nous voici plongés dans des formes évanescentes, rêvées comme dans un songe, pour laisser passer la virtuosité de la pièce. D'un seul trait, elle se déroule en esquisses de mélodies, en citations, référence à du matériel classique.Vive, sans cesse en évolution, sans arrêt, la tectonique est ascensionnelle: un passage très subtil, fin, intuitif, intime, très bref, séduit et conduit au seuil de la rêverie.
Ca fuse, les sons foisonnants reprennent le dessus, sans répit dans une magistrale prouesse d'exécution! Souvenirs et réminiscence dans cette écriture, proche de la tradition musicale savante, affichant une volonté d'évoquer les songes du jour ou de la nuit: rondo, sonates émergent en filigrane, la fugue prend des libertés: le rêve, permis et assumé: la vie n'est qu'est long rêve, ici éveillé et traité de manière cauchemardesque aussi, partie intégrante des symptômes du sommeil!

"Other Voices" de Yves Chauris en création mondiale,met en avant les "cordes" vocales du Quatuor.

Corps-raccords

Après avoir interprété une oeuvre évoquant les premiers pas de chaussons de danse, puis des cigales japonaises, voici l'Ensemble confronté aux vœux du compositeur: faire vibrer les cordes détendues, pression sur l'archet oblige, comme des sifflements, des émissions de souffle par la vibration des cordes "vocales" des instruments, faits organes et corps vivants!
Ambitieux projet musical, hautement servi par les interprètes, "obéissants" à ses contraintes joyeuses et périlleuses: de l'audace, du toupet, du risque et du danger, comme sur une corde raide. Nos funambules y prennent plaisir et le défit est relevé.Entendre des possibles, comme au fur à à mesure du trajet d'une arche tendue de A à Z;
défilé de notes au travers de l'oeuvre, l'imaginaire en éveil: ça mugit, s'étire, languissante musique, souple, flexible, incertaine...Le son baille, glisse et dérape, à pas de loup sur la pointe des pieds, des archets: claquements de corde comme des martèlements ou des chants d'oiseaux
Quelques collages de gamme chromatiques, des grincements, grattage et frottements discrets des cordes sur l'instrument, objet de désir de surprises et de découverte sonore!
 Tension et détente pour cet opus qui ne laisse pas le temps de s'installer, ni de se poser: au final, comme un son de scie, vaporeux et dans l'éther se glisse dans cette pièce où la scordature de la corde grave, objet de sonorités inédites: de la chirurgie haut de gamme pour corps de violon "préparé"!

Le "Quatuor à cordes n° 1 "de Ligeti vient boucler le programme du concert, telle une métamorphose nocturne, née du sentiment de révolte de Ligeti contre l’oppression politique du contexte de l'époque en Hongrie.
La musique "populaire" y trouve sa place de choix, sa marque de fabrication, évoquant Bartok et les accents folklorisants de son oeuvre maîtresse.
On passe d'une écriture à l'autre, savante et légère: une fausse valse sarcastique, hésitante, amusante et féconde en déraillements en serait le témoin!
Un chef d'oeuvre selon le musicien, excellent pédagogue et animateur qui assure l'introduction musicographique des oeuvre!Des sautes d'humeur et d'ambiance sans vergogne au menu!
Des accents saccadés, des sauts virevoltants, et la danse est rondement menée: comme de la houle qui remue et bouillonne!
De très belles sonorités, graves en osmose, un rythme très alerte, jovial, sans cesse tissant du son.
Chacun répond à l'autre en ricochet avec accents et tonalités référencés, quasi mélodiques... L'as des cordes frappées et pincées, Ligeti, révèle ici tout son génie de la tension-détente, imperceptible outil de ces effets de surprises, de rétention explosive et salvatrice. Un sublime moment de calme succède à la tempête, paysage et ambiance de mystère: les cordes frétillent, à l'infini, vibrent, le son se perd à l'horizon dans un espace sonore inoui! Déstabilisé à l'envi: du galop, d'une chevauchée ou d'un métronome à l'autre, les instruments vivent une épopée picaresque solide, les interprètes, une odysée de l'espace, incroyable.

A l'Auditorium de France 3 le 25 Septembre