lundi 22 octobre 2018

"Venezuela": Batsheva Dance Compagny: Ohad Naharin : moteur: action: on danse ! Élégance à tout crin !

  • Dernier opus d’Ohad Naharin, Venezuela démontre l’engagement de la Batsheva Dance Company : créativité, musicalité et passion sont les moteurs de la troupe. Créé en 2017, le chorégraphe et ses danseurs explorent le dialogue tout autant que le conflit entre le mouvement et sa signification. Leurs armes ? Cette danse à l’énergie palpable qui abonde de sauts et d’ensembles, de corps secoués de soubresauts, de portés à bras-le-corps. (1h20)

  • Fidèle à son goût éclectique, Ohad Naharin a donné carte blanche à Maxim Waratt pour imaginer une bande-son comme un voyage entre les cultures. Des chants grégoriens, du rap ou du rock rythment le spectacle. L’urgence de cette gestuelle, les volte-face des interprètes qui passent en quelques secondes de la douceur à la virtuosité endiablée font de Venezuela une pièce à message. Le plateau du théâtre devient la tribune du chorégraphe.


De noir vêtus, ils sont déjà dès le départ, puissants, majestueux, habités sur l'immense plateau de Chaillot et portent à bout de bras ce "Théâtre de la Danse", palais de l'exception, du mouvement, de tout ce qui arrive semble -t-il de meilleur pour l'art chorégraphique
De noir vêtus, ils embrassent l'espace, groupés ou isolés, en bande ou en électron libre catapultés par une énergie débordante venue des muscles profonds de la pensée, de la danse savante, intelligente et radieuse.
Irradier l'espace, dessiner à la griffe, à la plume , des envolées fugaces, des traces volatiles, voici la patte de Naharin, portée par des interprètes au sommet de leur art, en toute modestie et en toute majesté.
On est scotché par tant de déferlement de gestes mais aussi par une retenue pudique, savamment dosée , précise, précieuse, élégante.
Débridée, certes, désorientée, démantibulée, toujours, mais ici au service d'un propos plus calme et serein, plus pondéré, plus chargé de musicalité
Sur fond de musique grégorienne, bordée de bien d'autres influences contemporaines, la pièce s'engouffre dans un ouragan de vertige, de déséquilibres à la limite du possible.
Rigueur et fantaisie, animées, réanimée par des interprètes remarquables d'engagement, de justesse et de sincérité.
Comment échapper à ces envolées de portés, ces déplacements éparpillés qui convergent vers un centre d'où repartent énergie, grâce et beauté?
Deux groupes vont successivement reprendre la première vague du spectacle, réimprimer les mêmes gestes pour les laisser voir autrement. Jamais on ne se lasse des chevauchée lentes de ces huit interprètes.
Pas de redites ni de répétitions dans cette reprise à l'identique de la chorégraphie
Au final, c'est un bouquet d'identités, de singularités qui s'offre à nous dans la vision de courts solos qui s’égrènent à l'envi et prouvent une fois de plus que Naharin n'est pas "gaga" mais inventif et jusqu'à être son propre miroir.
S'y reflètent les images inventées de son imaginaire débridé, de sa verve et férocité légendaire
Avec en sus, un grain de sagesse, un double Maxim Warrat, sa seconde peau de musicien, enveloppant sa danse comme la peau du monde. Et toujours en "bonne compagnie" "cum panis" à partager sans modération en une jolie cérémonie ouverte, offerte à tous, une célébration des corps dansant, une messe pour les temps présents!

Au Théâtre National de la Danse Chaiillot jusqu'au 21 Octobre


"Décalé" Batsheva The Young Ensemble Ohad Naharin : une "Décadance" enjouée !


Avec Décalé [alias Decal’e], le chorégraphe Ohad Naharin livre une pièce dynamique, pour seize à dix-huit danseurs. Version courte de DecadanceDécalé en est aussi la version jeune public. Directeur artistique de la Batsheva Dance Company depuis 1990, le chorégraphe israélien Ohad Naharin a depuis lors conçu nombre de spectacles pour la compagnie. Créé pour la Batsheva Dance Company – Young Ensemble, la compagnie junior, Decadancefonctionne comme un moment de synthèse et d’exultation. Un exercice de style et d’excellence, composé à partir de différents moments d’autres spectacles d’Ohad Naharin. Sur des musiques rythmées et très variées, la souplesse des danseurs est mise à l’épreuve de la scène. Version jeune public (dès six ans) Décalé fonctionne sur le même principe. Pédagogie de haute volée, pour les interprètes comme pour les publics, Décalé offre un spectacle vitaminé ; une friandise à déguster en famille.



