mercredi 14 novembre 2018

"Les terrains vagues" : des lieux pas communs à déchiffrer, défricher sans retenue ! Un conte des temps modernes.




Création au TNS - Texte et mise en scène Pauline Haudepin - Avec Genséric Coléno-Demeulenaere, Marianne Deshayes, Paul Gaillard, Dea Liane. Et la voix de Jean-François Pauvros. 

Sur une île, au sommet d’une tour délabrée, vit une jeune fille élevée par Sandman, l'inventeur de drogues hallucinogènes d'un type nouveau. Arrivent sur l’île une femme surgie du passé et un jeune pyromane en fuite. Avec cette transposition très libre du conte Raiponce des Frères Grimm, Pauline Haudepin crée un spectacle où l'onirisme de la fable se déploie dans un paysage de science-fiction. Comment les personnages, entrant en collision, vont-ils réagir à l'effondrement de leurs fantasmes et faire face au « monde réel » qui les rattrape ? Après Bobby unborn, Les Terrains vagues est la deuxième pièce de Pauline Haudepin. Elle l'a écrite alors qu’elle était élève à l'École du TNS (section Jeu) dans le cadre d'une carte blanche présentée en octobre 2016. Comme actrice, le public du TNS a pu la voir récemment dans 1993 d’Aurélien Bellanger, mis en scène par Julien Gosselin.

Une voix off ouvre le bal dans l'obscurité: celle d'un musicien dont les accents et le timbre vont faire vibrer d’emblée un texte savant sur l'espace, les non lieux l 'hétérotopie mais qui va s'incarner dans des personnages singuliers que l'on découvre au cour de quatre tableaux, dévoilant un décor à chaque fois changeant.
Un dispositif à étage va dévoiler le corps d'une jeune fille vêtue de blanc, gracile, fragile, enfantine, aux mains ou en proie à un homme-femme en robe rouge, protecteur ou geôlier, la nourrissant de porridge ! Silhouette juvénile d'une danseuse acrobate tant son jeu corporel transporte et véhicule naïveté, légèreté, futilité gracile. Conquête de soi, du monde sur terrain glissant ou rebondissant: une niche de matelas et coussins pour nid de tendresse, niche d'animalité, de tendresse et de rêve. Serions-nous encore, enfant, au sein d'un conte de fée bien de nos jours? Oui, l'effet de rapetissement dans la perspective semant le trouble de la réalité tangible: les deux semblent sous dimensionnés et irréels! Les jeunes comédiens sont portés par le texte, à corps perdu dans cette course onirique et fatidique sur terrain miné.
Histoire à suivre lors de la seconde séquence où un laborantin fou, invente sur sa paillasse les destins des autres en les modifiants avec des onguents et autres artifices de son cru.Une femme de rouge vêtue sur son praticable de fer va le rejoindre pour s'initier à son passé, dévoiler sa grossesse, et la cruauté violente de ce bourreau, magicien des liquides hallucinogènes; un autre terrain à investiguer, celui de la paternité dans un non lieu, sans toit ni loi, un territoire indéfini, une utopie architecturale à défricher.
Car il est ici question d'espace, de place à trouver sur des lieux incertains nappés de brumes, de flou où les directions sont sans boussole ni repère. Les personnages naviguent à vue, se "grattent sous la peau", vont au delà des possibles
Un refrain en leitmotiv pour alléger le récit celui de Mister Sandman des Chordettes, siffloter par les protagonistes. Homme ou marchand de sable, le nom de l'anti héros de l'action.
"Il est maintenant" et non "il était une fois" pour ce conte des temps modernes, où les mauvaises herbes ou herbes folles envahissent le drame, où "la maison" idéale est un tracé de briques au sol où se niche une femme dans la poussière... SDF ou sans abri sans toit ni loi dans ces non lieux à la Marc Augé, ces hétérotopies voisines de Michel Foucault, anthropologie de la surmodernité....
Belles inspirations et connivences dans le texte de Pauline Haudepin, qu'elle met en scène avec des comédiens agiles, réactifs et incarnant cet abandon sur ces sentiers, ces "lieux communs" de l'errance, de l'oubli, de la matière minérale ou poussière, ce béton armé de l'architecture des no mans'land d'aujourd'hui.
Tres chorégraphique aussi, voisin des pièces de Hervé Robbe et Richard Deacon à propos des terrains de jeux "Le terrain encore vague" ou "Mauvaises herbes" de Laure Bonicel sur les végétaux dans les milieux extrêmes....

Au TNS jusqu'au 24 Novembre

mardi 13 novembre 2018

"Spectres d'Europe" : survivance des vibrations et reflets du monde.





