vendredi 26 octobre 2018

"Danser pendant la guerre froide" par Stéphanie Gonçalves et Pascal Ory

Cet ouvrage explore le ballet comme un outil de diplomatie culturelle internationale et transnationale pendant la Guerre froide. Au-delà d’une image romantique de danseuses en tutus, le ballet est une vitrine essentielle de la diplomatie culturelle, qui conduit au développement d’une « diplomatie dansante ». Fruit d’un long travail de dépouillement de sources, basé sur des archives situés en France, Grande-Bretagne, Etats-Unis et Russie, le livre identifie les acteurs – institutionnels, artistiques et commerciaux – de la machine à tournées. L’histoire des tournées de ballet porte ainsi à questionner l’idée de bipolarité comme séparation étanche entre deux blocs pendant la Guerre froide. Les compagnies de ballet traversent régulièrement les frontières et les danseurs conservent leur rôle traditionnel de passeurs culturels. Le livre se construit autour de tournées représentatives du lien entre danse et politique, des épisodes qui mettent en valeur les points chauds de cette Guerre froide, ayant comme point de départ ou d’arrivée Londres et Paris. Il propose un nouveau regard sur la coopération et les rivalités dans le ballet pendant la Guerre froide, grâce à une plongée dans la fabrique diplomatique des tournées.

"Danser brut" au LAM


Quels sont les liens entre la danse et l’art brut ou contemporain ? à travers une sélection inédite de près de 300 films, dessins, sculptures ou photographies, le LaM place le mouvement au cœur de la création, sous toutes ses formes. De Nijinski à Chaplin, cette exposition originale déniche des gestes au creux d’œuvres aussi diverses que magistrales.
Porter un regard transversal et neuf sur le corps, tel est le point de dé- part de l’exposition. « Celle-ci est une somme d’observations de gestes ou de façons d’être, explique la commis- saire, Savine Faupin. Il s’agit aussi de dévoiler l’invisible, des mouvements auxquels on ne prête pas attention mais se révélant extraordinaires ». Depuis l’Hôpital de la Salpêtrière où le Dr Charcot décrit les attitudes de l’hystérie à la fin du xixe siècle, à l’aide de dessins et photographies, jusqu’aux films burlesques mettant en scène des pantomimes, l’accrochage scrute des corps désarticulés, gesticulant, en proie à des forces irrépressibles. On croise au gré de ce parcours de six sections la cabarettiste allemande Valeska Gert,les tribulations de Charlot ou la grande silhouette dégingandée de Jacques Tati… dans un même élan !

Entrez dans la transe
Plus loin, c’est l’implication de notre enveloppe charnelle tout entière dans la production de l’œuvre qui est explorée. On découvre les dessins de Nijinski qui, ayant cessé de danser et retiré en Suisse dans les années 1920, exécute un grand nombre de compositions abstraites. Le chorégraphe virtuose s’affiche d’ailleurs comme un trait d’union avec l’exposition contiguë, consacrée à Rodin. Le sculpteur, avec sa série des Mouvements de danse, a en effet saisi la fulgurance du geste du précité Nijinski (et d’autres) dans le plâtre et la terre cuite. Mais la danse s’empare aussi des corps, malgré nous, comme en état de transe. En témoignent les “lignes d’erre” tracées par l’éducateur spécialisé Fernand Deligny, rendant compte au fil de cartes crayonnées des trajets d’enfants autistes. Enfin, c’est au tour du visiteur d’aiguiser ses perceptions, en interagissant avec la sculpture de lumière d’Anthony McCall, ou avec la chorégraphie sous hypnose de Catherine Contour. Des rendez-vous musicaux concoctés par le collectif La Belle Brute et Lucile Notin-Bourdeau entrent aussi de plain-pied dans la danse !

"Le geste unique": Alwin Nikolais par Marc Lawton Julien Bambaggi


Créateur majeur du XXe siècle et homme de spectacle virtuose, Nikolais fut l'inventeur d'un théâtre dansé original où mouvements, sons, lumières, couleurs et formes sont complémentaires, avec un appel fréquent à l'illusion. Adepte d'une danse abstraite qu'il mit au point dès les années cinquante, il personnalisa le lien germano-américain de la modern dance et excella autant sur scène (où il régna en maître en tant que chorégraphe, compositeur, éclairagiste et scénographe) que dans le studio de danse. Son enseignement, axé sur la triade technique-improvisation-composition, fut en effet très couru et reste d'actualité aujourd'hui. Dans le sillage des "ambassadrices" que furent Susan Buirge et Carolyn Carlson, Nikolais forma en France de nombreux danseurs-chorégraphes comme Philippe Decouflé ou Marcia Barcellos et, comme d'autres artistes de son temps (Wassily Kandinsky, Oskar Schlemmer ; Mary Wigman, Martha Graham..,), sentit le besoin de coucher sa pensée par écrit. Ces textes, qui légitiment Nikolais et le ramènent en pleine lumière, reflètent à la fois sa recherche de pédagogue et ses oeuvres scéniques. Ces écrits, quasiment inconnus du public français, sont ici traduits presque tous pour la première fois et concerneront autant les danseurs, enseignants et chercheurs que les journalistes et les curieux amoureux des arts. Nikolais y fait alterner théorie et exemples concrets, profondeur et humour. Il nous donne une nouvelle définition de la danse, s'appuyant sur les fondamentaux du temps, de l'espace, de la forme et du motion. Ceux-ci sont activés par des notions essentielles comme le décentrement et l'intelligence du mouvement, permettant l'avènement d'un danseur mobile, sensible et autonome qualifié de "métaphorique".