Ils sont jeunes et plein d’allant, de verve, d'énergie et servent à merveille cette version légèrement "décalée" du chef d'oeuvre de Mr Gaga !
C'est seul sur la scène, feignant un échauffement que débute le show, alors que le public, jeune, s'installe dans la Salle Gémier, à "potron minet": il est 10 h du matin et l'on s'étire mentalement avec lui, alors que plus sérieusement, il danse déjà "gaga" au vu et au su de tout le monde tout "feux allumés"!
Un démarrage original pour ces précieux instants que nous passerons en "bonne compagnie", quelques instants plus tard.
Alors survient le phénomène de cette danse peuplée de gestes incongrus, immodérés, insoupçonnés de notre propre vision du mouvement.
Illusion, leurre ou magie, on retient son souffle après quelques consignes émisses par des voix off: surtout, les jeunes, "éteindre votre portable", nomophobie oblige, pour mieux l'étreindre à la sortie, s'en libérer et regarder, écouter la danse démantibulée de ces corps jetés à corps perdus dans un marathon savant de poses débridées, désarticulées.
C'est une pantomime d'automates désarticulés, de pantins agiles, de robots dociles, savants circassiens de la danse contemporaine qui s'agitent, fébriles devant nous. Déséquilibrés, fous de danse, gaga de voltes face, de distorsions et de malice aussi. Car loin d'être des bêtes dressées à un style, voici des interprètes galvanisés par un orpailleur des personnalités qui savent se fondre dans un unisson, autant que se singulariser dans de courts solos où on évalue largement leurs capacités identitaires!
De la danse, telle qu'on en rêve, fougueuse, inventive, ébouriffante, réglée pour un final remarquable où sur des chaises instables, chacun va de sa chute, de sa glissade en gestes , ricochets à l'appui où le trouble est semé.
De noir vêtus, les voilà, ravis, emballés qui à leur tour passent et distribuent leur passion de la danse, au public, conquis, médusé, séduit par cette contagion joyeuse du geste réinventé en toute fantaisie, en toute "jeunesse" confié à des êtres d'exception.
La passation est salutaire et réussie, les jeunes "gaga" sont au diapason de cette hystérie contenue, heureuse et porteuse de bonnes nouvelles explosives, éruptives.
Pour preuve de savoir être ensemble, les danseurs invitent le public à les rejoindre sur le plateau, lors de duos simples et faciles pour le bonheur de tous: c'est touchant et émouvant, la dernière image comme celle d'un couple enlacé, vivant les premiers instants d'un raprochement amoureux, au bal !

Au Théâtre National de la Danse Chaillot jusqu'au 21 Octobre
"Tous Gaga" !

"Verklarte Nacht": A.T.De Keersmaeker : esquives et esquisses des amants.


L’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker compte peu d’incursions dans le répertoire romantique tardif, dont La Nuit transfigurée d’Arnold Schoenberg est l’un des monuments. Créée en 1995 pour un ensemble, cette reconstruction procède d’une réduction, concentrant la structure dramatique du poème en un duo passionnel d’où ressortent les lignes narratives et les modulations expressives.

Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) est une composition pour cordes d’Arnold Schoenberg datant de la fin de l’époque romantique (1899). Schoenberg s’inspire d’un poème de Richard Dehmel à propos d’une femme qui avoue à son amant être enceinte d’un autre homme. La tonalité tragique du poème résonne dans le son persistant des cordes, tantôt chargées d’une lourde passion, tantôt aussi subtiles qu’une voix timide, en empathie apparente avec le supplice du protagoniste. La chorégraphie originale a été conçue comme une pièce d’ensemble en 1995, à l’occasion d’une soirée spécialement consacrée à Arnold Schoenberg à l’Opéra de Bruxelles De Munt / La Monnaie. Réécrite par la suite pour un duo, la pièce voit ses aspects narratif et musical ramenés au premier plan. Les crescendos et diminuendos expressifs nous orientent à travers les événements dramatiques, en écho au flux d’émotions sans cesse modulé. Une histoire d’amour romantique dépourvue de complexes, éclairée par la lumière blafarde d’une nuit transfigurée.
Un duo d'une sensualité confondante où la femme, tantôt tendre, tantôt animée d'une violente passion, frôle ou étreint son partenaire, l'homme docile ou indifférent, porteur de ses affects et mouvements fulgurants.
Elle touche ici au sublime avec sa robe rose, à peine ouverte, ses cheveux blonds, ses expressions sensibles, dosées à la perfection.
Samantha van Wissen, habitée par la fougue et le talent inhérent aux danseurs de la compagnie, se révèle une amante docile et romantique, animée de la gestuelle lyrique si chère à la chorégraphe. Spirales enroulées, fulgurances des chutes et des relevés, passion de ses étreintes et portés en cascades où le couple s'attrape, se repousse, s'aime à foison sur la musique ascendante de Schoenberg...C'est d'une beauté fascinante et l'empathie gagne en intensité tout au long de cette "nouvelle", pièce courte de 40 minutes, où fugue, échappées belles, esquisses dans l'espace et esquives tracent des mouvances de rémanences optiques incroyables.
L'homme et la femme se poursuivent, s'attrapent, se rejettent ou fusionnels, s'enflamment dans des portés flamboyants .
L'aspect cinématographique de ce plan séquence ininterrompu est sidérant, les courses et poursuites dignes d'une échappée musicale virtuose, les arrêts sur image baignent dans le suspens, et la narration imperceptible des corps, raconte l'attirance, l'attraction de ses amants de l'impossible où les corps se frôlent et s'inventent des territoires inconnus.
Une performance qui laisse rêveur le temps du déroulement de cette petite odyssée du désir, si chère à nos imaginaires en quête d'émotion, de sobriété et de "compassion"
La délicatesse, la rareté des gestes calculés au millimètre près, bercent dans une atmosphère tendue, sur le fil des sensations qui se déversent peu à peu dans cet écrin musical passionné!

A l'Espace Cardin jusqu'au 24 Octobre
Dans le cadre du Festival d'Automne: "portrait de A.T.De Keersmaeker" en collaboration avec le Théâtre de la Ville