Sous la forme d'un diptyque, Spectres d'Europe questionne le passé et le destin de notre continent, cent ans exactement après la fin de la Première Guerre mondiale.
Avec La Table verte, pièce que Kurt Jooss créa à Paris dans les mois qui précédèrent l'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir, l'esthétique expressionniste se nourrit d'emprunts aux danses macabres médiévales afin d'exprimer, souvent avec sarcasme, toute l'horreur de l'oppression et des combats. Bruno Bouché, quant à lui, accompagne sa création de musiques de Jean-Sébastien Bach et de Sufjan Stevens, avec la complicité du musicien Nicolas Worms. Réflexion politique et geste poétique, Fireflies, ou lucioles, titre de la création de cette pièce de compagnie, renvoie notamment à la figure de Pier Paolo Pasolini. Métaphores d'un esprit de résistance en marge de l'ordre du monde, les lucioles sont des rhizomes luminescents fragiles qui scintillent dans la nuit. Fireflies est la première collaboration de l'écrivain Daniel Conrod, artiste associé du Ballet de l'OnR, avec Bruno Bouché.


"Fireflies"
Et que la lumière soit, fiat lux, pour cette pièce originale, nourrie de références cinématographiques
et littéraires, largement évoquées dans le livret qui accompagne ce programme.
"Fireflies" serait l'incarnation dansée des propos évoqués sur les "lucioles", ces insectes en voie de disparition qu' évoquent autant Pasolini que Didi Huberman. Lucioles qui sont aussi ces petites lampes projecteurs au théâtre qui , discrètes et mobiles, se glissent dans le décor comme autant de papilionacées éparses.
La chorégraphie de Bruno Bouché se fonde et s'ancre sur ce plateau nu, miroir où tout est reflet et image magique: la lumière y sculpte continuellement l'espace et les corps, autant dans les solos que les groupes de danseurs réunis pour mieux faire bruisser et miroiter , réfléchir leurs pensées en mouvement. Car ici, la danse est pensée en vibrations, corps en courses et portés, groupes sculptés comme des ensembles de Carpeaux , ronde folle d'un univers cosmique mu de tours et de farandoles.
La danse, stylée, posée comme des instants de méditation, de contemplation, servie par des regards portés sur le lointain. Les dos nus des femmes soulignant les courbes et formes naturelles des interprètes féminines. La rencontre d'une femme, d'un homme portant ce coquelicot , fleur de papier rouge sang, image sortie du répertoire filmique pasolinien. Des duos ou trio égrènent la scène à l'envi, sobres, habités somptueusement par les danseurs, les hommes qui s’immiscent dans cet univers versatile, lumineux, aquatique aux reflets changeants.Des marches et courses ponctuent des arrêts , isolant certain, conférant à la pièce quelques instants suspendus, respiration lente ou apnée déclinée à l'occasion , entre silence et morceau de musique, variée, en adéquation avec une gestuelle parsemée de lyrisme.
Les unissons sont comme des envols d'insectes, bras et jambes tendus, virevoltant dans l'espace ouvert. Au final, une ronde folle, mascarade ou redoute, dessine dans l'espace une rémanence lointaine de traces et signes, d'empreintes.
La solitude aussi traverse cet opus, moment de grâce suspendue au silence .


Puis, en "miroir" , "La Table Verte" fait résonance et resurgit de l'histoire, forte et puissante, oeuvre phare de Joos où chaque personnage évoque un pan d'une période sombre, politiquement parlant. Les gestes sont des mimiques issus d'une pantomime réinventée sous la griffe et signature d'un maître de la danse d'expression allemande.
L'interprétation est juste au corps de l'oeuvre, soulignée par une appropriation étonnante des danseurs. La mort hante la pièce, corps massif, omniprésent, menaçant, emportant les êtres vivants sous sa coupe de faucheuse. Danse macabre irréversible, irrévocable spectre de la perte et de la disparition.
Une très belle et émouvante "restauration", reprise d'un chef d'oeuvre , vivante, résonante d'actualité, pertinente toujours à l'heure actuelle!La présence des deux pianistes renforçant la véracité des gestes évoquant fureur, tendresse ou révolte, soumission ou  désapprobation.
Erika Bouvard en mère suppliante, Alexandre van Horde incarnant la camarde ravageuse, tout de vert éclairée comme une menace constante, affligeante, incontournable. Du grand art pour une mémoire ressuscitée de toute beauté.

A l'Opéra du Rhin jusqu'au 18 Novembre



"Casse Noisette" de Valéria Docampo et le NYCB


C’est la veille de Noël. Marie reçoit une poupée casse-noisette, habillée comme un soldat.
Durant la nuit, le casse-noisette et les autres poupées prennent vie. Et sous les yeux de Marie, Casse-noisette, libéré de la malédiction qui lui avait été jetée, devient un très charmant prince qui l’emmène avec lui.